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Relations franco-algériennes: la théorie du bouc-émissaire


Relations franco-algériennes: la théorie du bouc-émissaire
Les présidents Macron et Tebboune, Alger, 25 août 2022 © ELIOT BLONDET-POOL/SIPA

Alors même qu’Emmanuel Macron a essayé d’apaiser le pouvoir algérien, notamment pour solutionner une partie de la crise énergétique causée par l’invasion de l’Ukraine, il semblerait qu’Alger ne soit pas décidé à jouer l’apaisement. Puissance européenne et méditerranéenne de premier plan, la France paye encore les dividendes d’une histoire tourmentée et jamais résolue avec sa grande voisine du sud. Le souvenir de la Guerre d’Algérie s’est grandement estompé en France, mais il est toujours le mythe fondateur de la république algérienne, le terreau sur lequel ce peuple longtemps soumis à la tutelle de puissances étrangères a trouvé ses racines.

Le meurtre symbolique du bouc-émissaire

L’hymne national algérien le rappelle explicitement dans sa version intégrale : la France est la Némésis de l’Algérie, le modèle et le rival d’un inconscient collectif en quête d’identité. En élargissant la liste des évènements où l’hymne sera joué dans son entièreté avec le troisième couplet dit du « Kassaman », Abdelmadjid Tebboune signifie à la France une fin de non-recevoir et provoque directement notre diplomatie jusque-là passive.  « Ô France ! Le temps des palabres est révolu. /Nous l’avons clos comme on ferme un livre. /Ô France ! Voici venu le jour où il te faut rendre des comptes. /Prépare-toi ! », entendront désormais les Algériens pour toutes les commémorations officielles en présence de leur président de la République.

Il s’agit là d’un retour au premier plan des fondamentaux du Front de Libération nationale (FLN). Du reste, ce troisième couplet n’était auparavant joué que pour les congrès du mouvement et l’investiture du président de la République. Il fait de l’hymne algérien composé par le militant nationaliste et poète Moufdi Zakaria, le seul au monde à mentionner nommément une puissance étrangère ; preuve, s’il en fallait une, de la schizophrénique relation que les Algériens entretiennent avec la France.

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Il faut à ce pouvoir symboliquement tuer la France, sans cesse. C’est le seul moyen pour l’élite militaire et politique de renouveler sa légitimité. Nous sommes pleinement chez l’anthropologue et philosophe René Girard, auteur de l’ouvrage Le Bouc Emissaire pour qui la rivalité mimétique était source de conflits et de violence : « Fixer son attention admirative sur un modèle, c’est déjà lui reconnaître ou lui accorder un prestige que l’on ne possède pas, ce qui revient à constater sa propre insuffisance d’être ». Ainsi, le pouvoir des généraux étouffe toutes les velléités de rébellion en désignant à la vindicte un ou des boucs-émissaires, en l’occurrence la France et sur d’autres sujets son voisin marocain.

Quant à nous Français, nous ne parvenons à nous extirper qu’avec les plus grandes difficultés de ce chantage affectif. Tant du fait d’une immigration algérienne présente en grand nombre sur notre sol que du fait d’un sentiment de culpabilité chevillé au corps, trop longtemps entretenu par une partie de notre intelligentsia. La « relation privilégiée » est pourtant un lointain souvenir, comme l’a rappelé à plusieurs reprises l’ancien ambassadeur de France Xavier Driencourt, notamment dans son ouvrage L’Enigme Algérienne : Chroniques d’une ambassade à Alger (Editions de L’Observatoire).

Une relation géostratégique à revoir

D’importantes pommes de discorde subsistent. Désireuse de rejoindre les BRICS, l’Algérie fait les yeux doux à la Russie de Poutine. Lors du dernier forum économique de Saint-Pétersbourg, Abdelmadjid Tebboune a notamment déclaré devant un Vladimir Poutine manifestement surpris que ce dernier était « un ami de l’humanité ». Au plus fort de la guerre d’invasion que livre la Russie sur le sol européen, une telle saillie ne peut qu’inquiéter les pays membres de l’Union européenne engagés pour une résolution militaire du conflit et désireux de trouver avec l’Algérie une alternative au gaz russe – ce qui est pour l’heure caduc, Alger ne parvenant pas à augmenter ses capacités de production.

Le deuxième sujet sur lequel les liens franco-algériens achoppent est la question des accords de 1968 sur l’emploi des Algériens en France. Récemment, Edouard Philippe mettait un coup de barre à droite en déclarant qu’il fallait urgemment renégocier ces accords organisant l’entrée et le séjour des immigrés de l’ancien département français, les jugeant anachroniques en 2023 puisqu’ils avaient été pensés durant les Trente Glorieuses pour répondre à des demandes précises de main d’œuvre dans le secteur industriel. Edouard Philippe s’est attaqué à un tabou puisque le gouvernement a immédiatement fait savoir que le projet de loi immigration ne reviendrait pas sur ces accords, utiles aussi aux Algériens pour se débarrasser d’une jeunesse qui ne trouve pas d’emploi chez elle… Pourtant, ces facilités accordées aux Algériens sont extrêmement problématiques et à sens unique, ne profitant qu’aux ressortissants d’un pays dont l’hymne appelle pourtant à se séparer de la France.

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Le dernier problème posé par l’Algérie à la France est celui de la dégradation de nos rapports avec le Maroc. La question du Sahara est une source de rivalités constantes et l’Algérie empêche la France de se positionner correctement. À mesure qu’Emmanuel Macron faisait chauffer le téléphone rouge entre Alger et Paris, les brouilles s’intensifiaient entre Rabat et Paris. Preuve en est avec la diffusion de vidéos explicites qui font le buzz sur les réseaux sociaux du royaume, regrettant cette dégradation historique.

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Gabriel Robin est journaliste rédacteur en chef des pages société de L'Incorrect et essayiste ("Le Non Du Peuple", éditions du Cerf 2019). Il a été collaborateur politique

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