École : 40 ans de réformes


École : 40 ans de réformes

haby chevenement peillon chatel

 « Najat, si tu savais, ta réforme où on s’la met… » Depuis quarante ans, c’est toujours la même chanson paillarde. À chaque nomination d’un ministre de l’Éducation nationale succède l’annonce d’un projet de « réforme », immédiatement suivie d’un mouvement de contestation. « Aucu, aucu, aucune hésitation… », hurlent les profs, qui ne se lassent pas plus que les réformateurs. Après quatre décennies de réformes, tous s’accordent pourtant sur le diagnostic : l’école de la République va mal, peut-être même de plus en plus mal. Reste à savoir si la potion de la réforme accélère la destruction ou si elle vient trop tard, et à trop faible dose, pour sauver un paquebot à la dérive. De l’œuf ou de la poule…

Comme dans beaucoup d’autres domaines, l’histoire n’en finit plus de bégayer depuis les années 1970. Le fameux « collège unique », expression tellement ressassée qu’on ne se demande même plus ce qu’elle signifie, remonte en effet à 1975. Cette année-là, le ministre de l’Éducation nationale René Haby fait sauter la cloison entre le « collège technique », menant directement à la vie active, et la filière générale, qui donne accès à l’enseignement supérieur. Mais le processus d’unification avait commencé sous de Gaulle, avec la création du « collège d’enseignement général » (CEG) en 1959, puis celle du « collège d’enseignement secondaire » (CES) en 1963. Il faut cependant attendre Giscard pour que la nécessité d’assurer « le recrutement socialement élargi des élites » justifie d’imposer une voie unique vers l’Université pour tous.

Tous ? Presque. À l’époque, il reste tout de même une barrière à franchir : le sacro-saint examen du baccalauréat, auquel échouent encore 30 % des élèves à l’aube des années 1980. De plus, les plus pressés de travailler – ou les moins prédisposés à un doctorat de physique nucléaire – conservent la possibilité d’écourter leur cursus. Le collège a beau être un et indivisible, il est encore possible d’intégrer une classe préprofessionnelle de niveau (CPPN) ou de s’orienter vers un certificat d’aptitude professionnelle (CAP). Bref, « l’égalité » n’implique pas encore que tout citoyen soit bac + 12.[access capability= »lire_inedits »]

Quatre décennies et d’innombrables réformes plus tard, c’est encore un nouveau collège que porte Najat Vallaud-Belkacem – avec les bras musclés de Manuel Valls. De la « rénovation d’ensemble du système national d’enseignement » en 1982 à la « refondation de l’école de la République » en 2015, l’Éducation nationale radote. À l’époque, déjà, Alain Savary entendait « donner à l’acte éducatif une dimension globale qui relie acquisition du savoir et développement de la personnalité ». Et ce, afin de « répondre enfin aux besoins, aux souhaits et aux difficultés des enfants ». Vincent Peillon et Najat Vallaud-Belkacem n’ont rien inventé, ils récitent la leçon.

Suite aux manifs monstres pour l’école libre, qui enterrent son projet de « grand service public unifié de l’Éducation », Alain Savary cède la place à Jean-Pierre Chevènement. Et un certain Éric Maurin découvre – eurêka ! – qu’une année d’étude supplémentaire correspond à un salaire supérieur de 10 à 16 %. En 1985, le nouveau ministre promet donc d’« amener 80 % d’une classe d’âge au niveau du baccalauréat ». Et la machine s’emballe. Avec la loi Jospin de 1989, c’est officiel, l’école n’est plus faite pour instruire. Un jargon toujours plus abscons accouche de gadgets toujours plus fumeux. On passe aux « méthodes de lecture idéovisuelles », tout enfant étant considéré comme un Champollion en puissance dès le CP. Se profilent déjà à l’horizon la théorie du genre, la tolérance de l’homosexualité et l’improvisation à la Jamel Debbouze, qu’il faudra bientôt enseigner aux enfants sur iPad…

Résultat : à la fin des années1980, ce sont 90 % des lycéens qui décrochent leur bac et, par la même occasion, le droit inaliénable d’être admis dans le supérieur… Adieu « l’excellence », les facs sont saturées d’étudiants qui y pataugent deux ou trois ans, avant de décrocher. Cette difficulté à poursuivre des études « universitaires » étant imputée à une spécialisation trop précoce – et certainement pas à un degré d’exigence en chute libre –, François Bayrou propose en 1993 un « nouveau contrat pour l’école », qui introduit la notion de « pluridisciplinarité » au collège. Toucher à tout pour mieux briller dans chaque matière, voilà qui fera vite des émules.

Dans l’intervalle, les flux migratoires ont explosé, et de plus en plus de gamins ont du mal avec une culture qui n’est pas celle de leurs parents. L’école s’est trouvé une nouvelle mission. Cinq ans plus tard, Claude Allègre prône donc « l’égalité dans la diversité » et promeut des « activités culturelles et citoyennes ». Mais le « mammouth » voit rouge, et écrase la réforme. Elle revient en 2002 avec l’iconique Jack Lang, qui réalise la quadrature du cercle : un collège « un et pluriel ». On applaudit l’exploit ! Les connaissances font place aux compétences, par nature « transdisciplinaires », et la transmission à la formation. Quant aux vieilles « disciplines », elles se décomposent en « savoirs, savoir-faire et savoir-être ».

Depuis 1975, le niveau de français est en chute libre. Du coup, en 2008, de nombreux « républicains » se réjouissent que Xavier Darcos réintroduise l’apprentissage traditionnel de la grammaire. Et, au passage, les bonnes vieilles tables de multiplication. Ils déchantent aussitôt : outre qu’ils attendaient mieux de l’agrégé de grec, il réduit l’enseignement primaire de 26 à 24 heures par semaine. Il initie aussi une réforme du lycée que les élèves « au cœur du système éducatif » refusent tout net. L’année suivante, c’est donc Luc Chatel qui s’y colle, en offrant plus d’autonomie aux chefs d’établissement et en réduisant les horaires de certaines disciplines au profit d’un « accompagnement personnalisé ».

Après avoir fini de mettre la pagaille dans les rythmes scolaires, grande réforme qui marquera son passage Rue de Grenelle, Vincent Peillon pousse l’autonomie un cran plus loin. Les collectivités locales ne se contentent plus de financer les établissements, mais y jouent un rôle pédagogique. Pour ce faire, des activités « périscolaires » sont confiées à des animateurs recrutés auprès d’associations choisies. Benoît Hamon poursuit dans ce sens, mais un remaniement le prive de rentrée scolaire. Najat Vallaud-Belkacem ne fait donc qu’accommoder à sa sauce un plat éprouvé par nombre de ses prédécesseurs. Son gadget à elle ? Les enseignements pratiques interdisciplinaires (EPI), dont le principe est simple : les élèves ont du mal à ingurgiter une matière ? Mixons-la avec une autre pour leur offrir un cocktail plus coloré, plus sucré ! Et qui sera en prime idéologiquement correct. En effet, parmi huit thèmes imposés au niveau national, six devront impérativement faire l’objet de ces EPI. Exemple : « Transition écologique et développement durable ».

Pour traiter ces sujets cruciaux, on dégommera donc les options latin-grec. Plus généralement, pour couper toutes les têtes qui dépassent, on fera disparaître tout enseignement suspect de nourrir un élitisme honni. Après les langues anciennes, ce sont l’allemand et les classes bi-langues qui trinquent. Le plus consternant, c’est qu’en même temps et toujours au nom de la justice, on fait également disparaître des possibilités de s’en sortir qui étaient données aux plus faibles, comme l’option « découverte professionnelle en classe de troisième », dite « DP3 », sacrifiée sur l’autel de « l’égalité pour tous ».

En sixième, trois heures d’accompagnement rognent sur les matières traditionnelles. Pas grave, puisque ces dernières ont de toute façon été fondues dans des ensembles « globalisés ». Traduction : un prof de biologie pourra assurer un cours sur les circuits imprimés. Ce qui laisse peu de chances aux élèves d’apprendre à réparer eux-mêmes leur iPad, en attendant le prochain gadget que leur concoctera le ministère.[/access]

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*Photo : DR.

Juin 2015 #25

Article extrait du Magazine Causeur



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