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Et maintenant, la destruction du code du travail


Et maintenant, la destruction du code du travail
Le patron du Medef, Pierre Gattaz, arrive à l'Elysée pour rencontrer Emmanuel Macron, Paris, mai 2017. SIPA. 00807997_000002
Le patron du Medef, Pierre Gattaz, arrive à l'Elysée pour rencontrer Emmanuel Macron, Paris, mai 2017. SIPA. 00807997_000002

La France vient de vivre une séquence politique assez extraordinaire. Une présidentielle à six tours, l’élection, à l’aide de méthodes ahurissantes, d’un inconnu fabriqué et lancé comme une savonnette, la destruction des deux grands partis qui structuraient la vie politique depuis quarante ans et pour finir un parlement improbable fruit d’une abstention électorale massive. 80 % des Français en âge de voter sont dans l’expectative…

Que va faire le jeune roi ? On est contraint jusqu’à présent à la conjecture, même si les signaux que nous recevons sont quand même passablement inquiétants. Le premier chantier annoncé, est celui qualifié par Jean-Luc Mélenchon de « destruction du code du travail », qui devrait être mis en œuvre par ordonnance, et au mois d’août, période évidemment plus facile pour faire avaler la purge. L’inquiétude se renforce à la lecture des fuites parues dans la presse qui donnent une petite idée de ce qui attend les salariés.

L’inversion de la hiérarchie des normes

On ne discutera pas ici de la nécessaire évolution du code du travail, devenu dans certains de ses aspects, inadapté, et parfois instable du fait du rôle joué par la jurisprudence qui peut rendre l’application de certaines normes trop imprévisibles. Cela étant, la destruction programmée des fondements mêmes du droit du travail français montre bien l’objectif poursuivi : faire de la baisse des rémunérations et la disparition des protections dont bénéficient les salariés, gages donné à l’UE, la preuve que la France est bien décidée à en passer par les conditions du capitalisme actionnarial. Qu’entendre par « destruction programmée des fondements du droit du travail français » ? C’est ce qui résultera inéluctablement de ce que l’on appelle « l’inversion de la hiérarchie des normes ». Se cache derrière cette formule obscure, un débat théorique de très grande importance qui concerne tous les domaines du droit et qui oppose deux écoles philosophiques celle du « jusnaturalisme » et celle du « positivisme juridique ».

Jusqu’à présent, le droit du travail français relevait du positivisme juridique qui fait que l’ensemble des règles pouvait être organisé dans un dispositif hiérarchique de forme pyramidale. Le grand théoricien de cette organisation est le juriste américain d’origine autrichienne Hans Kelsen. Au sommet se trouve la norme la plus élevée, c’est-à-dire la Constitution, en dessous la loi organique, puis la loi ordinaire, ensuite, toujours en descendant le règlement (décrets et arrêtés pris par l’exécutif), les conventions collectives aujourd’hui appelées « accords de branche », les accords d’entreprise, et enfin le contrat de travail au sein duquel se révèle la force normative de l’ensemble. Le principe qui guide cette construction, et c’est essentiel, est que chaque norme inférieure doit être conforme ou compatible avec la norme supérieure. En droit du travail, cela veut dire que la norme inférieure ne peut pas accorder au salarié moins que ce que prévoit la norme supérieure. Ce qui fait que la norme ultime, le contrat de travail, pourra prévoir plus et mieux que l’accord d’entreprise, plus et mieux que l’accord de branche, plus et mieux que les décrets, que la loi etc.

L’autre principe de ce dispositif de hiérarchie des normes, est qu’à chacune d’entre elles correspond un niveau d’élaboration et d’adoption. Pour la Constitution, c’est le peuple directement ou indirectement, pour la loi c’est le Parlement, pour les décrets le gouvernement, pour les accords de branche les partenaires sociaux institutionnels, pour les accords d’entreprise idem au niveau de l’entreprise, pour le contrat de travail le salarié et le patron.

La mise à mort des traditions

Cette organisation est la conséquence de deux traits spécifiques à la société française procédant de traditions culturelles enracinées et séculaires. On commencera par le fameux culte de l’égalité, celle-ci ne s’arrêtant pas à celle des droits et devoirs. Le contrat de travail n’est pas considéré, à juste titre, comme un contrat ordinaire passé entre deux sujets de droits égaux, le patron et l’employé. Le premier recherche une marchandise, la force de travail du second, qui n’a que ça à vendre. Et dont l’achat par le patron lui assure la survie. Déséquilibre des forces qui imposent d’encadrer la conclusion et l’exécution du contrat dans des règles qui rétablissent l’égalité des volontés dans leur expression. Sinon c’est une situation qui peut se résumer ainsi : le patron libre face aux employés libres, c’est comme le renard libre dans le poulailler libre.

Le deuxième trait particulier résulte à la fois du rôle de l’État et des traditions syndicales dans notre pays. La France a une tradition d’État fort, à la fois outil de domination mais aussi de représentation, qui s’est très tôt attribué une fonction d’arbitre dans l’élaboration des normes encadrant le travail. La tradition syndicale a longtemps été celle de la lutte des classes. Tout en revendiquant leur indépendance vis-à-vis de l’action politique, les grandes organisations ont toujours entretenu des rapports étroits avec la chose politique. Et d’ailleurs il est assez significatif de constater que les forces syndicales françaises ont une influence vis-à-vis des sommets de l’État sans commune mesure avec les niveaux d’adhésion qu’elles pourraient revendiquer. Les compromis s’élaborent peu au niveau de l’entreprise, mais plutôt au travers de grandes négociations qui rassemblent les trois angles de cette figure géométrique particulière. Cela vaut pour les négociations historiques de 1936, ou de mai 68, les grandes avancées syndicales au Parlement, jusqu’aux accords de branche à qui l’État donne force exécutoire par arrêté. C’est à ces niveaux que vont jouer les rapports de force. Et c’est ainsi qu’en introduisant l’essentiel des mesures de protection du salarié dans les normes supérieures, on protège celui-ci en réduisant le périmètre du contrat de travail susceptible d’être négocié. Et à cela s’ajoute le principe « des droits acquis » qui impliquent que l’on ne peut revoir à la baisse les droits accordés à un salarié sans son accord. C’est sur cette tradition qui remonte à loin, ces modes de fonctionnement, qui sont sûrement perfectibles mais qui ont joué un rôle positif pour la condition ouvrière, que les socialistes français ont voulu revenir avant qu’Emmanuel Macron ne décide de les mettre complètement à bas.

Le renard est lâché dans le poulailler

Il aurait été tout à fait possible, par la négociation ou par des mesures législatives ou réglementaires de modifier le contenu normatif de la pyramide qui le méritait. La voie choisie est celle de faire de l’accord d’entreprise la norme principale, les règles législatives et réglementaires se contenteront du minimum comme le salaire du même nom, plus quelques détails. L’essentiel se passera dans l’entreprise où, comme chacun sait, le rapport de force en faveur des salariés est beaucoup plus difficile à construire qu’au niveau national. Rémunérations, temps de travail, statuts, évolution des carrières, discipline etc., tout ce qui fait l’essentiel du rapport de travail sera décidé au niveau de l’entreprise.

Chacun sait que le taux de syndicalisation à la base est faible, et comme en cas d’échec des négociations, le patron pourra soumettre au référendum l’accord refusé par les syndicats de l’entreprise, s’il y en a, on imagine la force du levier du chantage à l’emploi et des autres pressions. Pour faire bonne mesure on nous annonce que les contrats de travail pourront être révisés à la baisse si l’accord d’entreprise passé dans des ces conditions le permet. Vous receviez 2500 € par mois pour le poste que vous occupiez, si l’accord d’entreprise adopté par référendum prévoit 1500 pour le poste, vous pourrez être ramenés à cette somme du jour au lendemain. On ne rentrera pas dans le détail de ce qui nous attend mais on peut déjà trouver de belles illustrations.

On comprend, que la CFDT, plus présente dans les PME du secteur privé, et armée de sa culture de collaboration se réjouisse de cette agression. Elle y trouvera son compte sur le plan syndical, et pourra ainsi aider à la mise en place du système dont l’UE et Merkel exigent la mise en place, et qui a son accord.

Emmanuel Macron avait intitulé son livre programme « Révolution ». C’est bien de cela qu’il s’agit, une révolution juridique pour un retour non pas aux conditions de travail du XIXe siècle mais aux pratiques qui y avaient cours. Le renard est de retour dans le poulailler et il semble qu’il ait grand-faim.



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