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Non, Gabriel Attal n’est pas un clone d’Emmanuel Macron

"L'Ange Gabriel" entre à Matignon!


Non, Gabriel Attal n’est pas un clone d’Emmanuel Macron
Le Premier ministre Gabriel Attal auprès des sinistrés du nord, Clairmarais (62), 9 janvier 2024. La presse nationale présente curieusement le jeune âge de M. Attal comme un atout, et la presse anglo-saxone se réjouit qu'il ait fait connaitre son homosexualité © Eliot Blondet-Pool/SIPA

Le chouchou de la presse et du président entre à Matignon! Notre chroniqueur se réjouit lui aussi de la promotion de Gabriel Attal. C’est lui faire un procès expéditif que d’affirmer que son action sera complètement phagocytée par le président de la République. L’année 2024 ne le confrontera à aucun texte décisif, mais il devra apprendre à manœuvrer des ministres d’expérience humiliés par sa jeunesse conquérante. La composition du gouvernement devrait être annoncée d’ici demain. Analyses.


Non, il ne suffit pas de dire, comme Eric Zemmour, « qu’un macronien a remplacé une macronienne ». Il ne suffirait même pas de préciser qu’un macronien talentueux et extraverti a pris la place d’une macronienne austère et peu douée pour la communication.

La nomination de Gabriel Attal Premier ministre, à 34 ans, le plus jeune de notre histoire, est bien plus qu’une affaire de jeunesse. Celle-ci ne va rien démontrer, ni pour ni pour contre. Pour ceux qui s’en plaindraient, qu’ils se rappellent Goethe : « si la jeunesse est un défaut, on s’en corrige vite ».

Les premières réactions, une fois passée la surprise devant ce « coup » présidentiel, ont été assez classiques avec la certitude affichée que Gabriel Attal était un « clone » d’Emmanuel Macron et que celui-ci allait évidemment jouer tous les rôles et ne laisser qu’une portion congrue à celui qui serait voué à n’être que son porte-parole. Il me semble que cette analyse pessimiste, comme si la politique était contrainte de s’engager toujours sur les mêmes rails cyniques, fait bon marché du caractère et de la psychologue du nouveau Premier ministre et tient pour acquise une présomption de malfaisance à l’encontre du président. Celui-ci, avec cette nomination, créerait moins un tremplin pour son apparent protégé qu’une déroute annoncée.

Le pire n’est pas sûr. Même si on perçoit bien tout ce que l’arrivée de Gabriel Attal au plus haut niveau va apporter à Emmanuel Macron, et d’abord, ce qui est essentiel, l’espérance de pouvoir continuer son quinquennat dans des conditions sans doute plus apaisées qu’avant – même si la structure parlementaire restera la même et que ses relations avec le groupe Renaissance ne seront pas faciles – et une sorte d’adhésion au moins implicite sinon au fond du moins au style et à la conception du dialogue du nouveau Premier ministre. Sur ce plan, son adresse aux oppositions dans sa réponse à Elisabeth Borne était significative. Moins de mépris et de condescendance avec au contraire la conscience qu’elles représentaient des millions de Français.

Beaucoup lui reprocheront d’avoir quitté trop tôt la rue de Grenelle

Gabriel Attal étant la dernière chance présidentielle, il serait naïf de n’envisager la suite, pour lui,  que comme un chemin de roses, même si l’année 2024 ne le confrontera à aucun texte décisif. Il n’empêche qu’on comprend bien pourquoi, en définitive, le nom d’Attal est sorti des réflexions présidentielles qui ont donné l’impression, longtemps, moins d’un dessein mûri que d’une improvisation au gré des vents et des influences. Dès lors que s’est affirmée une volonté de changer de logiciel – passer d’une métamorphose classique, sans rupture, à un basculement sans exemple -, Gabriel Attal devenait le seul qui pouvait répondre à ce défi. Dans le registre traditionnel, Richard Ferrand ne s’estimait pas plausible pour cette fonction. François Bayrou – le seul pouvoir qui lui reste ? – ne voulait pas de Sébastien Lecornu et Bruno Le Maire, sans doute le meilleur pour Matignon dans une configuration traditionnelle, n’avait pas suffisamment d’affinités, et trop de subtiles dissensions, avec le président pour emporter la mise. Restait Gabriel Attal que les sots absurdement réduisent à un ambitieux inspiré par des calculs strictement personnels alors qu’on pourrait au moins lui concéder qu’une situation où le souci de son avenir et l’intérêt de la France se conjuguent pourrait avoir des conséquences positives pour notre pays, son redressement, sa remise en ordre et en sécurité.

Gabriel Attal certes doit tout à Emmanuel Macron : il le répète trop pour que ce soit le signe, de sa part, d’une insupportable dépendance mais plutôt d’un constat à partir duquel il pourra librement développer ses dons, ses talents, ses compétences à élargir et sa formidable énergie. Mais lui-même a déjà apporté beaucoup au président avec cette chance qui n’est dévolue qu’aux audacieux : au moins à deux reprises, Gabriel Attal a succédé à des ministres médiocres et, pour son prédécesseur à l’Education nationale, aussi suffisant qu’insuffisant. En cinq mois, rue de Grenelle, Attal a accompli un travail considérable, bien davantage que verbal, avec la suppression de l’abaya, les sanctions pour les minutes de silence non respectées, la lutte contre le harcèlement, les groupes de niveaux, le retour des redoublements, le changement de date du baccalauréat et la priorité redonnée aux enseignants pour les décisions éducatives. Excusez-moi du peu !

On peut regretter que Gabriel Attal n’ait pas su résister à la tentation de Matignon mais on le comprend : on ne refuse pas un tel honneur. Il a d’ailleurs perçu le problème grave qui allait résulter de son abandon de la rue de Grenelle puisqu’il a affirmé que « l’école serait avec lui à Matignon ». Selon quelles modalités ? On ne le sait pas encore.

Un Premier ministre que craindrait la droite nationale

Est-ce à dire que l’évidence de sa nomination, pour un changement de rythme et de vision, va le garantir contre les multiples aléas et résistances qui vont s’accumuler sur sa route jusqu’en 2027 ? Qu’Emmanuel Macron ait désiré jeter sa jeunesse dans les « pattes » de Jordan Bardella, qu’il espère réduire la forte avance de celui-ci pour les élections européennes du mois de juin est de bonne guerre et pour le citoyen passionné, cette joute qui opposera François-Xavier Bellamy, Marion Maréchal, Jordan Bardella, Stéphane Séjourné (avec le rôle moteur du Premier ministre pour le « booster » : ce n’est pas gagné !) aura de l’allure. Et de la tenue intellectuelle et politique.

Je ne doute pas une seconde que, quelle que soit la composition du gouvernement (il me paraît peu probable que ses « poids lourds » en sortent) que le Premier ministre ait quelques difficultés à imposer en toutes circonstances son autorité même s’il n’en manque pas et qu’il est sans doute lucide sur ce qui l’attend. Il ne devra pas en tout cas sous-estimer les éventuels conflits psychologiques et politiques qui naîtront inévitablement de l’humiliation (retenue mais certaine) des ministres d’expérience face à sa jeunesse conquérante. Mais les premiers n’ignoreront pas que le président sera un soutien de son Premier ministre sauf à se déjuger lui-même.

Sur ce plan qui est central – l’influence d’Emmanuel Macron -, je ne partage pas l’avis de ceux qui prévoient avec une sorte de volupté jouissive ou amère que le Premier ministre sera littéralement phagocyté par le président et qu’il n’aura que des miettes pour agir. C’est, si j’ose dire, le seul avantage des contradictions permanentes du président et de ses postures alternatives. Qu’on n’oublie jamais que c’est le même homme qui a nommé Pap N’Diaye puis son contraire avec Gabriel Attal : pour peu qu’on survienne, dans l’instabilité présidentielle, au moment où Emmanuel Macron se trouve dans une bonne phase pour le pays, il n’y a aucune raison de craindre que le Premier ministre soit entravé dans l’instauration d’une politique qui sera fondée sur des « fondamentaux » qui émergent à mon sens trop tard, mais mieux vaut tard que jamais ! J’entends bien que Gabriel Attal a une dette à l’égard du président mais le nouveau Premier ministre – il l’a démontré rue de Grenelle – mesure l’immense créance que le peuple français a sur lui. Il attend tout de lui : ce sera sa charge et son honneur de ne pas le décevoir.

Le président de la République, en abattant sur la table démocratique sa dernière carte, assure-t-il à Gabriel Attal une avance décisive pour l’élection de 2027 ? Une avance certes mais pas forcément décisive. Jusqu’à aujourd’hui, Gabriel Attal a été en quelque sorte en permanence en état de grâce dans tous les sens du terme. Matignon n’est peut-être pas « un enfer » mais va représenter une épreuve face à laquelle Gabriel Attal devra démontrer véritablement qui il est. Face à des tâches multiples et inédites. Dévorantes et épuisantes.

Une illusion, seulement de la communication, comme le ressassent ses concurrents et ses adversaires, ou une intelligence, un talent, une énergie rare au service de son pays, comme l’espèrent ses soutiens, ses partisans et la multitude des citoyens qui l’ont découvert comme ministre de l’Education nationale ? J’ose parier pour la seconde branche de l’alternative. Pour terminer par le président, au risque d’apparaître naïf, je ne parviens pas à valider l’idée selon laquelle il aurait nommé Gabriel Attal pour le détruire. Il ne pourra plus se représenter en 2027. Quel que soit le futur du Premier ministre, en compétition ou non en 2027, ce qui va se dérouler à partir de maintenant à Matignon, sous les yeux du pays, sera une aurore ou l’inéluctable continuation d’un déclin consubstantiel au macronisme. On a le droit de rêver.




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Magistrat honoraire, président de l'Institut de la parole, chroniqueur à CNews et à Sud Radio.

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