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Emmanuel Macron ou la boursouflure du moi

Les ministres ont un devoir d'exemplarité. Le savent-ils encore ?


Emmanuel Macron ou la boursouflure du moi
Emmanuel Macron lors du sommet de la Communauté politique européenne à Prague le 7 octobre 2022 Stringer/SPUTNIK/SIPA 01090484_000017

Les explications données par président de la République justifiant sa décision de ne pas renvoyer le secrétaire général de l’Elysée et le garde des Sceaux sont faibles. S’il les a sauvés, il semble que c’est plutôt parce qu’il voulait le faire et qu’il en avait le pouvoir.


Ce titre m’est venu naturellement quand j’ai pris connaissance des explications qu’a données le président de la République, en marge du sommet de Prague, pour justifier son parti immédiat de maintenir à leur poste Alexis Kohler, le secrétaire général de l’Elysée, et Eric Dupond-Moretti, le garde des Sceaux.

En effet, si on enlève le vernis de la dialectique et l’habileté d’une mauvaise foi tentant de se faire passer pour deux évidences, il ressort de ses propos le caractère éclatant d’une démocratie réduite à son « je » et, sans l’ombre d’une mauvaise conscience, une authentique boursouflure du « moi ».

Alexis Kohler n’est pas ministre, a beaucoup travaillé et il a toute ma confiance. La procédure ayant abouti à sa mise en examen avait été initialement classée sans suite – il aurait pu ajouter « grâce à mon immixtion personnelle dans ce dont je n’aurais pas dû m’occuper » – et, par conséquent, sa mise en examen n’a pas à avoir une incidence sur ma décision administrative de le garder auprès de moi. Circulez, il n’y a plus matière à protester !

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Quant à Eric Dupond-Moretti, il s’agit seulement d’une « saisine des syndicats de magistrats… n’impliquant que des magistrats… sans lien avec le ministre et la morale » (JDD)

On pourrait s’écrier « chapeau l’artiste ! », si n’était pas révélé, de manière ostentatoire, son seul souci de sauver à tout prix certains des siens, avec une argumentation dont la faiblesse insigne vient du fait qu’elle se réduit à : « Ce sera comme cela parce que je le veux ». Dans l’alternative susceptible de s’offrir à lui – démissions ou non -, le président a radicalement éliminé la première branche, les faire partir, pour ne se consacrer qu’à la seconde, les garder.

Il aurait dû, avant même la pauvreté de sa défense, questionner la singularité à venir d’une situation qui permettra au ministre de proposer bientôt le nom d’un nouveau procureur général près la Cour de cassation susceptible de soutenir éventuellement l’accusation contre lui devant la Cour de Justice de la République ! Avec la conséquence, alors, d’un conflit d’intérêts massif ! 

Il est étonnant aussi que le garde des Sceaux ait dû son renouvellement, Elisabeth Borne étant devenue Première ministre, essentiellement à l’influence de Alexis Kohler qui a plaidé pour lui. Ce couple, décidément, est indissociable, sous le regard complice de son protecteur…

Le président de la République se moque à l’évidence de ces obstacles de droit et de bon sens, persuadé d’une part que nul n’a le droit de s’opposer à son autorité et que, par ailleurs, la magistrature est un corps bien trop passif et soumis pour mériter la moindre considération autre que superficielle.

Nicolas Sarkozy – on doit les comparer – avait une hostilité franche, ouverte, brutale à l’égard des magistrats du Syndicat de la magistrature et de ceux qui plus tard instruiraient dans les procédures le concernant. Mais, derrière cette animosité, il y avait de la passion, de l’indignation, de l’adhésion à l’égard du judiciaire lui-même.

Tandis qu’Emmanuel Macron a, sur un autre registre et selon d’autres modalités, le même mépris à peine dissimulé qu’il a éprouvé longtemps pour les Gilets jaunes. La même condescendance vaguement apitoyée pour un univers si peu respectable qu’il ne le fait même pas entrer dans le champ de la République. Un monde à part… La prise illégale d’intérêts, c’est seulement une affaire de magistrats initiée par des magistrats et dont les effets transgressifs ne toucheraient que les magistrats !

Comment le président de la République peut-il à ce point oublier ce que le candidat avait déclaré en 2017 ? Une mise en examen l’empêcherait de se présenter et un ministre mis en examen sous son mandat devrait évidemment démissionner. Le président se devait d’être le garant du bon fonctionnement de nos institutions…

Ces assertions conformes à l’esprit républicain seraient-elles devenues caduques au fil d’un pouvoir présidentiel de plus en plus mobilisé par la sauvegarde de ses soutiens les plus proches ? Prêt à jeter par-dessus bord les exigences, un temps respectées, de la morale publique pour les renier par pur caprice régalien ? 

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J’avais, il y a longtemps, traité Nicolas Sarkozy de « Caligula au petit pied » et je me l’étais vu vivement reprocher. Pourtant, suis-je grossier et excessif si Emmanuel Macron m’apparaît, lui, tel un Caligula soyeux, urbain, élégant, bien plus pervers que l’autre, occultant l’autocrate qui l’habite sous des dehors de familiarité et de proximité forcées ?

Comment une intelligence aussi complexe et subtile que celle d’Emmanuel Macron ose-t-elle développer cette absurdité que le ministre ne serait pas impliqué dans cette querelle ? Alors que c’est précisément à cause de sa nouvelle fonction, par rapport à celle ancienne d’avocat, que la prise illégale d’intérêts, sauf cassation, le conduira à être jugé le moment venu par la Cour de Justice de la République ? Et dans des conditions où il aura pu faire nommer son accusateur !

Comment Emmanuel Macron a-t-il le front d’affirmer que la « morale » ne serait pas trahie par ce processus délétère unique en France pour un garde des Sceaux ? Et que le renvoi d’Eric Dupond-Moretti devant la Cour de Justice de la République, avec l’inévitable discrédit éthique d’aujourd’hui, ne serait pas de nature à entraver son activité ministérielle, à la délégitimer ? Où serait donc la « morale » si elle n’était pas prioritaire pour un ministre de la Justice ne pouvant s’autoriser la moindre contradiction entre l’honneur de sa mission et la réalité de son comportement ?

Pour Alexis Kohler, nous n’avons même pas l’ombre d’une démonstration tant les vertus qui lui sont prêtées sont à la fois indiscutables mais hors sujet, puisque ce qui lui est reproché a trait à une période antérieure au Secrétariat général de l’Elysée.

Que le président de la République cesse de feindre : il a consenti à jeter quelques piécettes de justifications dérisoires puisque l’essentiel était ailleurs.

Nul besoin de décence, de démocratie, d’écoute des citoyens, de respect pour la magistrature, de considération pour la chose publique, d’estime pour le pouvoir lui-même puisque deux fonctions fondamentales – à l’Elysée et au sein du Gouvernement – seront fragilisées : puisque le débat a eu lieu avec les deux intéressés et en moi-même et que j’ai décidé que ce que je voulais était juste et vrai !

Je ne m’explique pas que face à cette boursouflure du moi, à cette pratique impérieuse qui n’a rien à voir avec le champ considérable qui est dévolu légitimement au président par la Constitution, personne ne regimbe, qu’aucune instance ne se révolte, qu’aucune institution ne se dresse et qu’au contraire, malgré les effervescences parlementaires pour tout ou rien avec des dérisions et des vulgarités les accompagnant, on passe pourtant quitus de ce qui va encore aggraver le sentiment populaire d’amertume et de défiance. Trop d’indignations ici, pas assez là !

Ainsi on peut demeurer Secrétaire général et ministre dans ces conditions sans que rien ni personne ne frémisse !

Pourtant, des tréfonds de la société, monte cette aigre et douloureuse interrogation : s’ils ne sont pas exemplaires, pourquoi devrais-je l’être ?

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Magistrat honoraire, président de l'Institut de la parole, chroniqueur à CNews et à Sud Radio.

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