Je ne me souviens pas de Claire Chazal


Je ne me souviens pas de Claire Chazal

claire chazal balladur

Je m’aperçois qu’en vingt-cinq ans, je crois bien n’avoir jamais regardé un seul journal de Claire Chazal et que les rares fois où je l’ai (entre)vue, c’était pendant des zapping de soirées électorales. Son visage lisse, comme celui de beaucoup de journalistes de TF1, à l’époque, était un indice assez sûr du score de la gauche. On savait avant vingt heures, à une certaine crispation, un certain regard, un certain débit, une certaine inquiétude presque imperceptible si les Partageux avaient gagné.

Il ne fallait pas qu’elle s’inquiète comme ça, Claire Chazal : d’abord elle travaillait sur une chaîne de droite privatisée, lors de la première cohabitation, avec Bouygues comme patron qui avait emporté le morceau grâce au « mieux-disant culturel » et dont un des premiers gestes fut de virer Polac. Ensuite les Partageux n’ont gagné qu’en 1997 et 2012 et se sont révélés à l’usage assez peu partageux, en fait.

Vingt cinq ans, c’est pourtant un morceau d’histoire. Ça nous ramène en 1991. Presque une vie. Je ne me souviens pas, par exemple, si Claire Chazal a annoncé la fin de l’URSS. Surement. On ne peut pas dire qu’elle ait commencé par une bonne nouvelle. C’est dommage, du coup, qu’elle s’en aille à l’époque où l’Europe démocratique mime un demi-siècle plus tard le Bloc de l’Est et en reconstruit un peu partout, des murs, histoire d’éviter le Grand Remplacement.

Je me souviens, en revanche, que le nom de Claire Chazal est devenu tellement familier qu’il a fait partie d’une chanson pour noces et banquets, qu’on chante en fin de repas entre La danse des canards et le petit bonhomme en mousse ou quand votre équipe de foot marque un but décisif. Supporter du Losc, j’ai donc assez peu eu l’occasion de chanter, ces dernières années : « Il est vraiment / Il est vraiment / Il est vraiment phénoménal /La lalala lala la la lalala lala la /La lalala lala la la lalala lala la /Il mériterait /Il mériterait /Il mériterait d´être dans le journal /La lalala lala la la lalala lala la/ La lalala lala la la lalala lala la/ Dans le journal / Dans le journal /Dans le journal de Claire Chazal. »

On se moque, mais ce n’est pas réservé à tout le monde ce genre d’hommages. Barthes aurait pu mettre Claire Chazal dans ses Mythologies entre la DS, le bifteck frites, le Guide Bleu, Poujade et l’Abbé Pierre. Sauf qu’il faudrait placer Claire Chazal dans des Mythologies des années 90, entre les privatisations, l’Euro, les SDF, les restaurants de sushi, la Twingo et le téléphone portable. On a les époques qu’on mérite.

En même temps, comme trace dans l’histoire, ce n’est tout de même pas terrible. Claire Chazal aurait surement préféré qu’on se souvienne d’elle pour ses romans. Elle en a écrit deux : L’institutrice et À quoi bon souffrir ? Ils ont dû bien se vendre. Les gens aiment bien acheter les livres vus à la télé, écrits par des gens qui la font. Après, souvent, ils ne les lisent pas vraiment parce que ce n’est pas terrible. Ils ne l’avoueront jamais. Mais ça se vend bien,  et c’est le principal pour les éditeurs.

Claire Chazal a aussi fait un autre livre, une biographie d’Edouard Balladur.  On a un peu oublié Edouard Balladur. Il a été premier ministre pourtant, en 1993-1995. Il avait promis de ne pas se présenter à la présidentielle et de laisser Chirac y aller. Il n’a pas tenu parole mais Chirac l’a battu quand même malgré le soutien des médias dont celui de Claire Chazal  qui a écrit, avec un vrai courage, sa biographie de Balladur en… 1993. On résume, donc : la biographie du premier ministre en exercice écrite par la présentatrice vedette du journal de la première chaîne de France. Et dire qu’on parle aujourd’hui du journalisme de connivence.

Je ne me souviens pas non plus si Claire Chazal a fait la même tête que pour la gauche, quand Chirac a gagné en 95. Sans doute, puisqu’à cette époque-là Chirac était de gauche.

Pour le JT de TF1,  je vais prendre un chemin identique envers la successeuse de Claire Chazal, qui m’a l’air du même genre de blonde apprêtée avec brushing d’actrice de série américaine : ne pas le regarder. En fait, je regarderai le JT de TF1 le jour il sera présenté par une Monica Vitti  jeune et ouvertement communiste ou assimilée.

Bref, je peux toujours attendre.

*Photo : Sipa. Numéro de reportage : 00723109_000001.



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