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En avant la musique?

Un billet d'humeur de Marie-Hélène Verdier


En avant la musique?
Paris 21 juin 2023 © Tom Nicholson/Shutterstock/SIPA

Ah ! Ce Jack Lang !


C’était hier le solstice d’été : la fête de la musique, ce jour le plus long de l’année, où on était invité, cette année, comme l’écrivait Rima Abdul Malak, ministre de la Culture, « à danser au son des fanfares… à  fermer les yeux, être transporté… à jongler en se promenant dans un parc ou dans la rue entre rock et folk, chansons et sets… » J’étais prête à tout : éprouver de nouvelles sensations, découvrir de nouveaux sons, retrouver d’anciennes danses, bref, « m’ambiancer » comme il s’écrit partout. Je parcours internet. Partout, on ne parle que de french touch, partout everybody dance now. Nice organise son DJ Set on the bike, il y a des goodies à gagner partout. À Paris, dans une église, un ensemble vocal, Classic’n Swing propose un very best of de musique sacrée. Il est vrai, direz-vous, que Nantes fête en musique bretonne son fest-noz (fête de nuit). Qu’un groupe d’évangélisation annonce, sur sa page Facebook, une fête de la musique « du feu de Jésus »? Que des chorales s’épanouissent, en cherchant bien, ici et là. Mais, quoi qu’en dise la ministre de la Culture, des vertus du pass Culture, et même si le must de l’année 2023 est la soirée « féminine et inclusive aussi belle qu’éclectique » du Palais-Royal, ce soir, je reste dans mon quartier.

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Rendez-vous rue Mouffetard

Quartier latin, comme on disait. Et disent encore certains touristes. Beau quartier en vérité ! Avec ses chantiers, ses bikes, vautrés aux carrefours et ses poubelles vert pâle claquant au vent. Ce soir, la place de la Mouffe est pleine à craquer. Les bras en l’air, ça crie, ça hurle. Sur la place, des ballons en plastique gonflent une petite grappe multicolore. Je me faufile entre quelques vieux gars (peu) et des jeunes filles, aux yeux lourds d’un rimmel des années 60, les narines entravées d’un anneau, robes légères sur de lourdes bottes. Un boomer, éprouvant sans aucun doute « le mélange des générations non pas comme un concept mais comme une promesse tenue par les chorales, les ensembles, les harmonies » bouge instinctivement l’épaule et se dandine. Quelques saucisses dépassent des bouches : c’est la fête de la musique.

En contrebas, le café de la Méthode déborde : c’est bon pour le commerce. Boulevard Saint-Germain, un trio arménien, solitaire, chante, dans le noir, a capella. Je m’arrête. À l’angle du Boulevard Saint-Michel, une soixantaine de personnes lèvent les bras, par vagues, en criant, devant un café. Le Boulevard Saint-Michel, défoncé, aux devantures de carton, est presque désert. Place de la Sorbonne, le temps s’est arrêté : trois musiciens jouent du jazz devant quatre personnes. Rue Soufflot, la foule reflue vers le Panthéon, s’agglutine, des voitures de police passent en hurlant.

Alors on danse

Il y a quelques années « la fête de la musique » commençait dès 16 heures. Les orchestres étaient assourdissants. Ça faisait un tel boucan dans la nuit que la police municipale devait intervenir. C’était infernal, mais, au moins, on râlait contre les énergumènes qui cassaient les oreilles sous la glycine de la place de l’Estrapade. Contre la musique techno qui nous pourrissait la vie. Contre la fête de la musique qui était tout sauf de la musique. Contre les tympans crevés et les acouphènes. Contre Jack Lang et la démocratisation de la musique. Contre l’État. Contre la mairie. Contre le temps et contre les mœurs. Contre l’air du temps. Contre le ciel, le soleil, la chaleur. Contre tout. Contre la décadence. Et, encore, contre Jack Lang. Ah ! Celui-là ! À présent, on ne râle plus : calfeutré chez soi, chacun subit, atone, les événements.

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J’ouvre la télé sur Emmanuel Macron fêtant la musique à l’Élysée. Et je me dis : le président mesure-t-il l’état de la France ? Le pays est à feu et à sang. Les Français n’ont pas de joie à vivre. Hier, nul besoin de fermer les fenêtres à cause du boucan. Alors, j’ai écouté deux puis trois fois le lied de Schubert, An die Musik, si beau, si triste, si vrai, chanté par Kathleen Ferrier. Et j’ai relu le poème qu’Yves Bonnefoy avait dédié à cette voix qui semblait « connaître les deux rives : l’extrême joie et l’extrême douleur ». Car enfin, me dis-je, bon sang de bon soir, le 21 juin, c’est quand même la musique qu’on devrait célébrer ! La musique ! Elle adoucirait peut-être des mœurs redevenues barbares ! 

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Marie-Hélène Verdier est agrégée de Lettres classiques et a enseigné au lycée Louis-le-Grand, à Paris. Poète, écrivain et chroniqueuse, elle est l'auteur de l'essai "La guerre au français" publié au Cerf.

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