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Le Duc et le Comte

"Conversation autour de Saint-Simon, de la gaieté, du pouvoir, de la mort et de la postérité" de Jean d'Ormesson et Marc Lambron (Édition des Équateurs, 2022)


Le Duc et le Comte
Jean d'Ormesson, octobre 2005. SIPA.

Dans Conversation autour de Saint-Simon, de la gaieté, du pouvoir, de la mort et de la postérité de Jean d’Ormesson et Marc Lambron (Edition des Équateurs, 2022), le lecteur peut assister à un dialogue trans-temporel sur la littérature entre Jean d’Ormesson et le Duc Saint-Simon.


Un an avant sa mort, survenue le 5 décembre 2017, Jean d’Ormesson reçut à son domicile son confrère académicien Marc Lambron, pour deviser de belles manières sur l’œuvre du Duc de Saint-Simon. Il s’agissait d’honorer le génial mémorialiste au travers du prix portant son nom, décerné cette année-là, au très médiatique ci-devant comte d’Ormesson – pour reprendre n’est-ce pas, un sans-culottisme devenu un Mélenchonisme pur sucre ! – pour son beau livre : Je dirai malgré tout que cette vie fut belle. Hommage rendu en passant à Aragon, qu’il plaçait en tête de gondole parmi ses poètes bien-aimés.

Jean d’Ormesson, un comte très républicain !

Parmi ses thèmes favoris, d’aucuns lui font reproche de battre trop souvent dans son œuvre le rappel de son monde, au son du cor de chasse. Soit, mais pour visiter la galaxie Jean d’O, c’est toujours en cicerone hors pair que le maître des lieux nous convia invariablement dans les entrelacs de sa lignée illustre. Il sut nous conter avec un plaisir non feint ses faits d’armes, sa famille et leurs gens, jusqu’à descendre en sa bonne compagnie dans les cuisines et dépendances du château de Saint-Fargeau, pour y narrer le temps qui passe sur un mode pascalien. Même s’il naquit avec une cuillère d’argent dans la bouche et qu’il en conservât le goût sa vie durant – n’y voir naturellement aucun grief dans cette inclination, au contraire ; enrichissons-nous ! – il préféra s’éloigner ou trahir, c’est selon, sa tribu sympathique d’emblasonnés cathos-tradis pour muter en libéral-conservateur bon teint, peu entiché d’esprit dévot ou de caste. Autant dire, qu’hormis son extraction aristocratique et l’amour immodéré des lettres, notre très républicain comte ne partagea rien de commun avec l’inflexible Duc de Saint-Simon. Seul, le verbe souverain, sut les unir par-delà les siècles, et cet opuscule en apporte encore la preuve.

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Pourtant, les maréchaux, les figures papales et ancêtres crossés, les Excellences et notabilités diverses qui ornent son arbre généalogique, le destinaient plus sûrement vers les armes, les ordres religieux, ou les Affaires, qu’au marginal commerce des lettres. Pour le bonheur du lecteur, il n’en fut rien. Ce cadet de grande famille, un brin décavée, vécut non sans un pincement au cœur, les dernières riches heures de cette vieille France attachée aux traditions. Notamment, au travers du regard tragique de son cher grand-père si bien saisi dans Au plaisir de dieu récemment paru en Pléiade.

Malgré tout, Dieu, le roi, et le culte du drapeau blanc, ont gravé dans sa jeunesse de beaux souvenirs d’empires. Est-ce en  sage ; à quoi bon pleurer des hélas ?, ou, en homme avisé et de peu de foi, qu’il se décidât à marcher dans ce présent épais, sans pouvoir naturellement renier ce passé aux parfums envoûtants tapissé de gloire et de fleurs de lys.

Saint-Simon, prince des Lettres sans équivalent

Assurément, une vision située aux antipodes de celle du pair de La Ferté-Vidame. Cet esprit sublime, prince des Lettres sans équivalent, ne put souffrir de voir abâtardi la cour du roi soleil, victime selon lui, et entre autres maux, d’un vil et sourd embourgeoisement. Du reste, ce très fidèle serviteur de la monarchie de droit divin considérait que le roi régnant ne fut pas assez roi ! On peut donc imaginer qu’à l’instar de Victor Hugo, dont ses ennemis raillaient à l’époque la prétention prométhéenne, Saint-Simon aurait pu certainement s’adresser à dieu en lui donnant aussi du « Cher confrère » ! En cela, les auteurs virent peut-être juste sur la nature profonde et absolutiste du Duc, se prenant rien moins que pour dieu, ou Jupiter lui-même. Soit dit en passant, et sans galéjade, d’autres personnalités moins célèbres que notre Duc ont déjà revêtu cette panoplie céleste… sous nos cieux républicains !

Autre opposition entre nos deux distinguées mains à plume : la publication. À l’ère du « tout à l’ego », pour reprendre la savoureuse expression de Régis Debray, le Duc semble s’être soucié comme d’une guigne d’une édition anthume de ses Mémoires. Cette manie d’écrire jusque dans sa chaise à porteurs la chaude actualité d’une cour royale, devait à l’évidence l’emporter sur l’hypothétique désir d’une nouveauté éditoriale, fût-elle sur tranche dorée. Au reste, quel besoin d’être publié quand son portrait réalisé par le très académique Hyacinthe Rigaud, figure déjà dans la galerie aux côtés de personnages illustres et en particulier, du premier d’entre eux, sa majesté roi des Bourbons peint en armure ? Sans compter, comme le laisse supposer nos immortels, que l’immarcescible mémorialiste pensait in petto symboliser ce Grand Siècle mieux que son roi ; certain que ses précieuses Mémoires l’auraient conduit en temps venu à la postérité en grand arroi. Prémonitoire en plus ! À moins qu’il n’entendît son ange gardien lui chuchoter sagement à l’oreille de n’en rien faire, tant sa plume, aussi fine que meurtrière, aurait pu lui causer en retour d’innombrables rendez-vous au pré dès potron-minet. Reste à savoir si l’ancien mousquetaire gris croisa le fer aussi bien qu’il écrivit ? Auquel cas, quelle cerise pour ses adversaires !

Morceaux choisis en fin d’ouvrage

Enfin, dans ses portraits, les auteurs signalent avec justesse que l’attaque chez Saint-Simon fut rarement portée in cauda venenum, mais plutôt placée au cœur de la phrase et toujours parmi mille gracieusetés. Autrement dit, l’attaque-surprise, l’effet chausse-trape ; la botte mortelle au centre du carré fleuri.

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Naturellement, dans ces Mémoires, – Jusqu’à dix tomes dans la Pléiade ! Ça occupe les dimanches – le passionné d’histoire de la cour de Versailles y trouve son content d’anecdotes.

Mais, c’est dans le trait, la forme choisie, que ce vieux pair à perruque apportait ses vraies lettres de noblesse à cet art exigeant mais exquis du portrait littéraire. Du reste, les auteurs ont le bon goût de nous en offrir un aperçu à la fin de l’ouvrage à travers un échantillonnage des plus piquants.




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