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Le dispositif phare de la loi Avia rejeté par le Sénat

Coup dur pour une loi liberticide


Le dispositif phare de la loi Avia rejeté par le Sénat
La députée LREM Laetitia Avia Photo: STEPHANE DE SAKUTIN / AFP

Votée à une écrasante majorité à l’Assemblée nationale le 9 juillet, la proposition de loi visant à lutter contre la cyberhaine (dite loi Avia), est actuellement à l’étude au Sénat. Ce mercredi 11 décembre, la commission des lois y a adopté un amendement procédant à la suppression pure et simple du dispositif phare de la proposition de loi Avia: l’obligation de retrait des contenus signalés comme étant manifestement illicites dans un délai de 24 heures. Voici la proposition de loi vidée de sa substance.


Puisqu’il faut bien appeler un chat un chat, alors nommons les choses telles qu’elles se présentent, la proposition de loi Avia n’est rien d’autre qu’une limitation à la liberté d’expression.

Selon toute vraisemblance, les sénateurs devraient confirmer le choix de la commission des lois lors du vote prévu mardi 17 décembre. L’obligation de retrait des contenus signalés comme étant manifestement illicites dans un délai de 24 heures ne sera plus demandée aux opérateurs privés (Facebook, Instagram, YouTube ou Twitter par exemple).

Le texte sera ensuite soumis à une commission mixte paritaire avant d’être définitivement (ou non) adopté.

Les géants d’internet incités à censurer des contenus

Pour rappel, la proposition de loi Avia vise à répondre à l’objectif (aussi louable que juridiquement inconsistant) de lutter contre la haine en créant d’une part un mécanisme de signalement de tout contenu que chaque internaute pourrait considérer comme étant « manifestement illicite » et, d’autre part, en mettant à la charge des opérateurs en ligne des obligations drastiques dans le but de permettre le retrait, dans un délai de 24 heures, du contenu en question sous peine pour les hébergeurs d’encourir un an de prison et 250.000 euros d’amende.

Autrement dit, le cœur de la proposition de loi est d’instaurer un délit sur mesure pour les opérateurs en ligne afin de les encourager la suppression de contenus, autrement dit de la censure préventive. C’est ce dispositif même que les sénateurs ont entendu purement et simplement rejeter.

Les deux effets pervers de la loi Avia

Dès lors qu’il oblige toute suppression à intervenir dans un délai de 24 heures, le dispositif envisagé par la loi Avia entraîne deux effets pervers principaux.

Le premier, en tant qu’il confie aux opérateurs privés le soin d’apprécier ce qui relève ou non de la liberté d’expression, il institue une privatisation de la censure qui revient à déléguer purement et simplement la police de la liberté d’expression aux GAFA.

Cette privatisation de la censure inquiète dès lors qu’en démocratie, il appartient toujours au juge d’apprécier la loi et non à un opérateur privé.

Par ailleurs, confier cette censure à des opérateurs étrangers n’est pas nécessairement bienvenue dans un pays comme la France qui a une conception singulière de la liberté d’expression. La laïcité à la française par exemple est particulièrement sévère avec la religion dans un vieux pays de tradition catholique (qui a connu un clergé puissant), l’offense religieuse est particulièrement admise (en particulier une caricature dénigrant le prophète de l’Islam), chose souvent mal comprise dans des pays de tradition protestante et puritaine, beaucoup plus précautionneux (et qui n’hésitent d’ailleurs pas à censurer un tableau de Delacroix où un bout de tété apparaît).

Le second, il incite au blocage par précaution de contenus pourtant licites en créant un mécanisme de censure préventive.

Pour pouvoir satisfaire une obligation de suppression de contenus dans un délai extrêmement bref, 24 heures, les plateformes en ligne ne pourront pas hiérarchiser les contenus devant faire l’objet d’une suppression et elles seront contraintes de mettre en place un filtrage automatique et général de leurs contenus.

Si une telle méthode peut ne pas poser de problème lorsqu’il s’agit d’apprécier des contenus explicitement illicites (par exemple une image à caractère pédopornographique) en revanche, elle ne saurait être généralisée lorsque les contenus litigieux nécessitent une appréciation subjective et une remise en contexte (l’humour, le second degré, l’ironie, la provocation, les citations, …).

En cas de doute et par prudence, pris dans un délai aussi bref, les opérateurs n’auront d’autre choix que de censurer, ce qui heurte de plein fouet la règle fondamentale en matière de liberté d’expression selon laquelle la liberté prime et la restriction n’est que l’exception.

La loi Avia déplait aux plateformes internet et même à la Commission européenne

Récemment, la Commission européenne avait déjà eu l’occasion de tacler sévèrement la proposition de loi Avia.

En tant qu’elle a vocation à modifier la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique, qui n’est rien d’autre que la transposition en droit français de la directive européenne sur le commerce électronique, la proposition de loi visant à lutter contre la haine sur Internet avait fait l’objet d’observations émises le 22 novembre dernier par la Commission européenne et, le moins que l’on puisse dire, c’est que ce sont en réalité de sévères (et particulièrement bienvenues) mises en garde qui ont été adressées.

La conclusion à laquelle s’est livrée la Commission était sans appel : « La Commission conclut qu’il existe un risque que le projet notifié viole les articles 3, 14 et 15, paragraphe 1, de la directive sur le commerce électronique ». Rien que ça.

Et si on mettait cette proposition de loi à la poubelle ?

En particulier, il conviendra de noter que la Commission avait expressément relevé que « l’obligation pour les plateformes de supprimer tout contenu illicite notifié dans un délai de 24 heures, combinée à la lourde sanction prévue à l’article 4 [de la proposition de loi Avia], à la grande variété d’infractions soumises à une telle obligation (…) pourrait avoir des conséquences néfastes. En ce sens, ceci pourrait notamment créer une charge disproportionnée sur les plateformes en lignes et dans certaines circonstances, un risque de suppression excessive de contenus, ce qui porterait ainsi atteinte à la liberté d’expression ».

C’est donc le cœur même du dispositif qui était qualifié d’atteinte à la liberté d’expression par la Commission européenne, celui la même que les sénateurs proposent fort heureusement de supprimer.

Après avoir été signalée comme manifestement contraire à la liberté d’expression tant par la Commission européenne que par le Sénat, espérons que la proposition de loi Avia soit désormais définitivement supprimée.



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