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60 millions de pleurnichards, et moi, et moi, et moi…

La France n'est ni l'Alabama, ni l'Afghanistan


60 millions de pleurnichards, et moi, et moi, et moi…
Hommage populaire à Johnny Hallyday, Paris, décembre 2017. Numéro de reportage : 00835390_000016.

Quoi qu’en dise le chœur des pleureuses de tous bords, notre pays n’est ni l’Alabama, ni l’Afghanistan, ni le Zimbabwe. Geindre à l’idée d’être discriminé, grand-remplacé ou simplement perdu dans ce monde absurde : tel est le sanglot de l’homme blanc de peur.


Si les idéologies ne sont certainement pas aussi finies que cela fût massivement dit à la fin du XXème siècle, l’intelligibilité du Monde et de l’Histoire s’est tout de même bien fait forniquer sa race et sa classe, depuis le délitement du moment d’hégémonisme occidental et la Noël 91 à Moscou.

Perdu dans un monde maniaco-dépressif

Sartre était finalement bien un chien bâté et Aron un laquais faible. Sans projet, sans ennemi digne de ce nom (pas de sarrasins, pas de rosbifs, pas de boches, pas de rouges, rien que quelques pieds nickelés méchants) et surtout assommé par un monde moins multipolaire que maniaco-dépressif – en sus mal expliqué par des experts nuls – ce con de Français est perdu.

Il est perdu, comme un enfant perdu dans un hypermarché où 300 pays plein d’étrangers ont remplacé 300 fromages très français. Alors il pleurniche, il geint, sans même la moindre conscience de sa névrose infantile, ce petit con.

Il n’est d’ailleurs jamais aussi content de lui que quand il peut pleurer à chaudes larmes, qui (salauds de riches !) pour Jean d’Ormesson ? Qui (salauds de pauvres !) pour Johnny Hallyday ? Il y aurait une anthropologie culturelle à réactualiser, une actualité des logiques lacrymales à écrire, tant la glorification des gens-qui-pleurent exhibés partout, dit quelque chose de notre état collectif. Marcel Mauss saurait faire cela, mais bon il est mort sous Georges Bidault et Staline, à une époque où cela valait encore la peine d’analyser phénomènes et signes.

Les méchants sont méchants

Le reste du temps, toute morve ravalée, il geint. Il geint de veulerie, comprenant fugacement que dans cette société faussement fluide, sa grande capacité d’action superficielle est inversement proportionnelle à l’idée même de transformations profondes.

Alors il geint. Il geint d’être discriminé, en faisant croire qu’il vit dans le monde de Frantz Fanon et Maya Angelou. Il geint d’être discriminé en Olympe de Gouges sur l’échafaud. Il geint d’être grand-remplacé, fermier blanc Zimbabwéen. Il geint parce que les méchants sont méchants et que personne n’aime les juifs. Du PIR au CRIF et d’OLF au FN, la grande farandole des pleureur.ses. Ouin ouin ouin je n’ai pas d’idée, pas de projet, mais regardez comme je pleurniche bien et surtout mieux que les autres. Le concours de celui qui a la plus grosse larme. Même pas des larmes de rites funéraires antiques, mais de bonnes grosses larmes bien sincères. Or, c’est là qu’est précisément le problème. La victimisation de tous par tous tout le temps n’est plus vécue principalement comme une technique, un vice, une anecdote du combat politique. Elle est devenue le combat politique. Le « je suis extrêmement choqué » de l’improbable Copé est devenu la norme du débat public, le cadre ridiculement étroit dans lequel s’enferre la parole. Il suffit de perdre un peu son temps sur internet, d’y lire les commentaires partout, pour ne voir que des pistolets braqués sur des tempes nimbant des yeux rougis.

Les dominants pleurnichent aussi!

On reproche depuis longtemps à la gauche, qu’elle soit « morale » ou même « olfactive » (tout ce qui n’est pas la gauche est nauséabond), d’utiliser cette technique, dans un but de disqualification de l’adversaire. Peu importe, tant que cela n’était qu’une technique, un artifice bien compris de la rhétorique politicienne et journalistique. Cependant, comme toujours avec les artefacts puissants (Dieu, l’Etat, la Famille…), l’on finit par oublier leur caractère construit. Eh voilà donc une belle démocratie lacrymale où les dominants pleurnichent eux-aussi toutes leurs glandes : patrons geignards, bourgeois craintifs, bobos flippés, politiques extrêmement choqués ! Même les intellectuels de plateaux n’analysent plus grand chose, inaudibles entre deux sanglots, entre deux délations tristes ou invectives au ras des chrysanthèmes… La conséquence morbide de cette démocratie lacrymale est que toutes les causes finissent par s’y valoir, nivelées par les larmes. Il n’y a plus de racisme, plus d’oppression, plus de discrimination, juste des dominants qui pleurent et des dominés qui pleurent… juste des gens qui pleurent… juste des pleurs… juste de la flotte salée dégueulasse !

Je finirai, intimement, ce billet inutile et gratuit, en convoquant Freud et Lacan : « Maman ! Regarde maman ! Regarde comme j’ai bien geint ! »



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est avocat et maître de conférences à Sciences Po.

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