En Irlande, distinguer « il » et « elle » est transphobe


En Irlande, distinguer « il » et « elle » est transphobe

Irlande LGBT transphobie

Le 15 juillet, en Irlande, une publicité jugée « transphobe » a soulevé un véritable concert d’indignations, initié comme toujours sur les réseaux sociaux.

Sur une affiche de l’opérateur Three Mobile, le message – un peu abscons il est vrai – se voulait simplement humoristique : « Désolé pour les clients de Vodafone (une compagnie concurrente), il s’est avéré qu’‟il” était une “elle” après que vous ayez épuisé tout votre forfait. » La blague, bien entendu, faisait référence à la frustration ressentie lorsqu’on rate le dénouement d’une intrigue haletante pour cause de connexion perdue… Ici : le méchant, c’était la femme, mais vous avez raté la fin parce que vous n’aviez pas souscrit à nos forfaits illimités.

Cet innocent slogan a été interprété comme un scandaleux appel à la « transphobie », et immédiatement diffusé sur Twitter, certains utilisateurs sommant la société Three Mobile de s’expliquer. Après les particuliers, c’est l’association Teni (Transgender Equality Network Ireland) qui a tweeté pour demander des comptes à l’opérateur concernant cette annonce « très transphobe » : « Je ne suis pas sûre du message qu’ils veulent faire passer. En Irlande il y a des tas de blagues et de moqueries à l’encontre des personnes trans. Il nous semble que c’est un coup bas », a déclaré leur porte-parole, Broden Giambrone, dans l’Irish Times.

Bien que l’association Teni n’ait vraisemblablement pas compris l’idée de cette publicité, Three Mobile ne s’est évidemment pas risquée à protester. Elle s’est tout de suite répandue en excuses et a expliqué le sens de sa plaisanterie, sans doute trop subtile pour certain.e.s[1. Pardon pour vos pauvres yeux non encore habitués à la grammaire 2.0.] : « Nous sommes désolés si cette publicité a pu offenser des personnes. Ce n’était pas notre intention. Elle fait partie d’une campagne plus large, qui donne des exemples de moments où l’on peut rater la scène clé d’une série télévisée ou d’un film car on a utilisé tout son crédit ».

Voilà qui semble bien loin d’une quelconque allusion aux soucis identitaires des personnes transsexuelles. Mais l’affiche a toute de même été retirée fissa par la compagnie, qui préfère ne pas s’attirer d’ennuis. Il valait mieux, en effet, ne pas semer le doute sur une possible transphobie, car le Parlement irlandais votait le jour-même une loi baptisée Gender recognition bill. Ce texte, particulièrement transphile quant à lui, donne à tous les adultes irlandais le droit de changer de sexe sur simple demande… à l’état civil.

L’Irlande n’est que le quatrième Etat au monde à ouvrir une telle possibilité à ses citoyens. En France, pays rétrograde qui peine toujours à rattraper son « retard » en matière sociétale, le changement de sexe officiel demeure conditionné par la stérilisation ou la pratique d’une opération chirurgicale. Libération a donc salué cette réforme comme « un pas de géant pour l’Irlande », ce pays qui fut si longtemps « un cancre dans la classe européenne » et qui n’a adopté le mariage homosexuel qu’il y a deux mois.

Malgré la rapidité foudroyante de ces changements sociétaux, les associations LGBT locales ne sont pas encore pleinement satisfaites. La « question des personnes intersexes et non-binaires » (celles qui ne sont pas dupes du grossier mensonge de l’existence des sexes) reste à traiter, tout comme celle des mineurs. En effet, seules les personnes âgées d’au moins 18 ans peuvent changer de sexe sur simple demande, mais un accord parental est exigé pour les 16-18 ans. Et pour ceux qui ont moins de 16 ans, il n’est pas encore possible de choisir son sexe.

Boris Dittrich, ancien homme politique néerlandais et militant des droits de l’homme s’inquiète auprès de Libération : « On risque de condamner les enfants à des sentiments de stigmatisation, d’exclusion et de discrimination ». Suivant sa logique, la prochaine étape dans la conquête des droits de l’enfant devrait donc être la possibilité pour un.e garçon/fille de quatorze ans d’aller se déclarer à la mairie pour devenir officiellement un.e fille/garçon.

Dans ces conditions, certains gamins pourraient s’amuser à « changer de sexe » juste histoire de faire une blague à leurs parents. Peut-être seront-ils eux aussi qualifiés de « transphobes », puisque non loin de l’Irlande, à Glasgow, on se tire même dans les pattes entre militants LGBTIQN-B[2. Lesbiennes, gays, bi, trans, intersexes, queers, non-binaires.] : Les « drag queens » y ont été banni.e.s de la marche des fiertés car illes ou els[3. Non, ce n’est pas mon clavier, c’est leur sabir.] « moquent et minimisent les difficultés des trans et des non-binaires dans leur lutte identitaire » lit-on sur Kaleidoscot, un bulletin d’information en ligne de la communauté.

Moralité : il y a de plus en plus de blagues qui ne se font pas, et de jours où on préfèrerait avoir une connexion limitée.

*Photo : Wikipedia.org



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