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La revanche de Philippe Séguin


Vendredi, Maurice Szafran, directeur de Marianne, qui débattait avec Natacha Polony sur iTélé, nous a gratifié d’un superbe aveu. Il s’est moqué de « tous ces gens intelligents », parmi lesquels il semblait s’inclure avec humilité, qui nous avaient expliqué lors de l’adoption du traité de Maastricht, qu’il n’était nul besoin d’accompagner une union monétaire de la création d’un Etat, fédéral en l’occurrence. Ce faisant, ces fameux « intelligents » avaient, selon l’éditorialiste, commis une erreur historique dont les résultats étaient aujourd’hui sous nos yeux à tous.

Szafran a raison. Cependant, nous ne saurions, pour notre part, en rester là. Ce que l’éditorialiste nous dit aujourd’hui, Philippe Séguin l’a dit à la France il y a un peu plus de dix-neuf ans. Il nous l’a expliqué, dans son fameux Discours pour la France, prononcé à l’Assemblée Nationale dans la nuit du 5 au 6 mai 1992, alors qu’il défendait une exception d’irrecevabilité. Il l’a redit le lendemain dans un débat animé par Anne Sinclair qui l’opposait au ministre des affaires étrangères Roland Dumas, je le cite de mémoire : « Cette Europe est une Europe à vocation fédérale. L’expression figurait dans le texte de base. Vous avez choisi de le retirer pour n’effrayer personne. C’était la cerise sur le gâteau. Vous avez enlevé la cerise mais le gâteau est toujours là ! ». Quelques mois plus tard, face à François Mitterrand, Philippe Séguin récidivait. Il rappelait que la monnaie unique ne pourrait pas fonctionner si elle n’était pas assise sur un Etat fédéral et le Président niait, remportant, de l’avis de tous les « gens intelligents », ce fameux débat à la Sorbonne.

Ce que Séguin reprocha, dans cette campagne, à la plupart des partisans du oui, c’est de ne pas annoncer honnêtement la couleur. Selon lui, le débat aurait dû porter non pas seulement sur l’union monétaire[1. La fameuse PESC (politique européenne de sécurité commune) conservait peu ou prou une substance intergouvernementale et il ne la combattait pas, ou en tout cas avec la même ardeur.], mais sur la vocation de la France -et de tous les autres peuples signataires du traité- à transférer leur souveraineté à un Etat fédéral alors qu’il n’existait pas de peuple européen. Je ne pense pas me tromper en écrivant que si tel avait été le cas, l’issue du référendum aurait été radicalement différente. De toute évidence, François Mitterrand pensait la même chose.

C’est toute l’histoire de la construction européenne « à la Monnet ». A chaque fois, on réclame une « avancée » pour réparer les « insuffisances » de « l’avancée » précédente. Là encore, le Séguin de la campagne référendaire de 1992 dit tout : « On nous raconte que sans Maastricht, le marché unique est dangereux. Lorsqu’on nous a demandé d’adopter ce dernier, je ne me souviens de personne qui nous ait dit : vous allez voter pour un traité dangereux. » Ne soyons donc pas dupes. On nous raconte, pour la énième fois, la même histoire, afin de nous faire avaler in fine ce qu’on a toujours voulu que nous avalions, refusant même le TCE qui constituait une étape intermédiaire, les fameux « Etats-Unis d’Europe ».

Qui était donc le plus intelligent en 1992 ? Maurice Szafran, comme Claude Allègre et bien d’autres, rendent aujourd’hui hommage à Séguin ou à Chevènement, lequel mena le même combat. Mais que n’a t-on pas dit à l’époque de ces deux-là ? Je me souviens avoir écrit au journal de Szafran, L’Evènement du Jeudi[2. Qui me publia, d’ailleurs. L’esprit Jean-François Kahn flottait dans l’hebdo.], pour protester parce que les partisans du non y avaient été dépeints comme des dinosaures. Jacques Julliard, aujourd’hui éditorialiste à Marianne, mais qui écrivait au Nouvel Obs, avait surnommé quant à lui Séguin « L’ours préhistorique ». Charmant[3. Quant à Maurice Szafran, juste après avoir reconnu l’erreur des « intelligents », il se laisse aller à qualifier les partisans de la sortie de l’euro de « fous furieux ». Quel dommage, après ce témoignage de lucidité !]…

Et bien que ce débat sur la nécessité d’un Etat fédéral ait lieu. Qu’il ait lieu et qu’on vote, à la fin. En France, en Allemagne, partout en Europe. Nous nous plierons au résultat comme en 1992. Nous nous plierons au résultat comme Nicolas Sarkozy, le PS et la presse unanime ne le firent pas en 2005. Mais, cette fois-ci, nous ne nous laisserons pas faire si nous gagnons. Il n’y aura pas d’Europe fédérale, et nous retrouverons notre monnaie nationale.

Chiche ?



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