Accueil Édition Abonné Avril 2024 Marion Maréchal : « La solidarité n’est pas le suicide »

Marion Maréchal : « La solidarité n’est pas le suicide »

Entretien avec Marion Maréchal


Marion Maréchal : « La solidarité n’est pas le suicide »
Marion Maréchal © Hannah Assouline

Pour la tête de liste de Reconquête !, la France doit apporter une aide légitime à l’Ukraine sans participer à une escalade guerrière. Elle refuse une adhésion de Kiev à l’UE et prône une sortie du commandement intégré de l’OTAN préservant l’autonomie de la voix française.


Causeur. La France doit-elle essayer d’empêcher la Russie de gagner cette guerre ?

Marion Maréchal. Dans cette guerre, je soutiens le droit de l’Ukraine à défendre son intégrité territoriale et sa souveraineté face à l’attaque de la Russie. Il est donc légitime d’apporter une aide financière, une aide humanitaire et une aide logistique pour la reconstruction, afin d’aider les Ukrainiens à résister au mieux. Néanmoins, souhaiter la victoire de l’Ukraine ne doit pas pour autant induire de faire la guerre à sa place. Bien que je comprenne l’inquiétude de nos amis polonais ou des pays baltes, ce n’est pas la France qui est en guerre avec la Russie. Toute la difficulté est là : trouver l’équilibre entre une aide légitime à l’Ukraine sans participer à une escalade guerrière avec une puissance nucléaire.

L’éventualité d’une entrée en conflit de notre pays doit-elle être exclue ?

J’ai réaffirmé mon opposition à toute forme d’envoi de troupes françaises sur le sol ukrainien. Quand on évoque une entrée en guerre de la France, il faut mesurer les implications. La guerre en Ukraine, ce n’est pas Munich en 1938, c’est Verdun en 1916, c’est-à-dire une guerre de tranchées avec des drones. Ce sont des combats d’une violence inouïe, qui ont déjà causé la mort de 70 000 soldats ukrainiens et blessé 120 000 autres. Les dernières déclarations du président de la République sur l’envoi de troupes au sol sont à la fois irresponsables et dangereuses : irresponsables, car elles ont isolé la voix de la France en Europe en montrant qu’aucun autre pays ne souhaitait participer à cette fuite en avant ; dangereuses, car quand on veut s’engager dans une guerre, il faut être sûr de pouvoir la gagner. Or, nous n’avons plus les capacités opérationnelles de faire face à un conflit de haute intensité. Les envolées bellicistes du camp présidentiel et de la gauche morale me font sourire, car ceux-là même qui dénoncent l’esprit munichois sont responsables depuis des décennies du plus grand sabordage de nos armées que la France ait jamais connu. Notre force opérationnelle terrestre est réduite à la portion congrue de 77 000 hommes, soit la capacité d’accueil du stade de France, nous avons seulement trois jours de réserve de munitions et la production annuelle d’obus français ne représente qu’une seule heure de tir pour l’ensemble des 75 canons Caesar livrés à l’Ukraine. Commençons déjà par muscler considérablement nos lois de programmation militaire et par augmenter annuellement le budget de la défense jusqu’à 70 milliards d’euros d’ici à 2030. Rappelons que la dernière LPM du 1er août 2023 ne prévoit aucune augmentation substantielle des effectifs militaires.

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Vladimir Poutine représente-t-il une menace existentielle pour notre pays ?

Il est inexact aujourd’hui de dire que la France serait directement menacée dans ses frontières et sa souveraineté par la Russie. Bien sûr, la Russie est à l’origine de nombreuses cyberattaques et elle s’en prend directement à nos intérêts français, notamment en Afrique, mais d’une part elle n’est pas la seule et d’autre part, en cas de conflit ouvert avec les forces de l’OTAN, elle n’aurait vraisemblablement pas les moyens de pousser plus loin son avantage territorial pour des raisons liées notamment à sa démographie vieillissante, aux limites de son armée ainsi qu’à son économie, certes résiliente mais très dépendante de la Chine.

© Hannah Assouline

Souhaitez-vous l’entrée de l’Ukraine dans l’Union européenne ?

Je ne suis pas favorable à l’intégration de l’Ukraine à l’Union européenne, ni à aucun autre élargissement à l’heure actuelle. L’entrée de l’Ukraine dans le marché commun serait le tombeau de l’agriculture française. Je rappelle que l’Ukraine, c’est 25 % des terres agricoles du continent européen et que le salaire minimum y est inférieur à 200 euros par mois. En cas d’adhésion à l’UE, ce pays toucherait près de 186 milliards d’euros de subventions européennes et deviendrait ainsi le plus grand bénéficiaire de la politique agricole commune, devant la France. Nous voyons déjà les conséquences désastreuses des accords de libre-échange décidés par la Commission européenne : l’explosion des importations de sucre, de blé, d’œufs et de volailles ukrainiens sur le marché européen provoque une concurrence déloyale gravement préjudiciable à nos agriculteurs. Si nous devons tout faire pour aider l’Ukraine à contourner les tentatives de blocus russes en mer Noire, en facilitant, par exemple, le transit des denrées agricoles ukrainiennes exportées en Chine, en Asie ou en Afrique, nos agriculteurs ne doivent pas être sacrifiés sur l’autel du financement de l’économie de guerre ukrainienne. La solidarité, ce n’est pas le suicide.

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La France doit-elle rester dans le commandement intégré de l’OTAN ?

Si nous sommes favorables au maintien de la France dans l’alliance militaire atlantique, nous tenons néanmoins à préserver non seulement l’autonomie de notre dissuasion nucléaire, mais aussi l’indépendance diplomatique et militaire française. Bien que la guerre actuelle ne rende pas cette décision urgente, une sortie non pas de l’OTAN, mais du commandement intégré, serait une façon symbolique de marquer l’autonomie de la voix française, si chère au général de Gaulle, vis-à-vis de la politique étrangère américaine. Cette autonomie nous donne une influence singulière dans le monde et nous permet notamment d’exporter notre industrie d’armement à des pays soucieux d’avoir des interlocuteurs « non alignés ». Je pense par exemple notamment à l’Inde ou au Brésil. Il est indispensable en revanche que la France et les pays européens investissent chacun davantage dans leur industrie de défense. De ce point de vue, la menace de Donald Trump de baisser les crédits américains à l’OTAN peut être une aubaine pour l’Union européenne en forçant le continent à se prendre davantage en main au lieu de déléguer sa sécurité aux États-Unis. Le vrai sujet est d’abord de réfléchir à la façon d’installer une véritable solidarité européenne dans l’achat d’armement entre pays membres. Par exemple, les crédits européens, comme ceux débloqués pour la guerre en Ukraine, ne devraient pouvoir être dépensés que pour des achats à l’industrie de défense européenne.

Avril2024 – Causeur #122

Article extrait du Magazine Causeur




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est journaliste.

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