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Bienvenue au Maroc, dans un film de SF mystique

Un onirisme SF sacrément désincarné


Bienvenue au Maroc, dans un film de SF mystique
Animalia de Sofia Alaoui (2023) ©AD VITAM

Animalia, le premier long-métrage de la cinéaste franco-marocaine, Sofia Alaoui, a l’ambition de traiter de la plupart des problèmes sociaux du royaume chérifien à travers une obscure histoire apocalyptique. Mais le caractère ésotérique de l’intrigue prive le film de tout effet dramatique et compromet sa dimension sociale. Sortie en salles le 9 août.


L’orientalisme, en déco, a ses lois que le bon goût ne connaît pas. D’une opulence kitsch déconcertante de hideur, la maison du gouverneur offre ses intérieurs rutilants et surchargés à l’objectif : voilà pour les scènes d’exposition d’Animalia. Amplification d’un court métrage déjà primé au festival Sundance, Animalia est le long-métrage de fiction inaugural de Sofia Alaoui, née en 1990, fille de diplomate très bien élevée qui partage sa vie entre Paris, Pékin et Casablanca. Autant dire que cette enfant gâtée d’un cinéma résolument cosmopolite connait du dedans ce milieu des ultra-nantis du royaume chérifien et d’ailleurs. Au départ, Animalia avait d’ailleurs pour titre Parmi nous. L’édition 2023 du Sundance a, cette fois, gratifié cet ovni d’un Prix spécial. Pourquoi pas ?

Le tour du propriétaire se poursuit dans le luxe tape à l’œil de la cuisine, de l’immense salle de bains puis de la voluptueuse chambre à coucher d’Amine (Mehdi Dehbi), le photogénique rejeton du caïd. Itto (Ounaima Barid) la jeune épouse enceinte jusqu’aux dents (dont on comprendra qu’elle est issue du peuple), a manifestement du mal à s’adapter à un tel clinquant. Là-dessus, une sourde menace extraterrestre met semble-t-il le pays en émoi, les chiens errants envahissent les rues, la faune volatile s’hystérise, tandis que l’armée déploie ses avions, ses chars et ses hélicos tous azimuts. Le réseau lui-même a des sautes d’humeur. Le mari sur les dents restant bloqué pour affaires à Khourigba, au sud de Casablanca, Itto, qui a adopté entre temps un vigoureux berger allemand tirant sur sa laisse, tente de le rejoindre à bord d’une moto triporteur, d’abord conduite par un gars du cru qui la rançonne avant de la laisser choir au bord de la route, puis par Fouad (Fouad Ouhaou) bel et secourable hôtelier plein de droiture. Périple hasardeux au terme duquel, abandonnant le généreux Fouad à son sort, Itto finit par retrouver Amine et les siens, au milieu du chaos régnant. Une bande-son lancinante et répétitive accompagne cette odyssée.

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A la télévision, les actualités témoignent du vent de panique qui se répand sur tous les continents. Au Maroc, le peuple tout entier s’en remet bientôt à Allah, d’où une longue séquence de prière où, les deux sexes séparés comme il se doit (Itto provoque d’ailleurs un scandale en se mêlant aux hommes pour rejoindre son mari), la foule des croyants accroupis se presse en prière dans la mosquée bondée. Quelques échanges nous le suggèrent, toujours de façon aussi énigmatique : « Il y a des forces qui prennent le contrôle. Car tout ce qui est en haut est comme ce qui est en bas ». Un prêche assez abscons précise en voix off : « Et si un jour tu me demandes qui Il est, je te dirais qu’Il n’est rien comme Il est tout. Qui se connaît soi-même connaît la vérité de tout. Tout était pourtant là mais on ne voulait pas le voir […] Et si je dois te faire connaître la vérité des choses, tu verras par toi-même que ce qui n’est pas relié n’a aucune existence sur Terre ou ailleurs ». Quoiqu’il en soit, Itto accouche de son bébé – extraterrestre ? Au final, le titre « PARMI NOUS » s’imprime, en lettres capitales, dans le scintillement d’un ciel étoilé. Générique de fin.

Houlala, que voilà du sérieux ! Si l’on a plus ou moins compris l’intention de Sofia Alaoui – illustrer l’abîme existant, au Maroc, entre riches et pauvres ; montrer la prégnance du religieux sur les esprits ; évoquer le hiatus entre le français, langue usuelle prisée de la haute société, l’arabe qui est le parler indigène, et le berbère, idiome opprimé ; pointer en bref tous les clivages d’un pays durement contrasté – il reste que l’évanescence de cette menace extraterrestre, le caractère sibyllin de l’argument fantastique, le manteau métaphysique qui enveloppe une intrigue noyée dans l’abstraction privent la dramaturgie de tout ressort tant soit peu palpitant. On est tenté de juger passablement prétentieux le nappage mystico-transcendantal qui sert de liant métaphysique à cet onirisme SF sacrément désincarné.

Animalia. Film de Sofia Alaoui. Maroc, France. En salles le 9 août 2023.



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