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Deux femmes du monde


Deux femmes du monde
Le Monde aurait refusé de publier les désormais célèbres enregistrements des conversations téléphoniques de Liliane Bettencourt.
Liliane Bettencourt
Le Monde aurait refusé de publier les désormais célèbres enregistrements des conversations téléphoniques de Liliane Bettencourt.

La rumeur n’était pas arrivée au bord du lac finlandais où je me purifiais des miasmes de l’Hexagone, mais elle ne manqua pas de s’offrir à moi dès mon atterrissage à Roissy. Ainsi, Le Monde aurait refusé de publier les désormais célèbres enregistrements des conversations téléphoniques de Liliane Bettencourt. Ils auraient été proposés en première exclusivité à la chroniqueuse judiciaire de ce quotidien, Pascale Robert-Diard, par Me Olivier Metzner, l’avocat de Françoise Myers-Bettencourt qui veut faire passer sa vieille mère pour folle. Pascale Robert-Diard explique sur son blog comment les choses se sont passées.

Comme cette journaliste n’est pas une perdrix de l’année, et qu’elle traîne dans les prétoires depuis quelques lustres (au moins deux), elle a vu venir Olivier Metzner avec son air chafouin essayant de lui fourguer « du lourd » susceptible de faire d’elle l’héroïne du feuilleton politico-judiciaire de l’été. Il s’agissait, bien entendu, des enregistrements pirates réalisés par l’ex-majordome de Liliane Bettencourt que Médiapart et Le Point trouvèrent assez croustillants pour être publiés in extenso sur le web plénélien et le papier glacé de l’hebdo dirigé par FOG. Ces deux médias se sont complaisamment prêtés au rôle de « lessiveuse » d’une information faisandée, qui acquiert une blancheur toute neuve après passage en machine.

Au risque de passer pour un affreux régionaliste, je salue les vertus savoyardes incarnées dans la circonstance par Pascale Robert-Diard, native d’Arêches-Beaufort : on n’achète pas, dans les alpages de la marchandise avariée pour la revendre avec bénéfice aux touristes de passage, même si l’on se trouve dans une situation d’extrême dénuement. Quelle tentation, pour un quotidien au bord de la cessation de paiement, de faire un coup susceptible de faire exploser les ventes, et de calmer les angoisses des candidats-repreneurs Bergé, Niel et Pigasse ! Surtout que le risque est quasi nul : quelques envolées lyriques sur le « droit de savoir » du public rédigées d’une plume alerte par un hiérarque du journal auraient fait passer la pilule auprès du dernier carré des lecteurs du Monde qui estiment qu’il est immoral d’écouter aux portes, et de rendre publics les échanges entre un avocat et sa cliente.

Journalisme de procès-verbal

La directrice de la rédaction, Sylvie Kauffmann, n’est pas savoyarde, mais alsacienne et épouse d’Alsacien. Ce couple ferait d’ailleurs un tabac s’il se produisait en public pour interpréter le célèbre duo de l’opérette Lischen et Fritzschen de Jacques Offenbach : « Che suis alsacienne, Che suis alsacien etc. ». Disons, pour résumer, que son éthique du journalisme est relativement éloignée de celle de l’homme qui occupa jadis son fauteuil, l’incontournable Edwy Plenel. Elle ne considère pas le métier d’informer comme la forme moderne d’une inquisition à laquelle seuls les détenteurs du pouvoir, pervers par essence, seraient soumis, ce qui permet d’utiliser comme viatique moral cette fin justifiant les moyens des jésuites de jadis. Dans une analyse publiée dans Le Monde du 13 juillet, elle vend la mèche, au risque de se faire mal voir des autres professionnels de la profession : le prétendu journalisme d’investigation, comme l’exercice du pouvoir politique, est susceptible de dériver vers des pratiques nauséabondes que Kauffmann désigne sous le nom de « journalisme de procès-verbaux ». En la matière, la position du journaliste n’est pas très différente de celle du majordome qui écoute aux portes avec la technologie du XXIe siècle : c’est une sorte de valet de comédie qui vient crier sur le devant de la scène les mots que lui souffle son maître depuis la coulisse. En l’occurrence, le maître est un avocat qui veut gagner à sa cause le poids de l’opinion publique pour compenser les faiblesses juridiques de son dossier. À lire les commentaires publiés sur lemonde.fr à la suite de ce papier de Sylvie Kauffmann, il semble que les lecteurs soient en majorité du côté des bateleurs de l’information du genre Plenel : « on nous cache tout, on nous dit rien, journaleux, politicards même combat ! », telle est la litanie des offuscations du peuple-lecteur à propos de la thèse défendue par Kauffmann, pourtant nuancée et donnant toute sa place au rôle de contre-pouvoir de la presse dans une démocratie digne de ce nom.

Tout cela me ramène à des temps très anciens, où ma géniale prof de philo d’hypokhâgne, Jeannette Colombel, qui fut aussi – bien plus tard dois-je préciser par galanterie – celle de Pascal Robert-Diard, nous faisait plancher sur le thème « morale et politique » avec Kant, Sartre et Camus. C’était au moment de la guerre d’Algérie, mais les notes que j’avais prises à l’époque pourraient encore me servir si elles n’avaient été victimes de la critique rongeuse des souris. À l’époque, Plenel était en culotte courte, et n’allait pas tarder à découvrir dans Leur morale et la nôtre de Lev Davidovitch Bronstein, dit Léon Trotski, de quoi alimenter sa bonne conscience inoxydable. Heureusement, deux femmes d’honneur peuvent me permettre de rêver, quelques instants, que le journalisme est un beau métier.



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