Attentats de 2015, déchéance de nationalité, Cologne


Attentats de 2015, déchéance de nationalité, Cologne
François Hollande rend hommage aux victimes des attentats (janvier 2016). Sipa. AP21841718_000008
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François Hollande rend hommage aux victimes des attentats (janvier 2016). Sipa. AP21841718_000008

La commémoration des attentats de janvier 2015 (10 janvier)

Cette semaine a été marquée par la commémoration des attentats de janvier 2015 (Charlie Hebdo, l’Hyper Cacher), mais le 13 novembre et son terrible bilan étaient bien sûr dans tous les esprits. En hommage aux victimes, Johnny Hallyday a chanté place de la République. Que pensez-vous de ce choix ?

À l’âge du show-business, rien – ni les rires ni les larmes, ni le loisir ni le recueillement – n’échappe au show-business. Comme l’écrit Neil Postman dans son petit chef-d’œuvre Se distraire à en mourir, « le divertissement est devenu le mode de présentation naturel de toute expérience ». On a pleuré les victimes des attentats du 13 novembre en écoutant « Quand on n’a que l’amour » alors qu’il faut bien avoir d’autres munitions pour vaincre la terreur ; on a commémoré la manifestation du 11 janvier avec Johnny Hallyday et la garde républicaine a entonné « Le Temps des cerises ». Pourquoi pas « Graine d’ananar » ou « C’est extra » de Léo Ferré ? L’Histoire n’est pas un self-service : « Le Temps des cerises » doit être laissé aux héritiers de la Commune.

Après les attaques de janvier 2015, on a dit que tout avait changé mais tout est assez vite redevenu comme avant : tout était de notre faute, les terroristes étaient des victimes, et le vrai danger qui menaçait la France, c’était l’islamophobie. Certes, après le 13 novembre, le ton a changé, y compris parmi les responsables musulmans, mais cette inflexion ne sera-t-elle pas sans lendemain ?

Au lendemain des attentats du 11 septembre, le journal Télérama titrait : « L’Amérique, victime de son hyperpuissance ». Quatorze ans plus tard, la gauche de gauche a voulu rabattre la terreur qui a frappé Charlie et l’Hyper Cacher sur ses causes. Et ses causes, c’était nous les dominants : la France, victime de sa politique d’exclusion.[access capability= »lire_inedits »] Ce mode de pensée n’a pas disparu. Ainsi Nancy Houston écrit-elle dans Le 1 : « Nous refusons de voir que par notre hauteur, notre suffisance, notre morgue, notre avidité, notre cupidité, notre manière de lâcher des bombes puis de partir tranquillement au cinéma, nous avons nous-mêmes engendré ces monstres. » Et quand Tzvetan Todorov reprend admirativement à son compte cette phrase d’un des rescapés du Bataclan : « Vous n’aurez pas notre haine », il veut dire en apparence « Nous ne basculerons pas dans la fureur et le ressentiment », mais ce qu’il signifie en réalité c’est que sa haine est déjà prise ailleurs : « Nous ne haïssons pas les djihadistes parce que nous avons en horreur l’Occident, Israël, la France postcoloniale qui les ont rendus possibles. » Comme dit Alain Badiou, qui a ses lettres, notre mal vient de plus loin. Il vient du « capitalisme mondialisé » qui produit de plus en plus de démunis : les assassins sont « un des symptômes nihilistes de sa vacuité aveugle, de son impéritie, de son incapacité à compter tout le monde dans le monde tel qu’il le façonne ».

Mais ce discours est aujourd’hui minoritaire même dans le camp progressiste. Ce qui prévaut chez les tenants sourcilleux du « pas d’amalgame », c’est l’amalgame systématique entre toutes les religions. On ne se bat plus la coulpe, on noie le poisson. Ainsi cette une de Charlie : « Un an après, l’assassin court toujours. » Et l’assassin c’est, sans plus de précision, le Dieu du monothéisme. Je n’en veux pas à ce journal traumatisé, mais j’en veux à cette hantise de l’islamophobie qui conduit la première victime de l’islam radical à diluer la figure de l’ennemi jusqu’à le rendre absolument méconnaissable. Et puis, laisser entendre, dans une Europe qui a subi le nazisme et le communisme, que la religion est la source de tous les maux du genre humain, c’est à pleurer.

La déchéance de nationalité (10 janvier)

S’il est un sujet sur lequel on observe un décalage massif entre la population et les élites médiatiques, c’est la déchéance de nationalité et le supposé « tournant sécuritaire » du gouvernement qui semblent laisser l’opinion très froide. Que vous inspire la situation ?

La déchéance de nationalité, pour les binationaux convaincus de terrorisme, fait scandale à gauche. On prétend qu’elle bafoue le grand principe républicain du droit du sol, alors que ce droit a été introduit non pour des raisons de principe mais pour répondre aux exigences de la conscription. On dit qu’une telle disposition crée une inégalité entre les citoyens, alors que celle-ci existe déjà : les binationaux ont ce privilège sur moi d’avoir deux passeports. On parle de racisme, alors que les racistes déclarent indésirables les étrangers qui veulent être français et que la déchéance de nationalité frappe les indésireux, ceux qui détestent la France au point de prendre les armes contre ses citoyens. On voudrait que les djihadistes puissent conjuguer la nation et la haine de la nation. Cette version paroxystique du beurre et de l’argent du beurre heurte le sens commun et même la décence commune. On dit enfin que cette mesure n’est pas efficace. On la condamne pour son caractère purement symbolique. C’est négliger le fait que nous ne vivons pas seulement dans un monde de moyens, mais dans un monde de significations. L’humanité de l’homme tient dans la différence irréductible du sens et de la fonction. À l’âge technique, cette différence tend à tomber dans l’oubli. Il faut donc veiller sur elle avec une particulière sollicitude.

L’agression de Marseille (17 Janvier)

À Marseille, Benjamin Amsellem, enseignant de 35 ans portant la kippa, a été agressé à la machette par un lycéen turc qui a revendiqué son acte au nom de l’État islamique. Cette agression a suscité un vif émoi puis une polémique après que, la mort dans l’âme, le président du Consistoire de Marseille a appelé les juifs à ne plus porter la kippa jusqu’à des jours meilleurs. Quelle est votre position ?

Je comprends tous ceux qui ne veulent pas se laisser intimider par les nouveaux pogromistes, mais il n’y a, à mes yeux, pas le moindre esprit de renoncement dans le conseil adressé aux juifs marseillais par le président du Consistoire de leur ville : ne plus porter la kippa dans la rue. Il y a juste un constat : dans la France multiculturelle du xxie siècle, les juifs sont redevenus, et pour longtemps, des cibles. Ils peuvent être agressés partout, tout le temps, et l’État a beau se porter garant de la la liberté religieuse, il n’a pas les moyens de protéger les juifs contre un ennemi insaisissable : l’homme à la machette n’avait pas 16 ans et il s’est radicalisé tout seul. Cela ne signe pas le retour des vieux démons mais l’apparition d’un mal sans précédent sous nos climats : l’antisémitisme islamique. L’extrême droite identitaire n’est pour rien dans cette agression, et si elle y était pour quelque chose, on n’aurait pas attendu l’attaque de Marseille pour se mobiliser et prendre conscience d’un problème apparu il y a bientôt vingt ans.

Aujourd’hui, il est d’autant plus difficile de détourner les yeux que se développe sur les réseaux sociaux toute une campagne sur le thème du deux poids deux mesures. Les mêmes qui affichent leur solidarité avec le professeur de Marseille en arborant une kippa, approuvent l’interdiction du voile intégral, c’est bien la preuve que les juifs sont les rois de l’époque !

En réponse à son collègue marseillais, le président du Consistoire de Paris a dit : « La peur doit changer de camp. » Cette phrase martiale m’a rappelé le « Même pas peur ! » qui a fleuri au lendemain des attentats du 13 novembre. Les gens rassemblés sous ce slogan place de la République ont entendu soudain un pétard ou une rumeur, et ils se sont enfuis comme une nuée de moineaux. Je ne leur en veux pas, j’aurais été moi-même un de ces moineaux. Face au terrorisme qui tue dans la rue, dans les cafés, dans les hôtels comme tout récemment à Ouagadougou, la peur est la moindre des choses. La peur est dans notre camp, et elle est là pour longtemps. Il faut faire la guerre aux djihadistes par des moyens policiers et par des moyens militaires mais la Résistance, au sens que ce mot a pris pendant la Seconde Guerre mondiale, n’est pas à l’ordre du jour. Un civil peut prendre les armes et le maquis contre une armée d’occupation mais, contre le terrorisme, cela n’a aucun sens.

Les viols de Cologne (17 février)

Des centaines de femmes ont été agressées à Cologne le soir de la Saint-Sylvestre. Deux semaines après cette nuit de cauchemar, on ne sait toujours pas avec une totale précision ce qui s’est passé, ni si les coupables étaient des demandeurs d’asile syriens, afghans ou des Maghrébins sans papiers. Que s’est-il joué à Cologne ?

Pourquoi, à l’ère de la transparence et de la surinformation, la police et la presse allemandes ont-elles, dans un premier temps, voulu dissimuler les événements de la Saint-Sylvestre à Cologne ? Pourquoi les autorités suédoises ont-elles caché les agressions sexuelles commises par des migrants lors de deux festivals de musique à Stockholm en 2014 et en 2015 ? Pour ne pas écorner l’image de l’Autre, et pour ne pas faire le jeu de l’extrême droite populiste. On a voulu, dans les deux cas, empêcher, par le déni de réalité, le retour des vieux démons.

Il est vrai que lorsque les premières vagues de réfugiés sont arrivées en Europe, les Allemands ont cru que l’heure était enfin venue d’effacer la tache. L’Allemagne hitlérienne faisait l’apologie de la force vitale. L’Allemagne merkelienne prendrait sans faiblir le parti des faibles.

L’Allemagne hitlérienne invitait à la haine de l’Autre et suscitait l’horreur du monde. L’Allemagne merkelienne serait le Bon Samaritain et susciterait l’admiration du monde. C’était l’ivresse, et l’Allemagne, aujourd’hui, a la gueule de bois, parce que les hommes ne sont pas des voyageurs sans bagages. Les migrants ne se réduisent pas à leur dénuement, comme l’a dit très justement Jean-Louis Bourlanges. Cologne a fait découvrir le choc des civilisations au quotidien. Un grand nombre de nouveaux venus n’ont pas la moindre intention de se plier aux usages, aux principes, aux droits fondamentaux de nos sociétés. Il s’est passé à Cologne la même chose que place Tahrir pendant les manifestations qui ont débouché sur le renversement d’Hosni Moubarak. Des femmes ont été alors harcelées et agressées par des hommes qui voulaient simultanément les expulser de l’espace public et assouvir leur concupiscence. On a parlé alors de « printemps arabe », mais l’hiver était déjà dans le fruit.

Ruth Woodsmall, missionnaire américaine qui vécut en Turquie, écrivait en 1936 : « Lorsqu’un Oriental se rend dans un pays occidental, ou lorsqu’un Occidental se rend dans un pays oriental, ils sont extrêmement conscients qu’ils franchissent une barrière sociale plus tangible qu’une frontière géographique ou qu’une différence de langue, de nationalité ou de race : les organisations sociales de l’Occident et de l’Orient reposent sur des principes radicalement opposés. La différence primordiale concerne la place réservée aux femmes. »

Dans les sociétés arabo-musulmanes, la religion asservit une moitié du genre humain et mutile l’autre. Les hommes relèguent les femmes et la frustration les rend furieux.

Nous avons longtemps pensé que l’histoire du monde, c’est l’occidentalisation du monde. Cette occidentalisation, nous l’envisagions soit comme le triomphe universel de la démocratie représentative et de l’économie de marché, soit comme l’expansion mondiale de la lutte des classes. Il faut en rabattre. Bien que l’information soit désormais planétaire, l’humanité ne se laisse pas englober dans un calendrier et un destin uniques. Ce que nous vivons en guise d’histoire universelle, c’est le choc des historicités. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, Czeslaw Milosz a écrit : « Le xxe siècle, pris de panique devant les sottises des nationalistes et des racistes, s’efforce de combler les abîmes du temps avec des statistiques de production et quelques noms de systèmes politico-économiques ; il renonce à étudier davantage la trame mystérieuse du devenir où aucun fil ne devrait être omis. » Héritiers de ce siècle terrible, nous savons que toute généralisation est criminelle. Nous devons donc nous en garder avec une vigilance sans faille. Mais il nous incombe aussi de renouer tous les fils pour comprendre ce qui survient.[/access]

Février 2016 #32

Article extrait du Magazine Causeur



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Alain Finkielkraut est philosophe et écrivain. Dernier livre paru : "A la première personne" (Gallimard).

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