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Ces otages qui ne sont pas nos hôtes

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Ces otages qui ne sont pas nos hôtes
Jérusalem, 12 décebmre 2023 © UPI/Newscom/SIPA

Georges-Elia Sarfati dénonce l’indifférence du monde politico-médiatique à l’égard des otages franco-israéliens aux mains du Hamas depuis le 7 octobre. Le philosophe et psychanalyste condamne l’effacement de ces hommes, femmes et enfants aux yeux de l’opinion publique.


Dernière minute ! L’armée israélienne a annoncé ce vendredi matin avoir récupéré dans la bande de Gaza la dépouille d’Elya Toledano, 28 ans. Le corps du Franco-Israélien, qui avait été fait otage par le Hamas lors de son attaque sanglante du 7 octobre alors qu’il participait au festival de musique en plein air de Réïm, a été ramené en Israël •

Les mœurs politiques, morales et médiatiques d’une génération ne sont pas forcément égales à elles-mêmes. Une autre ère peut démentir ce que fut l’attitude d’un gouvernement, et d’un peuple, à l’égard des enjeux de son temps. Au début des années 80, l’Europe existait déjà. Mais voilà que les massacres perpétrés par le Hamas le 7 octobre 2023, dans plusieurs localités du Sud d’Israël, ont révélé au monde que le monde ne se soutenait plus des mêmes exigences. Qui s’est informé du passé récent, ou qui a connu ce moment, se souvient de ce que fut à l’unisson l’attitude de la France, et la constance de ses citoyens, à cultiver la présence en leur absence des otages français du Liban : les diplomates Marcel Fontaine et Marcel Carton, le journaliste Jean-Paul Kaufmann et le sociologue Michel Seurat. Je ne me souviens pas qu’alors il y eût de campagnes d’affichage en rappel de leur sort. Mais à tout le moins, je me souviens qu’à partir du mois de mars 1986, la chaîne de télévision Antenne 2, ouvrit quotidiennement son journal par l’évocation des noms des otages, photos à l’appui. Les journalistes martelaient, en une litanie qui avait fini par se graver dans la mémoire française, le décompte de leurs jours passés en captivité. La configuration politique d’alors était, sur le plan international, à peine différente de celle que nous connaissons aujourd’hui au Proche-Orient : « les otages français du Liban », comme tout le monde avait fini par les appeler, avaient été enlevés par le Hezbollah, ils étaient détenus par la même milice shiite, supplétive de l’Iran des Mollahs. Qu’ils n’aient pas été abandonnés à leur sort, ni voués aux abysses de l’oubli a sans doute été pour beaucoup dans le dénouement tendanciellement positif de cette affaire. La situation des otages français avait été assumée avec la dignité d’une véritable cause nationale, et l’information nationale nous les avait rendus proches, en nous inculquant le sentiment que le calvaire qu’ils enduraient nous concernait aussi. La campagne médiatique, régulière et quotidienne, menée en faveur de nos concitoyens, fut sans faille, et dura plus de deux années consécutives, jour après jour, jusqu’à leur libération en mai 1988 – à l’exception de M. Seurat, mort en captivité.

Indifférence

Cela concernait le Liban et le Hezbollah, et non pas Israël et le Hamas, et les otages d’alors, bien que très peu nombreux, en comparaison du nombre d’otages saisis en 2023 par le Hamas, sur le territoire souverain d’Israël, étaient exclusivement des citoyens français, sans qu’aucun fût de confession juive. Une question surgit alors : la qualité des otages est-elle pour quelque chose dans la différence de traitement médiatique et politique que la France et son gouvernement infligent aux otages du Hamas ? Je pense ne pas être le seul à m’être étonné, puis à m’indigner de l’indifférence entretenue à leur endroit depuis les massacres et les exactions du 7 octobre. La trêve qui a permis l’échange d’une centaine d’entre eux contre des délinquants palestiniens, détenus en Israël, a apporté une nouvelle démonstration sur la nature inconciliable de l’islamo-sadisme : surtout ne pas réunir les familles, calculer la sortie de certains enfants et de certains adultes, se débarrasser des étrangers pour complaire aux nations (non juifs et non israéliens), et retenir les femmes adultes et les hommes susceptibles de porter les armes, isolant ainsi davantage Israël sur la « scène » internationale.

Kfar Saba, Israël, 12 novembre 2023 © Ariel Schalit/AP/SIPA

N’était l’activité inlassable du Collectif du 7 Octobre, jamais la rue française n’aurait eu connaissance des visages, ni des noms des otages retenus par le Hamas. Les esprits, en principe formés dans le giron culturel des Lumières et de la défense de la dignité humaine, seraient enclins à penser qu’il faut défendre les victimes pures, et ne pas abdiquer l’exercice du jugement critique, même à bonne distance. Le principe du devoir de mémoire aurait pu s’affirmer dans cette situation limite, sans que son usage ne coïncide pour une fois avec la seule considération d’une mémoire endeuillée. Le devoir de mémoire pourrait s’ériger en faux contre la continuation du terrorisme, simplement au nom de la défense des droits humains, si chéris des Occidentaux. Mais non, cette seule et simple possibilité éthique est demeurée lettre morte.

Perversion

Au contraire, depuis le 7 octobre 2023, les medias publics français ont accoutumé la population française à l’indifférence ; pis, ils l’ont éduquée à l’oubli, et lorsque ces mêmes otages sont évoqués – surtout lorsqu’ils l’ont été pour les besoins de la mise en scène voulue par des terroristes passés maîtres dans l’art de subvertir les codes moraux, les médias ont tout fait pour éviter d’humaniser ceux qui sont restés captifs, au prétexte qu’Israël en guerre existentielle contre une organisation génocidaire n’entend pas obéir à l’injonction planétaire de faire cesser le feu.

Une forme de suspicion s’est même insinuée à l’endroit de la minorité des otages franco-israéliens. « On » a d’abord retenu qu’ils étaient d’abord Israéliens et juifs, puis incidemment Français. Cette seule singularité a suffi à nous les rendre lointains et abstraits, parce qu’étrangers. Ces otages ne sont pas nos hôtes, au contraire des « otages français du Liban », qui naguère étaient nos convives quotidiens. À partir de cette prémisse fortement intériorisée, à partir de ce présupposé très généralement partagé, « on » s’est fait à l’idée qu’à cause de la contre-offensive d’Israël, ces otages au statut hybride, pouvaient bien être livrés au bon plaisir du Hamas. Ces otages qui ne sont pas nos hôtes, mais qui auraient pu l’être, notamment sur simple décision de la présidence française, peuvent bien rejoindre sans que cela n’émeuve le moins du monde, le nombre des victimes collatérales d’une guerre dont « on » a aussi oublié les principales raisons. Dans chaque quartier de Paris, j’ai reconnu les affiches soulignant le drame constant des otages au fait qu’elles étaient d’abord placardées sur la devanture de commerces casher. Dans chaque quartier de Paris, j’ai aussi reconnu à leur déchirure ces affiches arrachées par des mains haineuses et résolues à défigurer l’image de leur présence. Et dans les deux cas, j’ai constamment reconnu l’effet du raptus antisémite. Ce sont des figures d’enfant, de femmes, d’hommes arrachés à leur vie quotidienne, parce qu’ils sont citoyens du seul État à caractère juif de la planète Terre. Le droit international, la condition féminine, les droits de l’enfant, ne sont-ils donc que les slogans d’un certain militantisme, ou les fétiches d’un discours politique irréversiblement perverti ? Ainsi va la volatilité de la mémoire, ainsi va encore la fragilité de nos cadres éthiques et juridiques, si facilement mis à mal devant la première épreuve. Toute rectitude citoyenne se serait-elle évaporée ?




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Linguiste , théoricien du langage, philosophe

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