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Retour de Sarajevo


Retour de Sarajevo
Le président de la république serbe de Bosnie Milorad Dodik prononce un discours à Sarajevo, à l'occasion de la fête nationale, 9 janvier 2023 © Armin Durgut/AP/SIPA

À l’invitation du président de la République serbe de Bosnie, Milorad Dodik, nous nous sommes rendus les 8 et 9 janvier derniers, au lendemain de la célébration de Noël orthodoxe, aux cérémonies de la fête nationale de cette entité serbe de Bosnie-Herzégovine, fondée il y a 31 ans (le 9 janvier 1992), et placée depuis les Accords de Dayton sous la tutelle de l’Union Européenne.


Les Accords de Dayton, conduits par le département d’État américain et l’OTAN, visent depuis le 21 novembre 1995 à diriger la Bosnie-Herzégovine sur la voie de son entière intégration dans les institutions occidentales.  

Nos expériences initiales de ce pays ont en commun d’être celles de deux officiers de l’armée française, engagés, pour l’un, Patrick Barriot, sous le drapeau de l’ONU comme casque bleu en Krajina dès 1994, en tant que médecin anesthésiste-réanimateur de l’antenne chirurgicale du bataillon français, pour l’autre, Jacques Hogard, en tant que chef du groupement des forces spéciales déployé sous pavillon de l’OTAN en Macédoine puis au Kosovo en 1999.

Deux expériences à l’évidence très différentes à beaucoup d’égards, mais qui, toutes deux, ont marqué nos vies, nous conduisant à en modifier le cours radicalement, en nous amenant à quelques années d’écart à quitter cette armée française que nous aimions et considérons toujours comme notre famille, et à rejoindre la vie civile.

Nous en avons tiré chacun un maître-ouvrage : On assassine un peuple, les Serbes de Krajina en 1995 pour Patrick Barriot, L’Europe est morte à Pristina, guerre au Kosovo – printemps, été 1999 pour Jacques Hogard, en 2014. Ouvrages dans lesquels nous avons mis toute notre âme, tout notre cœur pour dire, pour raconter aux Français qui voudraient bien nous lire, ce que nous avions vécu  chacun sur le terrain, dans des circonstances tragiques qui nous ont marqués pour le restant de nos jours. 

A l’époque des faits, nous ne nous connaissions pas. Ce n’est que des années plus tard, en 2003, que nous ferons connaissance et qu’en dépit de leurs différences, les analogies entre nos expériences vécues nous seront alors évidentes et que nous deviendrons des amis très proches. Au point naturellement de poursuivre ensemble depuis lors notre quête de vérité sur la dislocation de la Yougoslavie et le cortège de drames sans fins qui l’ont accompagnée. 

Nous avions vécu en direct en effet, chacun dans une région différente, la diabolisation du peuple serbe, son ostracisation par la « communauté internationale » et la volonté, notamment de l’OTAN et de l’UE (« les deux faces d’une même pièce », pour reprendre l’expression sans ambiguïté de l’actuel secrétaire général de l’OTAN, le Norvégien Jens Stoltenberg) de l’accabler, de l’affaiblir, de le fractionner en plusieurs entités à la faveur du démantèlement de la Yougoslavie, cette République fédérale d’obédience communiste ayant succédé en 1945 au Royaume de Yougoslavie, initialement dénommé « Royaume des Serbes, des Croates et des Slovènes ». 

Depuis lors, outre les ouvrages cités, et quelques autres, articles, conférences, nous avions tenu à manifester notre volonté de contribuer au rétablissement de la vérité, au nom de la justice qui lui est dû et du maintien, à notre modeste niveau, de cette très ancienne amitié franco-serbe qui remonte au Moyen-Âge, à la princesse Hélène d’Anjou, épouse du Roi Uros, canonisée par l’église orthodoxe, à la bataille de Kosovo Poljé (1389) et à Notre-Dame-de-Paris dont les cloches annoncèrent successivement la victoire de la chevalerie serbe et chrétienne sur l’envahisseur turc, puis hélas sa défaite, et puis bien sûr, plus près de nous, lors des deux guerres mondiales où nous combattirent côte à côte, fraternellement, l’ennemi allemand. 

Il nous était en effet apparu que la fidélité à cette alliance répondait aux intérêts véritables de la France, mais aussi, qu’au-delà de cette alliance, il existait un véritable devoir d’honneur et de fidélité à l’amitié franco-serbe, scellée par le sang versé en commun au cours de la Grande Guerre. Une alliance dure ce qu’elle dure. En fonction des seuls intérêts de ceux qui l’ont établie. Une amitié, elle, est scellée pour toujours.

C’est dans cet esprit que nous avons répondu à l’invitation les 8 et 9 janvier du président de la « Republika Srpska ».  

Au moment où les tensions internationales dues au conflit en Ukraine occupent tous les esprits, mais où on parle aussi beaucoup des fortes tensions entre la Serbie et le pouvoir de fait mis en place par l’OTAN et l’UE dans sa province du Kosovo, en violation de la Résolution 1244 de l’ONU, nous voulions saisir l’opportunité de cette invitation pour venir assurer les Serbes de notre solidarité dans cette partie de l’ex-Yougoslavie marquée par tant d’épreuves. L’accueil chaleureux qui nous a été réservé a connu un point d’orgue par la remise le dimanche 9 janvier de la légion d’honneur nationale des mains du président Dodik devant une assemblée nombreuse représentant toutes les composantes sociales et professionnelles de la Republika Srpska.

Auparavant, nous avions assisté tôt dans la matinée, dans la cathédrale de Banja Luka, à une magnifique cérémonie dominicale, de celles qui, par la beauté de la liturgie et le sens du sacré qui s’en dégage, élèvent l’âme et transcendent la nature humaine.

L’après-midi, un meeting impressionnant réunissait quelques milliers de personnes au « Sports Center Borik » de Banja Luka, alternant discours très politiques, notamment du président Dodik et du nouveau président de l’Assemblée nationale serbe, mais aussi morceaux de musiques, poèmes et films de rétrospective historique, relatant la douloureuse épopée des Serbes au cours de l’histoire.

Tout comme le matin, au cours de la cérémonie de remise des décorations, nous avons été frappés par le fait que le drapeau de la Republika Srpska et son hymne, étaient systématiquement associés au drapeau et à l’hymne de la République de Serbie, envoyant ainsi un message très clair à tous. De fait, lorsque nous le verrons au cours d’un entretien le lendemain à Sarajevo, le président Dodik ne nous cachera pas que 96% des Serbes de Bosnie-Herzégovine vivant désormais pour leur sécurité sur le territoire de la Republika Srpska, ils sont fondés légitimement à choisir leur avenir politique, et à rejoindre la Serbie si telle est leur volonté. Le principe d’autodétermination des peuples, en somme, opposé à celui des frontières d’Etats artificiels issus d’une époque révolue.

A Sarajevo, nous avons été frappés par la renaissance à Sarajevo-Est d’un quartier serbe moderne. C’est là, non loin de l’aéroport international, que s’est déroulée la parade, à la fois populaire et militaire, de la Fête nationale. Une foule très nombreuse y assistait, arborant drapeaux de la Republika Srpska et drapeaux de la République de Serbie. Plus qu’une « démonstration de force », il s’agissait à l’évidence d’une volonté farouche d’affirmer une détermination totale : celle d’assurer la paix, la liberté et la sécurité aux générations à venir, dans le refus de l’abandon des valeurs et des traditions.

Cette fête nationale, dont la célébration était contestée à la fois par la Cour suprême de Bosnie-Herégovine, la Fédération croato-musulmane et le haut-commissaire allemand nommé par l’Union Européenne (mais non reconnu par l’ONU), a pourtant un sens profond pour les Serbes de Bosnie-Herzégovine, et pour la nation serbe toute entière. Elle commémore en effet sept siècles de célébration de Saint Etienne, saint Patron des « Serbes de la Bosnie, du Littoral, des pays de l’Ouest et du Sud, du bassin de la Drina et d’autres », selon les termes de la Charte donnée aux habitants de Dubrovnik en 1362 par le roi Etienne Trvtko 1er Kotromanić.

Dans la louange qu’il fait à Saint Etienne, prononcée dans l’esprit de la culture judéo-chrétienne qui sous-tend la civilisation européenne, le souverain de la Bosnie médiévale professe à la fois des valeurs civilisationnelles, mais également les valeurs héritées par la société et l’Etat qu’il dirige. Cette identité religieuse et culturelle qui existait sur les terres serbes subit au quinzième siècle l’agression des troupes ottomanes puis l’occupation ottomane pendant quatre siècles.

C’est alors que, selon le grand poète et philosophe monténégrin Petar II Petrović-Njegos, « les lâches et les cupides se convertirent à l’islam ». Néanmoins, nombreux furent ceux qui, au prix de lourds sacrifices et de grandes souffrances, restèrent fidèles à leur foi chrétienne. Plus tard, libérés entre temps du joug ottoman, les Serbes se retrouvèrent confrontés au cours du XXème siècle, à de véritables tentatives d’anéantissement de leur identité culturelle et religieuse. Il faut à cet égard relire La crevasse, bouleversant ouvrage de Vladimir Volkoff.

Un intellectuel serbe, Dusan Pavlović, cite cette phrase du général allemand Löhr qui au cours de son procès en 1947 explique ainsi la raison pour laquelle la Bibliothèque nationale de Serbie a été bombardée : « parce qu’elle conservait l’ADN culturel et multiséculaire de ce peuple ». Il rappelle également les atrocités génocidaires de l’Etat Indépendant de Croatie durant la Seconde Guerre mondiale, visant à éliminer à jamais le peuple serbe de Bosnie avec son Eglise orthodoxe et sa culture.

Au sein de la Yougoslavie communiste, les Serbes furent à nouveau confrontés au déni de leur identité culturelle et religieuse. Le président Tito joua la carte systématique du démembrement de la nation serbe. Puis avec l’éclatement de la Yougoslavie de Tito, les fantômes du passé ont réinvesti la scène. Au début des années 90, les génocidaires oustachis ont été glorifiés et leurs emblèmes exhibés en Croatie. Et à la faveur du soutien américain aux Bosniaques, ce sont les unités de musulmans bosniaques ayant participé au génocide perpétré par les Oustachis, notamment la division SS Handschar, qui ont enflammé les mémoires. S’ensuivit une guerre atroce qui prit fin avec les Accords de Dayton. La « Republika Srpska », autrement dit la République serbe de Bosnie, sera alors créée, avec pour vocation première de regrouper et d’assurer la sécurité des Serbes de Bosnie.

Pour reprendre les termes de Dusan Pavlović, déjà cité, « en créant la République Serbe, nous avons défendu notre civilisation et son système de valeurs en le payant de nos têtes coupées, plusieurs décennies avant que le reste de l’Europe ne soit confronté au même problème. Nous poursuivons notre marche historique en portant le flambeau de nos ancêtres, en préservant notre identité culturelle, et en poursuivant son édification, et nous témoignons que le mal et la destruction n’ont pas vaincu, mais que l’affirmation de la vie et les valeurs universelles ont survécu et qu’elles perdureront ».

Quittant Banja Luka pour rejoindre Zagreb et rentrer en France après ces trois journées intenses en République serbe de Bosnie, nous avons fait un détour par Jasenovać, ce camp de la mort, situé sur les rives de la Save, « l’Auschwitz des Balkans » où furent massacrés dans d’atroces conditions par le régime oustachi croate des centaines de milliers de Serbes, de Juifs et de Roms. Un film remarquable vient de sortir récemment, « Dara de Jasenovać ».


Il faut absolument aller le voir ! D’abord parce que ce film magnifique nous a fait franchir une étape supérieure qui est celle au bout du compte, de l’humanité victorieuse ! « Dara de Jasenovac » est  un film dur, certes, mais juste, sobre, qui dénonce la barbarie de l’homme soi-disant civilisé, que l’idéologie a définitivement perverti, mais qui nous laisse aussi une extraordinaire leçon d’espérance, incarnée par le visage grave de cette toute jeune fille serbe, qui sauve son petit frère envers et contre tout. Mais il faut également aller le voir car ce film est une fresque de ce qui constitue une part essentielle de l’histoire moderne des Balkans. Il permet de mieux comprendre hélas comme le prouvent des évènements plus récents, que l’histoire des hommes n’en finit pas de se répéter et que celle-ci ne supporte pas le manichéisme.

C’est donc pour remplir un double devoir de justice et de fidélité, fidélité à l’Europe chrétienne des nations, et fidélité à l’amitié séculaire franco-serbe, définitivement scellée par le sang versé dans les combats contre l’ennemi commun lors de la Grande Guerre, que nous avons entrepris de venir souhaiter une « bonne et belle fête de Saint Etienne » aux Serbes de Bosnie-Herzégovine.

L'Europe est morte à Pristina

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Patrick Barriot est médecin anesthésiste-réanimateur, ex-médecin en chef de l’armée de terre où il a servi durant 21 ans (1973-1995), dont une grande partie à la Brigade de Sapeurs-Pompiers de Paris (BSPP), puis au 6ème Régiment Parachutiste d’Infanterie de Marine (RPIMa) et en Antenne Chirurgicale Avancée (ACA) en ex-Yougoslavie. Il a terminé sa carrière en tant que médecin chef des Unités d’Intervention de la Sécurité Civile (UISC). Il a écrit deux livres sur l’ex-Yougoslavie : « On assassine un peuple – Les Serbes de Krajina » et « Le Procès Milošević ou l’inculpation du Peuple serbe ».

Jacques Hogard est ex colonel de l’armée de terre où il a servi durant 26 ans (1974-2000), dont une grande partie à la Légion Etrangère (notamment comme commandant de compagnie au 2ème REP, puis commandant du Groupement de Légion Etrangère au Rwanda (opération Turquoise, 1994) ; il termine sa carrière au Commandement des Opérations Spéciales et commande le Groupement Interarmées des Forces Spéciales au Kosovo (1999) avant de quitter l’armée. Il a écrit deux livres : sur son expérience au Rwanda, « les larmes de l’Honneur, 60 jours dans la tourmente du Rwanda, été 1994 », et sur son expérience au Kosovo « L’Europe est morte à Pristina, guerre au Kosovo, printemps-été 1999 ».



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Patrick Barriot est médecin anesthésiste-réanimateur, ex-médecin en chef de l’armée de terre. Jacques Hogard est ex colonel de l’armée de terre.

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