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Cheminots-étudiants: pour la divergence des luttes!

L'édito d'Elisabeth Lévy


Cheminots-étudiants: pour la divergence des luttes!
Manifestation étudiante à Nantes, avril 2018. SIPA. 00852725_000001

Le combat pour le service public est trop sérieux pour le laisser nuitdeboutiser par les consternantes revendications étudiantes.


À France Inter, on y croit. Chaque jour, depuis le début du mouvement de grève à la SNCF, on voit frémir la Vierge, la fameuse convergence des luttes dont on espère qu’elle opèrera la transsubstantiation de diverses contestations en remake réussi de Mai 68, c’est-à-dire en Grand soir anticapitaliste – « Ouvriers, étudiants, paysans », ça ne vous rappelle rien ? C’est aussi le fantasme du député France insoumise François Ruffin qui, mercredi soir, a appelé la foule rassemblée à la Bourse du Travail à Paris (500 personnes à l’intérieur, autant dehors) à un « grand débordement », le 5 mai, pour faire « la fête à Macron ».

Les sous-doués à la fac

Admiratrice éperdue de Jeremy Corbyn (en dépit de la complaisance avec l’antisémitisme qu’on prête, et à raison, au très gauchiste patron du Labour) et tête pensante du radical-chic français, Chantal Mouffe s’extasie dans Le Monde sur « la centralité attribuée à la lutte contre toutes les formes de domination et de discrimination, tant dans les rapports économiques que dans d’autres domaines comme celui des luttes féministes, antiracistes ou LGBT [lesbiennes, gays, bi et trans] ». Un salmigondis qui rappelle furieusement celui des représentants étudiants défendant dans un français aussi approximatif que leur orthographe leur droit au diplôme sans effort (Le Canard Enchaîné publie des extraits d’un dossier de presse de l’UNEF truffé de fautes ahurissantes. Ainsi, le syndicat étudiant craint que les femmes choisissent des filières, accrochez-vous, « avec des qualités ou des prérequis dont elles pensent disposer actuellement ou étant à l’heure portée ».).

Pour ces jeunes gens, qui ont tous dû lire la même fiche sur Les Héritiers de Bourdieu (et Passeron), que l’on puisse exiger d’eux, à chaque étape de leur scolarité, des résultats et des acquis correspondants à leur niveau supposé, voilà qui est le comble de la discrimination sociale. La méritocratie, c’est vraiment trop injuste ! Ainsi ne veulent-ils pas voir ce qui crève les yeux de tous : même dans les pays où le bac (ou son équivalent) garantit encore un niveau de connaissances et une aptitude à en acquérir d’autres, toutes les bonnes formations universitaires sont sélectives, et pas qu’un peu. Quant à leur exigence d’obtenir la moyenne à leurs examens, elle a laissé « rêveur » le Premier ministre pourtant trop empressé à ne pas froisser « la jeunesse », en réalité, sa frange politisée et largement dieudonnisée.

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Cette minorité active et ignorante est nourrie de clichés à deux balles sur « le racisme d’Etat » et « les stéréotypes de genre » (qu’il faut déconstruire), qu’elle gobe avec une jobardise qui me fait penser que, les jeunes, c’était mieux avant. La pire chose qui pourrait lui arriver serait qu’on lui cède et qu’on la laisse croupir dans des facs dortoirs pour y obtenir des diplômes sans valeur. Je l’avoue, par instants, cela me tente, je suis même prête à payer pour ne plus les entendre. Et puis, je me rappelle que ce n’est pas de leur faute s’ils sont les enfants d’une école qui semble avoir adopté comme programme la médiocrité pour tous, d’une gauche qui méprise tellement les enfants de pauvres qu’elle a fermé les internats d’excellence et supprimé les bourses au mérite, et des médias qui caressent leurs lubies dans le sens du poil.

Les cheminots ne doivent pas se « privé »

Comparé au verbiage de l’UNEF ânonné comme un catéchisme, et comparé aux éléments de langage débiles du mouvement contre la loi El Khomry (qui prétendaient que le renversement de la hiérarchie des normes entre l’entreprise et la branche allait nous ramener au temps de Dickens), le discours des syndicalistes cheminots est empreint de bon sens et de responsabilité. Quand ils disent que ce n’est pas leurs droits particuliers de salariés qu’ils défendent, mais le service public dans le sens singulier qu’il a en France, je les crois.

Le gouvernement est peut-être de bonne foi quand il jure qu’au bout de sa réforme, il n’y a pas la privatisation. Au début, la SNCF sera une entreprise privée-publique, c’est-à-dire à fonctionnement privé et capitaux publics. Et dans quelques années, pour cause de disette budgétaire ou d’idéologie anti-interventionniste, on débaptisera la SNCF (pour faire jeune et effacer ce vilain « N ») et on ouvrira son capital, avant de conclure que l’Etat n’a rien à faire dans les transports. On me dira que le contribuable, aujourd’hui, n’en a pas pour son argent. C’est un peu injuste, dès lors que chacun d’entre nous se rappelle les trains qui ne sont pas arrivés à l’heure et oublie les milliers de trajets sans histoires. Surtout, les choix stratégiques contestables de l’actionnaire, c’est-à-dire de l’Etat, sont évidemment responsables d’une grande partie de la dette, bien plus que le fameux statut des cheminots.

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Les syndicats cheminots ont bossé et, sur pas mal de points, leurs arguments sont très convaincants. Preuve qu’ils ne sont pas vraiment jusqu’au-boutistes, aucun ne réclame la renégociation de la directive sur l’ouverture des transports à la concurrence, qui serait peut-être une option à étudier alors que l’enthousiasme des peuples européens pour la libéralisation à outrance est pour le moins vacillant. Quoi qu’il en soit, on peut, comme votre servante, être raisonnablement libérale et souhaiter ardemment la persistance de ce pied de nez au dogme libéral qu’est le service public. Du reste, si on n’observe pas pour l’instant de rejet massif de la grève, cela signifie peut-être que même la France macronisée des start-up et des métropoles qui prend l’avion plus souvent que le train est attachée à une entreprise qui incarne à la fois la République et le monde d’avant.

La convergence des luttes est un mirage

S’ils ont la conviction que l’intérêt général y gagne, beaucoup de Français sont sans doute prêts à payer cette exception. Par leurs impôts et par les heures de vie que la grève leur fait perdre en piétinements attentes, angoisses et énervements. Mais ils veulent aussi que leurs enfants puissent étudier et passer leurs examens. Et ils l’ont montré en se révoltant contre la réforme du collège de Najat Vallaud-Belkacem, ils ne sont pas assez benêts pour croire aux promesses de l’excellence sans efforts.

La convergence des luttes est un mirage. « Il ne s’agit pas de rejouer Nuit debout », a proclamé François Ruffin. En réalité, il s’agit exactement de cela, d’établir un continuum de la contre-domination allant des cheminots à la Palestine. Le service public mérite mieux que des billevesées extrême gauchistes. On peut considérer que la normalisation par le marché va dans le sens de l’Histoire et, partant, être opposé au point de vue des syndicats de la SNCF. Mais confondre leur combat avec les pauvres slogans des organisations étudiantes, c’est passer à côté de l’essentiel : les cheminots défendent notre monde commun, les étudiants incultes de l’UNEF veulent sa liquidation.

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Fondatrice et directrice de la rédaction de Causeur. Journaliste, elle est chroniqueuse sur CNews, Sud Radio... Auparavant, Elisabeth Lévy a notamment collaboré à Marianne, au Figaro Magazine, à France Culture et aux émissions de télévision de Franz-Olivier Giesbert (France 2). Elle est l’auteur de plusieurs essais, dont le dernier "Les rien-pensants" (Cerf), est sorti en 2017.

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