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Israël: l’année 5784, la crise des commandements

Réforme de la justice en Israël: le pays contraint de se redéfinir


Israël: l’année 5784, la crise des commandements
Tel Aviv, 30 septembre 2023 © Matan Golan/Sipa USA/SIPA

Les juifs du monde entier viennent de célébrer Roch Hachana, le nouvel an du calendrier hébreu. Alors qu’Israël traverse une période de turbulences politiques et sociales sans précédent, le temps est venu de prendre de bonnes résolutions.


 « Ne demande la vérité qu’à tes ennemis ». Pour suivre ce conseil du poète persan Saadi, Israël ne devrait pas avoir de difficulté. Ses ennemis sont toujours nombreux dans le monde, mais le plus évident, celui qui refuse l’idée même d’existence de l’État hébreu, reste incontestablement l’Iran, la patrie du célèbre poète du 13ème siècle dont le poème, « Bani Adam » (Les Êtres humains), est gravé à l’entrée de l’immeuble des Nations Unies à New York.

Il y a quelques mois, le site du ministère iranien des Affaires étrangères a publié un tweet pour saluer les résultats d’un sondage américain concernant Israël. Selon l’enquête d’opinion menée par l’Institut de Maryland en avril dernier, 44% des sondés démocrates et près de 20% de pro-républicains considèrent l’État hébreu comme un pays raciste et approuvent le mouvement de boycott d’Israël, campagne connue sous le nom de BDS  (Boycott, Désinvestissement et Sanctions). « Il est certain que si l’Amérique est libérée du contrôle du lobby sioniste, indique le site, on obtiendra des résultats encore plus surprenants ». Que l’opinion démocrate américaine soit critique envers Israël n’est pas nouveau. Le ministère iranien aurait pu rajouter que même les organisations juives des États-Unis sont souvent en désaccord avec la politique de Jérusalem et ce, bien avant le débat autour de la réforme judiciaire qui a embrasé le pays depuis cet été.

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Ceux qui suivent l’actualité israélienne se souviennent de la déclaration « épidermique » il y a quelques années de Tzipi Hotovely, alors vice-ministre des Affaires étrangères, sur le manque de compréhension de la politique israélienne par les juifs américains : « Ils n’envoient pas leurs enfants se battre pour leur pays ». Benjamin Netanyahu s’était empressé de réprimander la jeune membre de son cabinet, mais les clivages n’ont cessé de croître – et pas uniquement entre Israël et les organisations juives américaines, mais aussi et surtout au sein de la société israélienne.

Un mode de scrutin à bout de souffle

L’actuel gouvernement de Netanyahu a été formé après les cinquièmes élections législatives en trois ans et demi. Ce cabinet, constitué de la droite et de l’extrême-droite religieuse, si peu ressemblant à la société israélienne d’aujourd’hui, est un symbole flagrant de la crise du pouvoir exécutif et des institutions politiques en général, qui semblent être dépassées par la réalité d’un pays qui a beaucoup évolué depuis sa fondation moderne en 1948.

Il serait trop facile de rejeter toute la faute sur l’insubmersible « Bibi », lâché par la plupart de ses alliés et lessivé par ses déboires judiciaires. Le fait que dans le précédent gouvernement d’Yair Lapid, l’opposant principal de Netanyahu, ont siégé Avigdor Liberman, le leader du parti ultra-nationaliste, Israël Beytenou et Mansour Abbas, le chef du parti islamiste des arabes israéliens, a illustré de manière explicite l’incapacité du système électoral actuel de former une majorité cohérente, capable de proposer à ses citoyens, mais aussi – le destin de ce pays oblige – au monde, une vision, une voie qui unit plutôt qu’elle ne divise.

L’armée et le pouvoir, des fissures dangereuses

Conséquence de cette impasse, la crise de gouvernance politique se propage aux autres sphères de la société israélienne. Jusqu’à maintenant, l’armée, ce pilier sacré de l’État juif, s’est toujours rangée derrière le Premier ministre, comme le veulent les lois fondamentales d’Israël. Le poste de ministre de la Défense, qui supervise le commandement militaire, est le plus important dans le cabinet après celui du chef de l’État. Dans les coalitions gouvernementales précédentes, cette fonction pouvait être confiée à un responsable politique ne venant pas du même bord que le Premier ministre, tant l’unité sur les questions de la défense d’Israël était infaillible. On peut citer les exemples du travailliste Benjamin Ben-Eliezer dans le cabinet de « likudnik » Ariel Sharon, d’Ehud Barak dans celui de son opposant Benjamin Netanyahu ou encore, plus récemment, du centriste Benny Gantz dans le cinquième gouvernement du même Netanyahu.

Le projet très controversé de la réforme judiciaire initié par le gouvernement au début de 2023 a vu cette union sacrée entre le pouvoir et l’armée se fissurer pour la première fois dans l’histoire du pays. Le ministre de la Défense Yoav Galant avait exprimé son désaccord avec le projet de loi, ce qui avait provoqué la colère du chef du gouvernement et son limogeage quelques jours plus tard. Sous la pression de la rue et des inquiétudes grandissantes pour la sécurité d’Israël, « Bibi » fut contraint de revenir sur sa décision. Mais, au mois de juin, ce sont de nombreux réservistes de l’armée de l’Air qui ont déclaré qu’ils suspendraient leur service si la Knesset adoptait la loi sur le système judiciaire sous sa forme actuelle. La chaîne Al Jazeera ne s’est pas privée de reprendre le tweet du fils de Netanyahu, Yair, dans lequel celui-ci accusait le chef d’état-major Herzi Halevi de ne pas rappeler à l’ordre les réservistes en question.

Les laïques et les religieux, les commandements n’opèrent plus

Si la relation entre le gouvernement et l’armée s’est apaisée depuis, le différend qui oppose la société laïque et les partis religieux semble être beaucoup plus profond. Les protestations sans précédent dans les rues de centaines de milliers d’Israéliens pendant plusieurs semaines n’ont pas été soulevées uniquement par la question ponctuelle du choix des juges par les partis politiques. Les 65% de juifs israéliens qui se déterminent comme non religieux ne souhaitent pas l’emprise des mouvements ultra-orthodoxes et des lois rabbiniques sur la société démocratique. « C’est la question de notre identité », a résumé l’ancienne ministre Tzipi Livni.

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Au mois de mai le gouvernement a réussi, grâce aux efforts énergiques de ses ministres emblématiques Bezalel Smotrich (Finances) et Itamar Ben-Gvir (Sécurité nationale) à faire voter par la Knesset le budget des deux prochaines années. Celui-ci prévoit, entre autres, le financement massif des écoles ultra-orthodoxes dans lesquelles l’enseignement des mathématiques et de l’anglais est souvent absent. Les juifs orthodoxes sont pour la plupart exemptés du service militaire obligatoire et exercent rarement une profession en dehors de leur communauté. Les études de la Torah et de ses commandements, auxquelles ils consacrent leur existence, ne semblent pas convaincre le reste de la société quant à la contribution tangible de cette population à la résolution des nombreux problèmes du pays…

Alors que l’Iran a rejoint le groupe des BRICS le mois dernier, en mettant fin, au moins partialement, à son isolement international, l’État d’Israël traverse une période de crise majeure de gouvernance et des commandements dont il porte l’héritage si précieux. Sauf surgissement d’un nouveau prophète, comme cela fut le cas dans l’histoire ancienne, le peuple israélien ne semble pas avoir d’autre choix que de se faire une véritable piqûre de rappel sur son sort durant de longs siècles, jusqu’à il n’y a pas si longtemps encore.




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est directeur marketing chez Orange. Son livre « L'Homo Globalis Numericus » est paru au début de l’année aux Editions du Panthéon.

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