La Journée internationale des femmes a tenu ses promesses. Pour autant, toutes les femmes ne sont pas bêtes.
La Sainte gonzesse, comme dirait Élisabeth Lévy, n’a pas manqué de nous apporter son lot habituel de sottises. Notre Transparent de la République a ouvert le bal avec un hommage à Gisèle Halimi qu’il n’a pas hésité à doter « d’une fièvre indocile et d’une colère brûlante ». Un peu comme les Français actuellement. Puis, notre Pérorant, montrant qu’il n’avait pas égaré sa verve en Afrique, a promis ce que nous attendions tous : « graver dans le marbre de la Constitution la liberté des femmes à recourir à l’interruption de grossesse ». Pas de quoi, jusque-là, malmener un clavier. C’était sans compter, toutefois, sur le dernier ouvrage néo-féministe paru et promu, en ce 8 mars, toujours, dans la réjouissante émission Quotidien, animée par Yann Barthès et Maïa Mazaurette, subtils thuriféraires du progressisme. Comme quoi, on n’est jamais déçu.
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Cette nouvelle entreprise, quoique littéraire et néo-féministe, nous laisse perplexe. Elle est ainsi présentée dans Quotidien : Sarah Barukh, « écrivaine » de son état, fut – on en est, bien sûr, désolé pour elle – victime de « violences conjugales ». Forte de cette double légitimité, elle a « pensé et conçu » un « ouvrage collectif » d’un goût que nous estimons pour le moins douteux, confinant à l’exhibitionnisme, voire… au viol. Ce recueil, intitulé 125 et des milliers, rassemble 125 portraits de femmes tombées sous les coups de leurs conjoints. Ces esquisses ont été exécutées, si j’ose dire, par des personnalités du monde de la culture et de la politique.
C’est après avoir fui l’emprise et la violence de son ex-compagnon que Sarah Barukh s’est lancée dans ce « projet de transmission, de résonance (…), un travail collectif de mémoire. » Durant deux ans, a-t-elle expliqué, elle a approché les familles de victimes de « féminicides » pour enregistrer des témoignages, concernant les défuntes. Les bandes-son recueillies ont été ensuite confiées à d’autres femmes désignées comme « ambassadrices » des victimes, missionnées pour « mettre des mots sur les maux » selon l’expression con-sacrée. Il s’agissait de réaliser « des odes à la vie », explique Sarah Barukh, très à l’aise avec les expressions passées dans le domaine public. Une seule consigne, précise-t-elle : « Raconter qui était la femme et comment elle est morte. »
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Contre la masculinité toxique, tous les coups sont permis
Ces « ambassadrices » sont des privilégiées. Elles ont échappé, par miracle, on n’en doute pas, à une prédation et à une masculinité, toxiques, ataviques. Ces 125 Élues dont, Aure Atika, Titiou Lecoq, Andréa Bescond, Leïla Slimani, Valérie Trierweiler, Julie Gayet ou Marlène Schiappa et bien d’autres, sont passées à travers les chausse-trappe et les embûches mises sur leur chemin par les mâles, mauvais. Elles ont eu la chance, non pas simplement de survivre, mais, de s’accomplir, en France, au XXIe siècle ! C’est donc en toute humilité et dans une démarche de sororité qu’elles se sont mobilisées, généreuses. Elles n’ont pas hésité à engager leur notoriété et leur plume, souvent aussi alerte qu’élégante dans la lutte contre le « féminicide » qui gangrène la France. Prose, vers, lettres, chansons… Tous les coups furent, si j’ose dire, encore, permis. Ainsi, Andréa Bescond écrit, pour l’une des femmes assassinées :
« Alham est morte à cause de la police. (…)
Elle est morte car un individu a sali ses rangs en bafouant sa promesse d’aider les citoyens. (…)
Alham est morte de la violence d’un homme et de la lâcheté d’un autre.
Alham est morte à cause du mépris des femmes et pour leur condition.
Alham est morte car notre société est profondément misogyne. »
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Nous profitons, nous aussi, de l’occasion qui nous est donnée pour le rappeler : « La police tue ». Elle prête même main forte, dans nombreux cas, aux auteurs de « féminicides ».
Malaise
Le plateau de Quotidien réunissait, pour évoquer l’audacieux recueil, Sarah Barukh l’instigatrice de ce projet humanitaire déconcertant, Julie Gayet, notre actrice nationale, venue, le croissant entre les dents promouvoir l’entreprise et, Delphine Horvilleur, dont on s’est demandé ce qu’elle venait faire dans cette galère. Peut-être n’était-elle là que pour nous aider à prendre la pleine mesure de l’obscénité de la sotte entreprise ? Si Julie Gayet a réussi, partant de l’enregistrement confié par Sarah Barukh, à faire le travail demandé, Delphine Horvilleur, elle, a achoppé sur l’obstacle : « J’aurais eu peur de violer quelque chose, de transgresser quelque chose » explique-t-elle.
Alors qu’elle s’interroge, je comprends la raison de mon propre malaise : « Dans cette démarche : comment on fait pour rendre un témoignage quand ça ne nous est pas arrivé, à nous ? » Sa contribution à l’ouvrage dérogera donc à la consigne donnée. Delphine Horvilleur invoque le poète Celan, pour qui il n’est donné à personne de parler à la place de l’autre : « Ne ventriloque pas ce dont ton ventre ne fut pas traversé. » Moi aussi, alors, j’ose l’affirmer : par-delà les outrances militantes et la prose médiocre dont on tartine ces femmes qui ne peuvent s’en défendre, sous couvert de leur rendre hommage, ces écrits sont pour elles un ultime outrage.
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Le recueil militant présenté, la femme a continué à être à la fête, sur le plateau progressiste. Maïa Mazaurette s’est lancée dans un état des lieux visant à rappeler combien il était difficile, à notre époque, entre données biologiques et sociologiques de définir ce qu’on désigne comme « femme ». Julie Gayet a ensuite précisé, sentencieusement : « On ne naît pas femme, on le devient. » Puis, dévoilant son esprit après sa culture, elle a finement ajouté: « On ne naît pas homme, non plus, on le devient. » Alors, Sarah, combattante, a lancé : « Une femme ? Y’a beaucoup à faire pour qu’on n’ait plus à nous poser cette question le 8 mars. » Delphine Horvilleur a vainement tenté de relever le niveau et d’élargir le débat : « Ce qui est important, c’est de dire ce que n’est pas une femme. Une femme n’est pas quelqu’un dont on a la propriété. » « Elle ne doit pas être restreinte à la sphère de l’intériorité, de la maternité, à être la femme de quelqu’un ou la fille de quelqu’un. » Las ! Par- delà le bien et le mâle, rien n’était plus possible.
La crainte de la récidive
Une femme est une femme, qu’on se le dise. Quant à tous les auteurs d’homicides, qu’on s’en occupe vraiment. Ça vaudra mieux que de se fourvoyer en marches blanches ou autres dépôts de gerbes et de nounours. Autre urgence, il faut arrêter Sarah Barukh, avant qu’elle ne récidive. Je vous livre, à toutes fins utiles, ces quelques mots de la postface de son ouvrage : « Il y aura donc deux livres après celui-ci. Du moins je vais tout faire pour. Le prochain donnera la parole aux hommes. Les violents, les absents, les conscients. Pour comprendre ce qu’ils espèrent, le rôle qu’ils pensent parfois tenir, l’idée de la femme parfaite qu’ils se sont forgée (…) leurs réflexions sur la virilité de demain… Et puis le dernier tome de cette trilogie tentera de rassembler hommes et femmes pour s’intéresser à l’amour ensemble, peut-être… »
C’est encore Flaubert qui aura, heureusement le mot de la fin : « La terre a des limites, mais la bêtise humaine est infinie. »
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