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Défense et illustration de l’humanisme

« L’invention de la Renaissance : L’humaniste, le Prince et l’artiste »


Défense et illustration de l’humanisme
Portrait équestre du condottiere Muzio Attendolo Sforza, dans Vita di Muzio Attendolo Sforza (Vie de Muzio Attendolo Sforza) Antonio Minuti, Milan,1491 © BnF, département des Manuscrits

C’est doux de revenir aux sources du passé, de la culture. Un temps que les moins de 700 ans ne peuvent pas connaitre… La Bibliothèque nationale accueille jusqu’au 16 juin (site Richelieu) une exposition exceptionnelle.


L’hommage, réflexif, didactique et savant, met en scène des trésors insignes et retrace une épistémè, le meilleur de l’Occident. Les cartels sont instructifs, le catalogue magnifique. Comme la salamandre de François 1er et leurs héros humanistes à la recherche de l’or du temps, les commissaires de l’exposition, Jean-Marc Chatelain et Gennaro Toscano se nourrissent du bon feu et éteignent le mauvais. « L’homme qui relève la culture des lettres de ses ruines, chose presque plus difficile que de la créer, fait une œuvre sainte et immortelle. Il ne travaille pas pour tel pays seulement, mais pour tous les peuples de l’univers et toutes les générations » (Erasme, Adages).

Le triomphe du savoir

Le tour de passe-passe marketing est véniel. Léonard de Vinci est plus vendeur que Leonardo Bruni. Le point focal de l’exposition, c’est moins la Renaissance que l’humanisme. Le mouvement culturel part d’Italie au XIVe siècle et traverse l’Europe jusqu’à l’âge classique. Animés par un appétit critique de savoir et la redécouverte de l’antiquité gréco-latine, les humanistes veulent sublimer la dignité humaine par la culture. Gargantua est euphorique : « Maintenant toutes disciplines sont restituées, les langues instaurées : grecque, sans laquelle c’est honte qu’une personne se die sçavant, hébraïcque, caldaïque, latine ; les impressions tant élégantes et correctes en usance, qui ont été inventées de mon âge par inspiration divine… » (Rabelais, Pantagruel, 1532).

240 œuvres, tableaux, estampes, sculptures, monnaies nous entrainent dans une forêt de symboles, d’échos qui se répondent dans une profonde unité : l’homme de Vitruve, l’architecture des mises en page, la beauté des décors à « bianchi girari », la République des Lettres. Une valse à cinq temps rythme l’exposition : « Le studiolo » ; « Pétrarque et la naissance de l’humanisme » ; « De l’étude de l’Antiquité au goût de l’antique » ; « Le savoir et la gloire » ; « De la bibliothèque humaniste à la bibliothèque princière ».

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Alde, Estienne, Alberti, Valla, Erasme, Pie II, Frédéric de Montefeltro, les imprimeurs et philologues savants, princes et prélats érudits, tous les maîtres de la maison humaniste sont conviés dans la galerie Mansard : le Triomphe immarcescible de tous les savoirs du monde nimbé d’une « éthique de la gloire ». Nous admirons d’exceptionnels manuscrits enluminés, les Heures de Frédéric d’Aragon, le grand Ptolémée d’Henri II, les « grecs du roi », des médailles de Pisanello, reliures bellifontaines, une réunion de trésors que l’on ne reverra plus. Reste l’hodologie, la synesthésie, les fantasmes et les fantômes ; « fantasma » en italien. Le Songe de Poliphile, Erasme rédigeant son Novum Instrumentum, le portrait de Louis II d’Anjou de Barthélemy Eyck, la Vierge à l’enfant de Marco Zoppo, la figure d’Hermès : ils nous contemplent, nous transportent.  

Des figures héroïques, images d’Épinal ont marqué la légende humaniste. Le Pogge qui exhume dans les abbayes de Saint-Gall et Fulda un manuscrit De la nature des choses (Lucrèce), de l‘Institution oratoire (Quintilien). Jean Pic de la Mirandole qui achève à 23 ans ses 900 Conclusions (dialectiques, morales, physiques…) et appelle de ses vœux une disputatio publique sous l’égide du pape. Au mi-temps du 16e siècle, Jean Grolier, banquier bibliophile (il en reste quelques-uns) faisait apposer sur ses somptueuses reliures à grand décor d’entrelacs, une marque de possession restée célèbre : « Io. Grolierii et amicorum – A Jean Grolier et ses amis ». Entre amis tout est commun, c’est le premier des célèbres Adages d’Erasme publiés à Paris en 1500. La paideia grecque, c’est un idéal de culture, d’éducation et de vertu, visant la perfection. Rien à voir avec la paella des colocs Erasmus de L’Auberge espagnole… « Européen : celui qui a la nostalgie de l’Europe » (Kundera).

Crimes contre les humanités

Au terme de la visite, nous sommes pris de vertige et d’angoisse en songeant aux écroulements culturel et éducatif contemporains, à l’aliénation numérique et consumériste, le tout à l’égo, le néant libéral-libertaire. Que reste-t-il de l’ambition humaniste d’excellence et du salut par le savoir ? Des dénis, simulacres, slogans pourtousistes, mots-valises creux et démagogiques : multiculturel, pluriel, diversité, lien social… L’abeille de la Culture a été décapitée par le frelon « culturel ».

À quelques encablures de l’exposition, la Minerve de la rue de Valois est au taquet sur le Master of Arts in Fashion Design de l’Institut Français de la Mode. C’est la Fashion Week. Touche à tout, Rachida Dati aime le rap et veut lancer une maison du hip-hop : « des mouvements très inclusifs donnant un vrai visage de la France ». Renseignements pris, il existe déjà deux maisons du hip-hop. Censé maquiller l’imposture, le jargon techno parachève le naufrage. Après « l’éclectisme classique », « l’éclectisme augmenté » … « Un spectre beaucoup plus large se déploie dans une grande diversité d’espaces et de contextes… des pratiques amateurs que les pratiquants ne qualifient pas de « culturelles » – quand bien même elles le sont pour partie ; c’est le cas de certaines activités sur Instagram ou TikTok, qui requièrent l’utilisation de vidéos, de photographies, de musiques et qui impliquent des choix esthétiques » (Pratiques culturelles, ministère de la Culture, 2018).

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La mise en réseau planétaire – ultime conspiration contre la vie intérieure dirait Bernanos – a métamorphosée la galaxie Gutenberg en supernova de crises de nerfs et du divertissement. L’Homo connecticus, comicus, festivus a enterré le Kalos kagathos, l’honnête homme et la décence commune. Modem et circenses… Avec l’effondrement des humanités, de l’otium litteratum, les confrontations d’idées se réduisent à des pugilats hystériques sur les réseaux sociaux, duels de minus juchés sur des épaules de nains, traversés par des éclairs d’imbécilité. C’est mon droit ! Tout vaut tout, frérot !

La civilité est jumelle de la civilisation. Théâtralement à l’agonie, incapable d’honorer les meilleurs, le meilleur, son passé, sa culture, de se réinventer, l’Occident s’autoflagelle. Il s’est assigné une ultime mission, rédemptrice et grandiose : lécher toutes les blessures du monde. Les Pol pot de la Cancel culture, la sacrée congrégation du wokisme universel, censurent, lavent les cerveaux, traquent les nostalgies, mauvais esprits, l’héritage humaniste, le passé. Les vestiges du Forum Romain, Paestum, Pompéi exaltaient Alberti, inspiraient Poussin, plongeaient Chateaubriand dans la mélancolie. Aujourd’hui, les ruines antiques nous laissent de marbre. Nous contemplons effrayés la ruine d’un futur piloté par l’IA, la crétinerie naturelle, la pluralité des monstres.

Abandonner les livres, troquer la Culture contre du « multi » imaginaires, du « populaire » pipeau, prostituer les mots, éradiquer l’excellence, éteindre les Lumières et l’émancipation par le savoir, c’est deux fois trahir l’humanisme : son héritage et ses promesses.

« Le vrai vaut toujours mieux, aussi maigre soit-il » (Léonard de Vinci).


BnF, site Richelieu, 5, rue Vivienne, Paris. Mardi de 10h à 20h. Du mercredi au dimanche 10h à 18h. Fermé le lundi.

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