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Philippe Trétiack raconte Arnys, la marque préférée de François Fillon


Philippe Trétiack raconte Arnys, la marque préférée de François Fillon
Philippe Tretiack. Crédit : Astrid di Crollalanza.

De Blum à Fillon, le tout-Paris s’est habillé au 14 rue de Sèvres de 1933 à 2012. Philippe Trétiack en retrace l’histoire dans Arnys & moi.


Plus qu’une maison de confection, un état d’esprit, peut-être le secret le mieux gardé des hommes élégants. La boutique Arnys fut pendant quatre-vingt ans l’antichambre du pouvoir « rose pâle », le salon où l’on cause des dernières nouveautés littéraires, le club de la presse des éditorialistes les plus médiatiques et le repaire campagnard des patrons du CAC 40. Face au Lutétia, à deux pas du Bon Marché dans cet ultra-protégé VIIème arrondissement, Arnys a exprimé un style très français, une forme de décontraction élaborée comme si le poids social pouvait être allégé par la couleur.

Trois générations impasse Récamier

Un snobisme intellectuel qui a emprunté au vestiaire ouvrier des tenues utilitaires pour les détourner de leur fonction première, un entre-deux qui hésite entre le chic et le confortable, tout en n’utilisant que des matières nobles. Philippe Trétiack, grand reporter, spécialiste de l’architecture vient d’écrire le meilleur livre de sociologie politique de l’année. Dans Arnys & moi, il raconte l’histoire de cette impasse Récamier sur trois générations, d’une mode masculine qui fit office de signe de reconnaissance sociale. De sésame aussi. On s’habillait chez Arnys comme on était compagnons de la Libération ou anciens des Brigades Internationales. Des connivences se nouaient dans les salons d’essayage autour d’une cravate ou d’un costume en alpaga. Une intimité de tissus.

Le goût pour un classicisme sobrement débridé et néanmoins la volonté de se distinguer sans outrager. Nous n’étions pas du côté des tailleurs italiens flamboyants, ni d’une anglomanie totalement assumée. Une troisième voie qui sied à merveille à cet antre de la social-démocratie. Comment ce coin de Saint-Germain-des-Prés est devenu le point cardinal des puissants ? Trétiack mêle à ce récit, son parcours familial et le destin des commerçants juifs de l’habillement au cours du XXème siècle. Ce supplément d’âme et de drôlerie donne à son texte une chair et une profondeur qui vont bien au-delà de la radiographie classique d’un magasin pour élites mondialisées. « Plus qu’un commerce, un monde à part, une école d’élégance et, mieux, un rare club masculin » écrit-il, pour souligner le caractère presque magique d’Arnys et la puissance de son aura sur les petits garçons.

Un clochard poète devant l’entrée

Il en fallait du courage pour ouvrir la porte de cette auguste bâtisse, elle en intimidait plus d’un. Souvenez-vous du clochard poète qui faisait les cent pas devant l’entrée, vendant sa prose au mépris des caprices de la météo ou, vers la fin de l’aventure commerçante, du break Mini « société » des patrons garé juste devant ! Vous pénétriez dans un monde hors des contingences matérielles, assez étrange, à la fois sobre par le mobilier et complètement fantasque au regard des couleurs improbables de certaines vestes. Les prix affichés pouvaient glacer l’atmosphère. C’est pourquoi le nuancier bigarré réchauffait les cartes Platinium. Il n’était pas rare d’y croiser un ponte de l’édition, un présentateur télé ou un ministre inamovible. Trétiack explique très bien qu’avant-guerre, l’emplacement n’avait rien de très prestigieux.

La boutique se trouvait coincée entre les bondieuseries et les carabins. La folie du shopping ne s’était pas encore emparée du quartier qui deviendra plus tard le territoire de chasse des couturiers internationaux. Arnys attire d’abord une clientèle de professeurs de médecine, d’universitaires ou d’écrivains. Puis, au fil des Trente Glorieuses, sous la pression immobilière, la résidence secondaire devenant un nouvel acquis social et une liberté de mouvement voire de mœurs, les acheteurs s’éloignent d’une certaine rigueur vestimentaire. Il y a même un paradoxe assez marrant à voir que plus l’ordre économique imposait ses diktats budgétaires, plus le vêtement flottait aux emmanchures. La clientèle dorée sur tranches appréciait les coupes amples, l’originalité et la qualité des fournisseurs. Arnys enrichissait ses liasses d’échantillons tout en conservant des idées plutôt à « gôche ».

Jacques Laurent, Gabriel Matzneff, Claude Sautet…

Un progressisme de bon aloi ce qui n’empêcha pas les gens de droite de se vêtir chez eux, bien au contraire. Pour Fillon, l’expérience lui coûtera une présidentielle. Mais avant lui, Jacques Laurent, Gabriel Matzneff, Claude Sautet furent des habitués. De Daniel Cordier à Roger Tallon ou de Serge Moati à Pierre Bergé, Arnys a habillé tout ce qui comptait dans la capitale de personnalités en vue. En 1966, les frères Grimbert, Michel et Jean, reprennent l’affaire et lui donnent cette patine unique. Leur silhouette replète ou leur moustache conquérante ont marqué l’imaginaire de la rue de Sèvres. Et puis leur produit phare, la Forestière, veste iconique comme disent les magazines de mode, inspirée par Le Corbusier, maintes fois copiée mais jamais égalée est le marqueur d’une époque. D’une parenthèse enchantée où certains hommes de pouvoir n’avaient pas la démagogie de s’habiller en prêt-à-porter.

Arnys & moi, Philippe Trétiack, Plein Jour.

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Journaliste et écrivain. À paraître : "Tendre est la province", Éditions Equateurs, 2024

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