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Mort d’Éric Masson: la police française n’est plus confrontée à une criminalité usuelle

Éric Masson n'est pas mort à cause de la drogue !


Mort d’Éric Masson: la police française n’est plus confrontée à une criminalité usuelle
Hommage de policiers à Avignon après la mort du brigadier de police Eric Masson © Daniel Cole/AP/SIPA Numéro de reportage : AP22565896_000009

Suite à la mort d’Éric Masson, quatre suspects ont été interpellés dimanche, a-t-on appris. Des milliers de personnes se sont rassemblées pour saluer la mémoire du policier tué à Avignon sur un point de trafic de drogue, le 5 mai. L’analyse de Philippe Bilger.


Comme l’a dit un syndicaliste policier qui a rectifié le ministre de l’Intérieur, le brigadier Éric Masson assassiné le 5 mai en plein centre-ville d’Avignon, n’est ni un soldat ni un héros mais un fonctionnaire de police. Il n’est pas mort à cause de la drogue, même si la police est intervenue pour un « deal » et qu’apparemment le tireur (sans doute) et trois complices ont été interpellés dans la soirée du 9 mai alors qu’ils fuyaient vers l’Espagne. Gérald Darmanin a déclaré qu’ « il n’y a pas de zones de non-droit en France, les policiers vont partout; c’est une lutte permanente contre cette merde qu’est la drogue ». On sait que cette proclamation, pour volontariste qu’elle soit, ne correspond pas totalement à la réalité. La police ne va pas partout. D’abord parce qu’elle n’est pas incitée à le faire sans discrimination. Ensuite en raison du risque permanent que ses légitimes interventions suscitent dans des cités où une minorité prête à tout pour préserver ses trafics s’en prend à elle sans vergogne. Enfin parce qu’une police républicaine aurait le devoir d’accomplir sa mission sur tout le territoire national mais encore faudrait-il qu’elle ne soit pas présumée coupable face aux voyous qui l’agressent – et trop mollement défendue par des autorités politiques qui préfèrent lui rendre hommage par le verbe plutôt que par un soutien constant et effectif…

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Ce n’est pas le trafic de drogue qui a tué le brigadier Masson. Combien de deals, de livraisons, d’échanges et de turpitudes liés à la drogue, surabondants en France au quotidien, qui ne se sont jamais terminés par un meurtre ? La terrifiante nouveauté est d’abord dans l’arrogance d’un trafic en plein centre-ville mais surtout dans le constat que les malfaiteurs d’aujourd’hui, à cause de la faiblesse de plus en plus délétère de ce pouvoir, n’hésitent pas à tirer sur un fonctionnaire de police, à le tuer comme s’il s’agissait, à cause d’un misérable trafic de drogue, de la chose la plus naturelle du monde. Je comprends bien pourquoi Gérald Darmanin cherche à relier absolument l’assassinat du brigadier Masson à la drogue : cette explication entoure d’une horrible rationalité le fait criminel. Mais l’ignoble dépasse ce cadre, il est qu’un dealer, sans autre motivation que le désir de fuir, dans le rapport entre sa délinquance et le pire qu’il va commettre, choisisse ce dernier. Parce que la police n’est plus rien et que cet État ne fait plus peur.

Éric Masson n’est pas mort à cause de la drogue, de la même manière que le féminicide à Mérignac est d’abord la conséquence d’une honteuse exécution des peines. Derrière les apparences, il y a, à chaque fois, un désastre structurel et humain qui angoisse et indigne encore davantage. Je ne me moque pas de l’offensive contre les 4 000 points de deals mais on sait bien que même si elle se poursuit, elle n’aboutira jamais à l’éradication de ce fléau, par l’usage puis par le trafic qu’il induit nécessairement, à une petite comme à une grande échelle. Je n’ai pas besoin d’invoquer la drogue pour tenter de faire croire qu’une politique s’élabore et que miraculeusement la police sera sauve et que demain nous aurons enfin un monde pacifié. J’ai le sentiment que nous ne sommes plus confrontés à une violence ordinaire, à une criminalité usuelle. Mais au déchaînement d’êtres qui s’ébattent dans l’espace national en méprisant les forces, police et Justice, qui devraient les intimider.

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Pour nous consoler, comme à Mérignac on ordonnera une inspection des services judiciaires qui nous dira que tout a été normal, et qui ne servira à rien. Si exceptionnellement des fautes étaient relevées, comme elles ne seront pas sanctionnées ni les responsables fustigés, l’eau criminelle continuera à couler sous les ponts. Si l’assassin d’Avignon est appréhendé, une information sera ouverte, le procès d’assises aura lieu mais dans combien de temps ? L’émotion se sera dissipée et on aura oublié qu’en plein centre-ville un homme a froidement abattu un brigadier de police. J’en ai par-dessus la tête et le cœur des mots stériles du pouvoir. Je songe aux policiers qui sont blessés ou tués. Je refuse que la police doive se justifier comme si la légitime défense était du seul côté des voyous.

Éric Masson n’est pas mort à cause de la drogue. Mais parce qu’à force de ne plus être crainte, la force a changé de camp et est devenue impunité et arrogance chez les malfaiteurs. On attend avec impatience les leçons des humanistes professionnels. Ils déplorent. Mais le brigadier Masson est mort.

Ni héros ni soldat. Brigadier de police.



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Magistrat honoraire, président de l'Institut de la parole, chroniqueur à CNews et à Sud Radio.

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