Alsace-Moselle : ne stigmatisons pas les crucifix!


Alsace-Moselle : ne stigmatisons pas les crucifix!

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« Si quelqu’un veut venir après moi, qu’il renonce à lui-même, qu’il se charge de sa croix, et qu’il me suive ». Quand il emporta avec lui le crucifix d’une salle du Conseil général du Haut-Rhin, l’élu socialiste Pierre Freyburger n’avait sans doute pas en tête ce verset de l’évangile de Matthieu. Siégeant dans l’hémicycle depuis 1988, notre homme a attendu près de trente ans pour décrocher le Christ, et relancer ainsi le débat sur le Concordat en Alsace-Moselle. Opportunisme ? Défense de la laïcité ? Coup de sang, comme il l’a lui-même affirmé ? En tout cas, effet médiatique garanti, et pierre supplémentaire dans le jardin du Concordat.

La campagne latente contre le Concordat a pris de nouvelles couleurs après l’attentat contre Charlie Hebdo de janvier dernier. Alors que la priorité pourrait se situer dans la lutte contre les filières djihadistes, contre la radicalisation à l’œuvre dans les prisons, l’urgent serait l’abrogation de cette exception « religieuse », donc forcément intégriste. Outre son régime concordataire, salariant les cultes catholique, protestant et juif, et assurant l’instruction religieuse, l’Alsace-Moselle dispose également d’un droit local moins connu, hérité de l’occupation allemande de 1871 à 1918, qui ménage les cultes concordataires.

D’un point de vue juridique, l’affaire est pourtant classée. Le Conseil constitutionnel a confirmé le maintien du Concordat en Alsace-Moselle en février 2013. Deux ans plus tôt, les Sages avaient consacré le droit local des deux départements, qui interdisait notamment le travail le dimanche, comme nouveau principe fondamental reconnu par les lois de la République (PFRLR). Si l’on suit cette logique, le délit de blasphème assuré par le code pénal local alsacien-mosellan est tout aussi fondamental.

En effet, ses articles 166 et 167 punissent théoriquement l’outrage aux cultes concordataires, et les perturbations des offices religieux. À noter que l’islam est exclu de cette disposition, et que la tentative d’attaquer Charlie Hebdo en justice par des associations musulmanes n’avait pas abouti. Dernière condamnation en date : des activistes d’Act-Up qui avaient perturbé une messe lors des débats sur le Pacs, par la cour d’appel de Colmar, en 1999. La Cour de cassation avait confirmé le jugement.

Ces articles un peu poussiéreux auraient pu servir lors du cirque des Femen dans la cathédrale de Strasbourg, lors de la venue du pape François au Parlement européen, en novembre dernier. Mais l’archevêque de Strasbourg, Mgr Jean-Pierre Grallet, et les responsables protestants ont fait savoir qu’ils demandaient l’abrogation d’un tel délit.

D’un point de vue spirituel, le Concordat n’est en rien nécessaire à l’exercice de la foi chrétienne. Il pourrait même s’y opposer, en y regardant de plus près. Les financements apportés aux Églises catholique et protestantes locales sont appréciables pour leurs structures et leurs bâtiments. Mais ils distillent également l’embourgeoisement chez les ministres du Seigneur, qui préfèrent la tranquillité et le conformisme à l’audace et au prophétisme évangéliques. On constate le même phénomène en Allemagne, avec les impôts ecclésiastiques. C’est encore pire en Grande-Bretagne et en Scandinavie, où les Églises protestantes d’Etat sont devenues des ONG, richissimes, mais ayant renoncé à l’évangélisation et perdant leurs fidèles. Si le Concordat devait être abrogé, les finances des Églises ne s’en porteraient pas bien, mais leur capital humain et spirituel ne serait pas atteint, bien au contraire.

Le Concordat existe par la volonté des populations locales, qui défendent cette exception en même temps que leur identité. Elles choisiront à l’avenir de la conserver, ou non. Mais au-delà de ces enjeux régionaux, l’épouvantail du Concordat est le symptôme d’une conception agressive de la laïcité. Pour être complètement laïque, il faudrait que toute trace religieuse soit confinée, enfermée, dans la sphère strictement privée. Quand le Concordat sera supprimé, faudra-t-il s’attaquer aux calvaires dans les vallées bretonnes ? A ce dogmatisme laïque, la tribune des dirigeants de l’Observatoire de la laïcité Jean-Louis Bianco et Nicolas Cadène parue dans Marianne rappelle que « la laïcité n’est pas une conviction mais le cadre qui les autorise toutes ».

*Photo : wikicommons.



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