La finance islamique, bras armé du salafisme


La finance islamique, bras armé du salafisme
yassine essid finance islamique
Photo: Pixabay.

La Tunisie est une marmite. Y bouillonnent à la fois le plus grand contingent de djihadistes engagés dans les rangs de l’Etat islamique et l’antidote à ce poison : une classe d’intellectuels et de réformistes musulmans comme peu de pays en regorgent. Historien enseignant à l’université de Tunis, Yassine Essid est de cette engeance courageuse – celle des Fathi Benslama, Hamadi Redissi, Mohamed Charfi, Yadh Ben Achour ou du regretté Abdelwahab Meddeb – menée par son préfacier Youssef Seddik. Dans La face cachée de l’islamisation. La banque islamique, Essid démonte toute une série de mythes que notre bonne presse aime à répandre, tout inculture islamique bue.

Nous apprenant qu’il n’est de finance islamique que de nom, l’historien décèle derrière la vogue chariatique moderne- il existe actuellement 500 banques islamiques cependant qu’une vingtaine d’établissements financiers occidentaux proposent des « produits islamiques – le symptôme d’une pétrification juridique du monde musulman. Alors que la charia désigne initialement une voie à suivre plutôt qu’un code moral au corpus clair à suivre sans barguigner, l’invention de la finance islamique, qui est au Coran ce que le Mecca-Cola est au hallal, s’inscrit dans le projet du pakistanais Mawdoudi (1903-1979), lequel entendait construire une société islamique pure et parfaite. Or, non seulement l’interdiction du prêt à usure est sujet à controverse coranique, et renvoie à des pratiques antéislamiques, mais son extension ne garantit en rien la probité des activités financières. Plus encore, le développement de la finance islamique a permis l’essor du salafisme à travers le monde, notamment à travers le soft power saoudien qui contribue actuellement à l’édification de la Grande mosquée de Lyon après avoir bâti des quartiers commerciaux privés d’alcool aux environs de Tunis.

Purement profane, la finance islamique n’en est pas moins politique, en tant que nerf de la guerre culturelle que les Frères musulmans et leurs rivaux salafistes mènent aux quatre coins du monde. Au grand regret de Yassine Essid, la frange archéo-moderniste des sociétés musulmanes épouse les mécanismes du marché en même temps qu’elle idéalise l’ère ommeyyade, pourtant marquée par le sectarisme, les guerres et la fitna (discorde) au cœur de la communauté des croyants. Quand le djihad rencontre Mc World, islamistes « modérés » à la Erdogan et traders sans-frontiéristes communient de conserve sur les décombres des Etats-nations. Questions à l’auteur de ce bel essai victime d’une conjuration du silence.

Daoud Boughezala. Pourquoi déniez-vous tout caractère islamique à l’interdiction du prêt à usure (ribâ) que la tradition musulmane condamne pourtant aussi fermement que l’inceste ?

Yassine Essid. Je pose la question de l’historicité du prêt à intérêt. Condamné par bon nombre de civilisation qui a perdu sa justification religieuse avec le temps, excepté pour l’islam où nous avons là une interprétation excessive de la lettre par la tradition et une supercherie financière par les islamistes actuels.

En vous lisant, on apprend plusieurs établissements islamiques ont connu des scandales retentissants, comme la banque égyptienne Al-Rayan à la fin des années 1980…

Al-Rayân n’a jamais été une « banque islamique » mais un établissement qui avait opéré un montage financier frauduleux aux dépens des immigrés égyptiens qui travaillaient dans les pays du Golfe qui étaient attirés par la rémunération de leurs avoir (25% de profit) . Ce n’était en fait qu’une version islamisée du système de Ponzi qui consiste à rémunérer les dépôts des clients par les fonds procurés par les nouveaux entrants. Par conséquent, le secteur de la banque islamique demeure d’abord en dehors du système pratiqué par al-Rayân, qui met en avant une version dissimulée de la soi-disant prohibition de l’intérêt à l’adresse des pieux musulmans hélas de plus en plus nombreux.

Alors même qu’elle inonde le monde occidental de produits bancaires islamiques, l’Arabie Saoudite s’est longtemps méfiée de ce secteur. Pourquoi ?

Pour Ryad, la banque islamique n’était peut-être rien d’autre qu’un outil d’islamisation pour les autres. Par ailleurs, l’Arabie Saoudite a souvent recours, comme cette année suite à la forte baisse du prix du baril, aux crédits étrangers, évidemment à intérêt, pour couvrir son déficit budgétaire.

Par-delà ses divisions, la majorité du monde musulman paraît aujourd’hui obsédé par le respect des normes juridiques et la fameuse charia. Comment expliquer cette léthargie intellectuelle ?

La mauvaise gouvernance l’ignorance, l’impact de la propagande salafiste, le recul de la culture, le peu de pratique des langues étrangères, la dégradation des conditions de vie et ce qui va avec dans la plupart des pays musulmans, ont constitué un terreau fertile pour le retour à l’islam dans sa version la plus rigoriste.

Ce rigorisme s’apprête-t-il à contaminer l’Occident comme dans Soumission de Michel Houellebecq ?

Le capitalisme n’a pas d’états d’âme. L’essentiel est dans le profit. Sans avoir lu le roman de Houellebecq, je sais que l’Occident, en crise, a toujours été un immense marché pour les appétits de consommation des richissimes monarchies pétrolières.

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est journaliste.

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