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Ruben Rabinovitch, le guetteur privilégié

Quand l'État de Droit devient un monument d'immobilisme.


Ruben Rabinovitch, le guetteur privilégié
Le Tribunal de Grande Instance de Paris, 14/10/2021 Xavier Francolon/SIPA 01043890_000001

Ce psy connaît de très près les jeunes délinquants des « quartiers » qui le consultent dans un contexte juridique. Ses interventions médiatiques lèvent le voile sur la culture qui domine dans ce milieu social, une culture de clan résolument incompatible avec la culture européenne, fondée comme elle l’est sur une notion de vengeance encore plus radicale que la loi du Talion.


Sa carrière a placé Ruben Rabinovitch dans une position privilégiée : psychologue et psychanalyste, il reçoit dans son cabinet beaucoup de délinquants issus de l’immigration maghrébine. Ceux-ci ne viennent pas le consulter pour mieux comprendre leur psyché mais pour avoir une lettre prouvant au magistrat qui les jugera qu’ils font les efforts de réinsertion qui attireront sa clémence. Il lui arrive aussi d’aller dans les tribunaux voir ses visiteurs passer devant les juges. Il se trouve ainsi comme placé sur un belvédère, avec vue imprenable sur le confluent de ces deux torrents calamiteux qui menacent de noyer la France : l’immigration incontrôlée et une justice qui, depuis Michel Foucault et la naissance du Syndicat de la Magistrature, a honte de punir et souhaite éperdument n’être qu’une ONG vouée à l’amicale compréhension des délinquants et à la clémence envers eux quoi qu’il en coûte. Et il en coûte beaucoup à la France.

Cette position de guetteur mélancolique est nécessaire mais pas suffisante. Ruben Rabinovitch a en outre un sens fracassant de la formule, un style digne d’un écrivain de haut vol, et une immense culture centrée sur la littérature, les religions et la philosophie. Sans parler du zeste d’humour grinçant qui signe les grands esprits. A preuve de la première de ces qualités, le titre d’un article paru dans un célèbre hebdomadaire :  « Une justice faible avec les barbares est une justice barbare avec les faibles ». Pour sa vaste culture, j’avancerai ses réflexions sur la loi du Talion. En brave petit étudiant en lettres classiques, je tenais « œil pour œil, dent pour dent » pour le comble de la barbarie, auquel était venu mettre un terme la naissance de la Justice splendidement racontée par Eschyle dans L’Orestie. La cascade de meurtres qui a ravagé la famille d’Agamemnon (je tue ma mère parce qu’elle a tué mon père, ma mère a tué mon père parce qu’il avait tué ma sœur) s’arrête le jour où les Dieux décident d’infliger à Oreste une peine inférieure à son crime. Il ne sera pas tué pour avoir tué, il sera poursuivi toute sa vie par les Érinyes, ces cruelles déesses de la punition divine.

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Or Ruben Rabinovitch, à la suite de l’anthropologie du clan développée par le docteur Maurice Berger, nous explique qu’il y a bien pire que le Talion, c’est la loi encore plus archaïque du clan qu’il résume pittoresquement ainsi : « Pour un œil, les deux yeux, et pour une dent toute la mâchoire ». Beaucoup d’originaires d’Afrique du Nord et d’Afrique noire se vivent encore comme membres d’un clan et non comme  individus responsables. Toute blessure que je reçois est infligée à tout cet organisme vivant dont je ne suis qu’une cellule, toute blessure que j’inflige n’est pas de ma responsabilité, je ne peux en ressentir de culpabilité, pas plus qu’une main ne s’offusque d’un crime conçu ailleurs par le cerveau. Est-ce la raison pour laquelle l’idée de duel, de combat entre deux forces équilibrées, n’existe pas dans certaines cultures ? La Bible nous raconte le duel entre David et Goliath, l’histoire romaine nous parle du combat des trois Horaces et des trois Curiaces, et les duels et tournois du Moyen Age ont fini d’implanter très profondément le combat loyal dans la psyché occidentale. Pourquoi certaines cultures ne prohibent-elles pas la pratique abominable du lynchage ? Peut-être à cause de la psychologie du clan.

Redescendons de ces hauteurs théoriques au récit tristement réaliste que Ruben Rabinovitch fait d’une séance de tribunal. Deux jeunes hommes mineurs ont massacré une jeune femme près d’une caisse de supermarché. Elle leur avait demandé de faire la queue comme tout le monde, en réponse elle a été sauvagement frappée et défigurée, elle en gardera des séquelles à vie ainsi que la peur panique de sortir de chez elle. En plein prétoire, quand l’avocat évoque cette défiguration, les accusés lancent : « T’avais déjà une sale gueule, de toute façon ! » Arrive la conclusion, glaçante : « Chacun ressortit du tribunal comme il y était entré. Sans odorat, sans goût, le visage déformé et incapable de sortir de chez elle, pour la plaignante. Libres, pour les deux adolescents ».

Un cas isolé ? Non, un cas quotidien. Rédigeant cet article, j’ouvre le site du Figaro en date du 29 juillet 2023. « Trois hommes condamnés après le lynchage d’un policier sous les yeux de sa fille. Trois hommes ont été condamnés par le tribunal correctionnel de Meaux à des peines allant de dix-huit mois avec sursis probatoire à trois ans de prison, dont un ferme après la violente agression au début du mois de juillet d’un policier hors service à Mitry-Mory ». Gageons que le juge d’application des peines, dont je rappelle qu’il n’existe qu’en France, réduira à six mois l’année ferme. Et qu’un ministre soucieux de l’encombrement des prisons épargnera tout passage derrière les barreaux à ce brave garçon. Justice vraiment barbare, qui pousse les condamnés à récidiver et les victimes à subir une perpétuité de souffrances physiques et morales. Le policier de Mitry-Mory n’est pas mort, mais rappelons que le relatif tassement des meurtres en France n’est dû qu’à la grande rapidité des secours et à l’efficacité des chirurgiens.

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Comment ralentir ces deux torrents ravageurs qui font tous les jours leur jonction dans nos tribunaux ? Le docteur Maurice Berger, spécialiste de la violence des ados, et le psychologue et psychanalyste Ruben Rabinovitch montrent que tout se joue dans les premières années, quand le petit garçon s’habitue à être adulé par les femmes de la famille et à voir celles-ci battues sans ménagement par les hommes. « L’absence des pères dans les « quartiers » est souvent moins délétère que leur présence », remarque cruellement Rabinovitch dans Le Point. Le fonctionnement moral et mental des individus soumis à la loi du clan n’est pas le même que celui des personnes façonnées par une culture où le père est censé poser des interdits à l’enfant et lui faire intérioriser la culpabilité devant le mal. Ce problème posé par des garçons sans limites ni culpabilité se reproduit à chaque génération, ce que je lis sous la plume de Rabinovitch ressemble à ce que j’ai découvert dans les années 1990, professeur dans le quartier sensible de Chatenay-Malabry. Par bonheur, l’imprégnation par la culture européenne fait échapper un certain nombre de ces jeunes à l’infernale mécanique, et j’ai été ravi de découvrir pendant la pandémie que bon nombre de sommités médicales se prénommaient Karim ou Mohamed. Le substitut du procureur de Meaux, qui avait requis quatre ans de prison dont trois fermes contre deux des lyncheurs de flic de Mitry-Mory et deux ans dont un ferme pour le troisième (donc bien plus que la condamnation effective), se nomme Yacine Benmohammed. « L’espoir luit comme un grain de paille » dit Verlaine dans Sagesse.

Quel Hercule nettoiera les écuries de la justice française ? La plus épaisse des couches de crasse est constituée par une bonne conscience phénoménale, une certitude généralisée chez tous les juges, même le raisonnable Georges Fenech, qu’ils ont raison de défendre ce monument d’immobilisme dangereux qu’ils appellent l’État de Droit. État de droit qui sert en premier lieu leurs intérêts corporatistes, faut-il le dire ? Quand comprendront-ils que l’anthropologie chrétienne qui conçoit l’homme pétri de mal a vaincu depuis longtemps l’anthropologie rousseauiste pour qui l’homme est bon par nature mais corrompu par la société ?



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