Je suis un roman noir


Je suis un roman noir

hollywood dominique forma

À force de se prendre au sérieux, ou de vouloir mimer les Américains et les Scandinaves, le polar français finit souvent par perdre ce qui faisait son charme : la rapidité, le sens de la formule et un certain mauvais esprit, façon ADG ou Manchette. L’absence d’humour et la documentation pesante, les deux cents pages en trop deviennent des tares envahissantes sans compter des injections massives de moraline que doit subir un lecteur à qui on explique que le racisme et la guerre, c’est affreux, que tout est grave et qu’il ne faut pas rigoler avec ça. Ce n’est plus du roman noir, c’est du catéchisme.

C’est pour cela que j’ai été très content de tomber sur Hollywood zéro de Dominique Forma. Il réussit l’exploit d’écrire un polar très français, mais très français « old school »  qui se passe aux… USA. Dominique Forma sait de quoi il parle quand il évoque Hollywood puisqu’il fut là-bas le metteur en scène du film La loi des Armes (2001) avec, excusez du peu, Jeff Bridges. Et ce n’est pas parce qu’il connaît qu’il va se livrer à de grandes considérations morales sur Los Angeles ou à des descriptions dont la minutie n’aura d’égal que le manque de souffle. C’est que Dominique Forma n’a pas oublié que la description, c’est l’ennemie du roman noir. Le roman noir préfère la suggestion. La suggestion, c’est savoir résumer en deux lignes ce qu’on aurait pu dire sur dix pages. Un exemple ? Le calamiteux personnage de Forma qui porte le même prénom que lui (là aussi, ce sens de la dérision fait cruellement défaut par les temps qui courent) arrive à L.A en catastrophe et il constate, à propos du motel où il atterrit : « Le Bloc 5500 d’Hollywood boulevard ne se visitait pas. Ce n’était plus l’Amérique, sans être encore le tiers-monde.

L’histoire de Forma est classique, et c’est pour ça qu’elle est plaisante. Il n’y aura pas de serial-killer, de psychopathes, de sectes de nazis télépathes mais des hommes ordinaires, même dans la truanderie, et des femmes qui sont plus émouvantes que fatales. L’histoire commence à Paris. Dominique est un cambrioleur en solo. Il mène finalement une vie assez morne et pépère. Il s’en rend compte mais ne s’en chagrine pas plus que ça. Ses plans à lui, ce sont les salles de gym pour cadres friqués. Il fait ami ami avec eux entre deux bancs de musculation et apprend au hasard des conversations de quoi aller jouer le monte-en l’air quand ses victimes sont absentes. Finalement, comme il le dit lui-même, par un aphorisme digne de nos plus grands moralistes, « Ma vie était belle car elle ressemblait à une autoroute allemande, droite, bien entretenue et sans police. »

Ça ne va pas durer. Il doit un peut trop d’argent à des vilains et son fourgue le lâche. Seule solution, partir en catastrophe à Hollywood où un vieux copain, fils de famille en rupture de ban et accro aux manips financières monte des combines  presque légales en trouvant des bailleurs de fonds et des maisons de productions pour des films qui n’ont pratiquement aucune chance de se faire. Le copain en question est aussi l’amant-associé de Rachel qui reste belle tout en se camant aux antidépresseurs. Dominique, lui, est chargé de jouer le rôle du metteur en scène à qui sera confié le futur film. On sent, de la part de Forma, le vécu, y compris dans la peinture sarcastique  du cocktail du 14 juillet au consulat de France de L.A.

Evidemment, tout cela va magistralement foirer, d’autant plus que les créanciers de Dominique ont retrouvé sa trace. Il faut dire aussi, comme le remarque Forma, à propos d’un financeur,  toujours avec sa précision aphoristique qui nous enchante : « Il était moins con qu’il n’en avait l’air. Ce qui est souvent le cas avec les Californiens ; l’exact opposé des Parisiens. »

En trois heures, car Forma est un garçon trop poli pour vous prendre plus de temps, vous aurez lu Hollywood zéro et vous vous souviendrez alors que ce que vous aimiez, dans le roman noir, c’était ce mélange de désinvolture, de rire, de mélancolie, de violence et de désenchantement.

Hollywood zéro, Dominique Forma, Rivages/Noir, 2014.

*Photo : Viktor Hertz.



Vous venez de lire un article en accès libre.
Causeur ne vit que par ses lecteurs, c’est la seule garantie de son indépendance.
Pour nous soutenir, achetez Causeur en kiosque ou abonnez-vous !

Article précédent Mes haïkus visuels : Godard, Tommy Lee Jones, l’Inde etc.
Article suivant L’Orient Express : traverser l’Europe en wagon-lit

RÉAGISSEZ À CET ARTICLE

Le système de commentaires sur Causeur.fr évolue : nous vous invitons à créer ci-dessous un nouveau compte Disqus si vous n'en avez pas encore.
Une tenue correcte est exigée. Soyez courtois et évitez le hors sujet.
Notre charte de modération