Dans un contexte international on ne peut plus morose, et après une austère cérémonie d’ouverture placée sous le signe de la sobriété voire de la gravité (merci au président Vincent Lindon pour son discours très engagé…), on ne savait qu’attendre du film d’ouverture signé de l’imprévisible Michel Hazanavicius.
Rappelons que Hazanavicius est l’auteur des très bons premiers OSS 117, de The Artist ou encore de Redoutable sur l’insolite Jean-Luc Godard.
Verdict ? Une belle surprise finalement, à condition de bien vouloir plonger sans trop se poser de questions dans cette hallucinante et plutôt rusée mise en abyme, sorte d’hommage à tous les corps de métiers rendant possible ce petit miracle nommé « fabrication d’un film »… fût-il de série Z !
Le pitch
Une équipe parisienne de cinéma besogneuse mais sincère accepte de relever au pied levé le défi de la réalisation d’un remake d’un célèbre film japonais de zombies, One Cut Of The Dead, comédie horrifique dans laquelle des acteurs censés incarner des morts-vivants sont réellement attaqués par d’authentiques zombies revenus à la vie suite à la radioactivité incrustée dans un entrepôt abandonné (et nécessairement maudit) datant de la Seconde Guerre mondiale.
Les difficultés sémantiques et culturelles de l’adaptation nippone dans la langue de Molière, conjuguées aux états d’âme des uns et aux limites artistiques évidentes des autres ont tôt fait de transformer le tournage en un véritable cauchemar éveillé au cours duquel le pauvre réal’ doit user de toutes les ficelles et innovations pour achever son dur labeur, sous le regard suspicieux des ayant-droits japonais, d’un producteur dilettante et de sa propre famille pour qui « jouer » constitue la valeur suprême dans la vie !
Tourner coûte que coûte !
En prenant le prétexte d’une relecture très personnelle du film premium nippon, distribué en France sous le titre passe-partout Ne coupez pas !, ovni filmique à base d’un seul plan séquence qui défraya la critique en 2018, le très éclectique Michel Hazanavicius livre une magnifique et enjouée déclaration d’amour à toute la communauté (infinie, disparate, bigarrée et hétéroclite) des artisans anonymes (scénaristes, maquilleurs, spécialistes FX, décorateurs, perchmen, bruiteurs…) qui œuvrent au quotidien, dans l’obscurité et usant de toutes les ficelles des systèmes D pour faire aboutir les projets les plus fous et insensés.
Son film, divisé en trois parties, est astucieusement et symétriquement monté, en débutant par « le film dans le film » in extenso, d’une durée de 30 minutes pour revenir ensuite aux origines et aux conditions de son exécution à J-3 mois, avant de s’achever finalement par les contrechamps et les backstages permettant de nous révéler l’envers du décor et mieux nous faire comprendre tous les artifices de sa « fabuleuse » création. Une belle leçon de cinéma, portée par un trio d’acteurs parfaitement raccords et visiblement en grande forme, Romain Duris (en réalisateur faussement zen), Bérénice Bejo (en actrice jusqu’au boutiste ne parvenant plus à discerner le jeu de la réalité) et un étonnant Finnegan Oldfield en acteur vedette caractériel et philosophe anti-globalisation dissertant de manière intempestive sur les conséquences désastreuses du système libéral et capitaliste occidental, tout en questionnant l’existence du concept de volonté dans la tête d’un zombie (« Selon moi, assène-t-il, le zombie ne peut manier une hache , car la notion de volonté lui est forcément étrangère ! »).
Pour l’amour du cinéma de genre
Hazanavicius en profite pour rendre son hommage personnel et appuyé à toute une tradition cinéphile du film « gore », de George Romero (impossible de ne pas penser à son cultissime Zombie et à son sous-texte politique anti-capitaliste et anti-consumériste) à Edgar Wright (le très déjanté et parodique Shaun of the Dead évidemment !), ainsi qu’à toute l’œuvre nanardesque mais sincère d’Ed Wood, « le plus mauvais réalisateur de tous les temps » (et personne ne peut raisonnablement oublier son inénarrable Plan 9 from Outer Space), sans omettre l’excellent et très « méta » Why Don’t You Play in Hell ? du post-punk nippon Sono Sion, ni les célèbres « screaming girls » du cinéma de genre, Marilyn Burns de Massacre à la tronçonneuse en tête !
Derrière les artifices et spectacles d’illusions, tout se terminera finalement dans la fraternité artistique la plus joyeuse au sommet d’une incroyable pyramide humaine, symbole de cohésion d’équipe par-delà les égos parfois surdimensionnés et anicroches passagères, permettant d’actionner une improbable caméra grue pour le très symbolique plan final, rendu possible grâce à l’amour d’une jeune fille admirative pour son papa réalisateur… Après avoir beaucoup ri, eu parfois des haut-le-cœur devant certaines scènes peu ragoûtantes (c’est un euphémisme), on termine donc par craquer une petite larmichette de crocodile et l’on peut dire à l’unisson un grand merci à Tonton Michel pour ce beau parti pris risqué en forme d’hommage délirant au cinéma de genre hexagonal, nippon et donc mondial.
Et si son film culotté et inventif ne pourra pas remporter pas la Palme d’Or d’ici dix jours (le film étant présenté hors compétition hier soir), gageons qu’il aura au moins gagné dans nos petits cœurs d’artichaut celle de l’émotion sincère.