Départementales : la quadrature du tripartisme


Départementales : la quadrature du tripartisme

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On retiendra de la soirée électorale du 22 mars 2015 la remarquable rapidité avec laquelle les leaders des trois principales formations en lice, PS, UMP, et FN, sont venus donner leur interprétation du scrutin. En une salve groupée, moins d’une demi-heure après la divulgation des premières estimations – d’ailleurs notablement différentes selon les médias – Manuel Valls, Nicolas Sarkozy et Marine Le Pen ont entonné leur chant de victoire (ou de non-défaite). Chacun trouvait sa pitance au fond des urnes : pour Manuel Valls, la gauche, toutes écuries confondues, fait quasi jeu égal avec la droite dite classique, Nicolas Sarkozy évoque avec gourmandise la vague bleue départementale attendue pour le 29 mars, prélude à sa future marche triomphale sur l’Élysée, et Marine Le Pen, tout sourire, savoure l’enracinement national de son parti.

Cette hâte n’avait qu’un seul objectif, tuer un débat fondé sur une analyse fine des résultats, dont les conclusions auraient été moins réjouissantes pour les deux blocs dits de gouvernement : l’exposé des contradictions internes de l’alliance UMP-UDI et les oppositions frontales au sein de la gauche auraient fait désordre. Alors, il fallait inciter le téléspectateur à aller se coucher ou à zapper sur l’excellent Classe tous risques de Claude Sautet, diffusé sur Arte.

L’enjeu réel de cette élection, la gestion des départements, où l’on a du mal à distinguer, sauf à la marge, les différences entre les politiques menées par les exécutifs de gauche ou de droite, a été sciemment évacué, d’un commun et tacite accord.

Tout le monde s’est repositionné pour l’avenir, en prenant acte que la Ve République, pour la première fois de son histoire, doit s’accommoder d’un tripartisme bien ancré. L’œil rivé sur l’élection présidentielle de mai 2017, les principaux postulants à l’Élysée ont utilisé ce scrutin local pour conforter leur hégémonie sur leurs camps respectifs.[access capability= »lire_inedits »]

Marine Le Pen a de bonnes raisons de se réjouir : bien que le FN, pour des raisons techniques, n’ait pas confirmé son statut de premier parti de France acquis, pour des raisons non moins techniques, lors du scrutin européen, elle voit sa ligne validée par la croissance exponentielle de ses élus locaux, la conquête possible de quelques départements, peu nombreux mais symboliques, et son statut de faiseur de roi conquis dans ceux qui n’ont pas dégagé de majorité claire. Elle forme un binôme gagnant avec Florian Philippot, marginalisant encore plus la vieille garde des fidèles de son père. Autre satisfaction, les excellents résultats obtenus dans les cantons où le FN avait remporté des succès aux municipales : l’expérience du « lepénisme réellement existant » dans les territoires n’a pas déçu, pour l’instant, l’électeur, en dépit des prophéties autoréalisatrices de ses détracteurs. Marine Le Pen sera au second tour de l’élection présidentielle, car elle n’aura pas à se soucier de l’humeur d’alliés incommodes et exigeants ni à craindre la concurrence de candidats mineurs venant chasser sur ses terres. De plus, la bonne performance de mars laisse présager un résultat encore meilleur en décembre, lors des élections régionales, où le mode de scrutin (proportionnel avec une prime à la formation arrivée en tête) laisse espérer au FN la conquête de deux ou trois régions.

François Hollande, en dépit de la déculottée (copyright Pascal Perrineau) subie par le PS sur le terrain, peut trouver quelques motifs pour se consoler, à défaut d’espérer. Le tour de passe-passe arithmétique consistant à présenter comme des forces égales le bloc de gauche et celui de la droite traditionnelle relève de la pure communication interne : lorsqu’une partie du bloc de gauche vote une motion de censure contre un gouvernement socialiste, on peut légitimement s’interroger sur la solidité de ce bloc… Néanmoins, cet artifice a pour effet de placer le Front de gauche et les Verts anti-Hollande dans la seringue : s’ils persistent dans leur rébellion, ils seront rendus responsables de l’élimination de la gauche au second tour de la prochaine élection présidentielle. Les «  frondeurs » du PS sont déjà rentrés dans le rang, et le duo Hollande-Valls n’a plus à craindre que le congrès du parti, en mai, se transforme en tribunal populaire contre le président et son Premier ministre. Petite joie supplémentaire, la débâcle des socialistes dans le département du Nord, jadis forteresse imprenable de la gauche, met un bémol à la prétention de Martine Aubry de s’ériger en alternative crédible aux dérives sociales-libérales de l’exécutif, qu’elle condamne par « frondeurs » interposés.

La prochaine étape, déjà en cours, consiste à faire exploser les Verts et le Front de gauche, en réintégrant au sein du gouvernement les écologistes « hollandiens », et en détachant une partie du PCF de l’alliance avec le « syriziste » Jean-Luc Mélenchon. Cet objectif est en passe d’être atteint : l’émergence, à gauche du PS, d’une force capable de mettre un terme à son hégémonie sur son camp, à l’image de Syriza en Grèce ou Podemos en Espagne, s’est brisée sur les départementales. Le modèle grenoblois n’a pas fait école au-delà de la ville de Stendhal.

Cette recomposition à gauche devrait sonner le glas de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, qui sera sacrifié sur l’autel du retour des Verts raisonnables au bercail. Le bateau communiste devrait sérieusement tanguer lors des élections régionales, où les sortants, élus sur des listes d’union avec le PS, seront placés devant un dilemme : périr seuls ou survivre comme supplétifs des socialistes.

Cette fracture, apparue lors des élections municipales, n’a pas été suffisamment remarquée par les commentateurs. Mais cela suffira-t-il à empêcher une candidature gauchiste à la présidentielle, mortelle pour François Hollande ? Il est permis d’en douter. Comme l’espoir fait vivre, on mise beaucoup, à l’Élysée et à Matignon, sur une embellie économique qui donnerait de l’air au pouvoir, permettant de desserrer l’intolérable pression fiscale sur les classes moyennes et de doper le marché de l’emploi par la relance des investissements publics. C’est oublier que la France n’est pas seule en Europe.

La mansuétude de Bruxelles lors de la présentation de son budget 2015, et le sursis qui lui a été accordé pour réduire son déficit à la hauteur des 3 % du PIB réglementaires, devait beaucoup à la crainte d’Angela Merkel de favoriser l’ascension de Marine Le Pen par trop d’intransigeance. Il n’en sera plus de même à l’avenir, et c’est la principale victoire de Nicolas Sarkozy. Son succès, incontestable, dans la reconquête des territoires a convaincu Berlin, et au premier chef la CDU, qui observe à la loupe la situation politique française, que la droite hexagonale était à nouveau en ordre de marche, qu’elle avait mis ses querelles d’ego en veilleuse, et refondé une alliance solide entre son courant conservateur et son courant libéral, à l’image de celle qui unit la CDU et la CSU bavaroise. À Berlin, on est aujourd’hui plutôt confiant dans la capacité de Nicolas Sarkozy de tenir sa boutique, et de la mener vers la victoire en 2017. Les Allemands ayant une sainte horreur de la nouveauté et de l’inconnu, cela n’est pas pour leur déplaire : ils gardent un souvenir ému du couple « Merkozy » en temps de crise. Le temps des petits cadeaux de l’UE à la France socialiste est donc révolu, d’autant plus que ce traitement de faveur a le don d’irriter les partenaires européens de l’Allemagne plus radicaux encore dans la défense de la rigueur budgétaire. De toute façon, il faut s’y faire. L’agence immobilière en charge de choisir le prochain locataire de l’Élysée s’est délocalisée à Berlin. C’est loin d’être une bonne nouvelle.[/access]

 *Photo : BEBERT BRUNO/SIPA. 00709262_000011.

Avril 2015 #23

Article extrait du Magazine Causeur



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