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Une carte pour relancer le Made in France?

Entretien avec le co-fondateur de la carte française


Une carte pour relancer le Made in France?
Charles Huet, le fondateur de la "carte française", au centre, entouré de son équipe. Photo: lacartefrancaise.fr

Consommer mieux, consommer français. La question du Made in France est plus que jamais d’actualité. Rencontre avec un jeune entrepreneur qui veut changer le pays.


Charles Huet est le co-fondateur de la Carte française, première carte cadeau multi-enseignes entièrement dédiée au Made in France. Après des études en droit des affaires et en management, Charles Huet se consacre à l’écriture de son Guide des produits Made in Emplois (2013) qui le lance dans l’aventure de la promotion du Made in France, à laquelle il a depuis consacré sa vie professionnelle au point d’en devenir un véritable expert.

Revue Conflits. Dans quel contexte professionnel avez-vous lancé le projet de la carte française ?

Charles Huet. À la suite de la publication de mon livre, j’ai été embauché au label Origine France Garantie, en tant que responsable technique du label. J’en ai été responsable pendant un an. J’avais auparavant développé la version « application mobile » du guide  des produits Made in Emplois. Je voulais donner plus d’écho au livre, qui passe en revue 100 types de produits de consommation courante, et je les classais en fonction de leur empreinte emplois en France, c’est-à-dire en fonction du nombre de salariés dont l’emploi dépend du succès commercial du produit. Si j’achète des M&Ms, du Coca-Cola ou une Toyota Yaris, combien de personnes fais-je vivre ? Le livre faisait quasiment 500 pages et coûtait 25 euros, il est difficile de se balader avec un tel livre dans un supermarché.

J’ai dû arrêter Origine France Garantie, et, à ce moment-là, j’ai intégré la FIMIF (Fédération Indépendante du Made in France) qui est un collectif d’activistes avec pour ambition d’être le Greenpeace du Made in France. Nous voulions nous assurer de maintenir le sujet à l’agenda médiatique.

Pour cela, il fallait s’inspirer de ce que les associations écolo avaient réussi à faire, c’est-à-dire produire des études qui donneraient lieu à des articles.

Dans ces études, nous nous sommes consacrés à l’origine des produits dérivés des partis politiques (les drapeaux, les t-shirts, les mugs, etc.). Les partis qui entendent réindustrialiser sont-ils eux-mêmes des outils de réindustrialisation ? Ces produits sont-ils fabriqués en France ou en Chine ? On a eu quelques surprises !

On a réalisé également une étude sur le chiffrage de l’impact emploi. On a identifié un coefficient minimal et systématique de x3. Autrement dit, acheter un produit Made in France plutôt qu’un produit d’un concurrent étranger, c’est générer en France trois fois plus d’emplois.

J’ai été pendant deux ans et demi, consultant indépendant sur des problématiques de retail du Made in France, suite à une expérience avortée de concept store. J’ai accompagné une foncière commerciale sur un projet toujours en cours, de grand lieu de commerce dédié au Made in France. Cela fait quelques années que des personnes y travaillent, mais il est difficile de trouver le lieu, pour trouver un 3000 mètres carré minimum, réunissant une centaine de marques Made in France minimum dans Paris intra-muros. Autrement dit, l’équivalent du Printemps ou des Galeries Lafayette, mais uniquement Made in France.

En chèques cadeaux, uniquement à Noël, les comités d’entreprise distribuent chaque année un milliard et demi d’euros (…) La carte française a pour but de réorienter la manne financière des CE et de flécher ces cartes-cadeaux pour les transformer en chiffre d’affaires pour le Made in France qui en en a bien besoin

J’ai fini en inititant la « Rue du Made in France » une opération éphémère qui s’est tenue du côté de République où l’on a réuni pendant deux mois une quinzaine de boutiques exclusivement Made in France. J’ai été à ce moment-là embauché au salon du Made in France où j’étais en charge du développement du salon, toute l’année 2018.

© La carte française

J’avais ce projet de carte-cadeau en tête depuis le début. J’ai découvert tout l’écosystème et toute l’économie syndicale, tout l’argent que brassent les élus syndicaux, en particulier dans les comités d’entreprise. Le constat c’est que les comités d’entreprise étaient 30 000, ils sont 50 000 maintenant (dès la barre des 10 salariés franchie, il faut un CSE). Ils ont un budget activités sociales et culturelles qu’ils dépensent en chèques vacances, colonies de vacances, arbres de Noël, paniers garnis et chèque cadeaux à Noël. Juste en chèques cadeaux, uniquement à Noël, les comités d’entreprise distribuent chaque année un milliard et demi d’euros. À la tête de ces comités d’entreprise, ce sont des élus syndicaux qui toute l’année manifestent, prennent la parole, s’engagent pour lutter contre les délocalisations, contre la désindustrialisation, pour participer à financer notre modèle social, pour sensibiliser leurs adhérents et leurs collègues à des pratiques plus responsables, et à l’occasion de Noël, ils offrent du « fioul » à la machine à délocaliser, à polluer, à ne pas payer d’impôts ni de cotisations sociales, puisque les cartes cadeaux du marché actuellement peuvent être dépensées sur quelques centaines de grandes enseignes multinationales (Amazon, FNAC, Décathlon, H&M, Zara, Primark, etc.). C’est dans ces enseignes-là que les cartes cadeaux sont majoritairement dépensées. On s’est dit qu’il y avait une contradiction pour les élus syndicaux, car ils n’avaient pas vraiment le choix jusqu’à présent, les cartes cadeaux étaient toutes semblables.

Votre défi est donc de faire passer les gens des paroles aux actes ?

Exactement. Depuis le tournant des années 2010 et la crise, le Made in France a progressé dans la société, chaque année des sondages nous montrent que les trois quarts des Français souhaitent consommer Made in France, mais on ne retrouve pas ces trois quarts de Français dans le chiffre d’affaires du Made in France.

Les élus syndicaux ont un pouvoir, mais selon moi, ils ont aussi un devoir

Il fallait donner le coup de pouce budgétaire nécessaire aux salariés français pour les aider à passer des paroles aux actes, d’où le sens de la carte française, qui a pour but de réorienter la manne financière des CE et de flécher ces cartes-cadeaux pour les transformer en chiffre d’affaires pour le Made in France qui en en a bien besoin.

Comment avez-vous démarché les comités d’entreprise et promu votre carte ?

Nous n’en sommes qu’au début, le démarchage commence seulement et rien n’est gagné. Nous nous sommes lancés il y a trois mois, en novembre dernier. Il faut savoir que 90% des cartes cadeaux sont distribuées à Noël. Or, les comités d’entreprise anticipent souvent de six mois leurs achats de Noël, donc autant dire qu’en sortant le 5 novembre, j’ai encore touché peu de comités d’entreprise pour Noël 2019. La principale aspiration des élus syndicaux est de satisfaire leurs collègues salariés, donc ils ont l’impression que la satisfaction de leurs salariés passera par le fait qu’ils puissent dépenser chez Carrefour, à la FNAC, en bref dans leurs enseignes habituelles. C’est compliqué d’aller contre l’opinion publique, contre les habitudes, contre la facilité. La centrale d’achat Le Cèdre par exemple, plutôt que de l’imposer à leurs collègues, leur a offert le choix : soit prendre une carte cadeaux classique, soit prendre la carte française. Nous avons eu un quart des salariés qui ont choisi la carte française. Néanmoins, on pense que les élus syndicaux ont un pouvoir de faire évoluer les habitudes de consommation en offrant la carte française à tous leurs collègues. Pour le comité d’entreprise, c’est à la fois le moyen de donner le coup de pouce budgétaire et de passer des paroles aux actes ; et comme la carte française est accompagnée d’un guide de 180 pages, on offre également un argumentaire pour convaincre de manière pérenne. Ce guide est outil de prosélytisme du consommer local qui passe en revue tous les enjeux et les impacts de consommer français, décrypte une vingtaine de labels, présente une quinzaine de bons réflexes à prendre au quotidien, et finit par un quizz pour s’assurer d’avoir retenu l’essentiel.

Les élus syndicaux ont un pouvoir, mais selon moi, ils ont aussi un devoir. Les élus syndicaux manifestent pour défendre un modèle social et lutter contre les délocalisations d’usines, donc leur raison d’être devrait les inviter à offrir la carte française. Il faut alors les convaincre. Je suis soutenu par beaucoup d’élus de la CFE-CGC, qui a été mon partenaire pour le développement de l’application mobile Made in Emplois, qui est à la tête de beaucoup de comités d’entreprise (en particulier dans la banque, la métallurgie ou l’agroalimentaire etc.). Nous avons également été ravis de recevoir le soutien public de FO métaux. Le secrétaire général a posté un tweet dans lequel il « appelle tous les élus CE à prendre la carte française, meilleur moyen de défendre l’industrie ».

C’est positif. Après, nous sommes une start-up, nous n’avons pas beaucoup d’argent. Nous avons besoin de financements pour grandir, pour déployer le projet. Notre mission est de faire passer un cap quantitatif au Made in France, et je pense que c’est une belle mission qui a des impacts sociaux, économiques et environnementaux énormes.

À quoi ressemble le consommateur responsable, selon vous ?

Pour être consommateur responsable, il y a quatre étapes : il faut le vouloir, le savoir, le trouver et enfin le pouvoir. On nous parle souvent du prix, mais il y a avant trois étapes à régler, et il faut d’abord le vouloir. Est-ce que les trois quarts des sondés pour le Made in France le veulent vraiment ? Ou est-ce qu’ils répondent à des questions qu’ils ne se sont jamais posées, et pensent qu’il vaut mieux dire oui que non ? Néanmoins, il y a en réalité un vrai patriotisme en dépit du surmoi français depuis les années 70 qui le dénigre. Tout le monde a envie de consommer local et de faire vivre les gens autour de soi. Ce que cela questionne fondamentalement, c’est le sentiment d’appartenance et de coresponsabilité, les gens qui ne se considèrent pas comme Français, ou les Parisiens qui se sentent plus proches d’un Londonien que d’un…

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