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À Paris, petits arrangements avec la laïcité

Laïcité: quand la Ville de Paris met les voiles...


À Paris, petits arrangements avec la laïcité
Image d'illustration Unsplash

Financée par la Mairie de Paris, la Ligue de l’Enseignement administre les centres d’animation culturelle et d’éducation populaire Paris Anim’. Dans cette immense structure censée faire « rayonner la laïcité », l’islamisme a fait son nid.


En juin 2022, la région Île-de-France a suspendu sa subvention à la Ligue de l’Enseignement, après des propos «contraires aux valeurs de la laïcité et de la République » tenus par sept lycéens encadrés par cet organisme, lors d’un concours d’éloquence sur la laïcité, à Saint-Ouen[1]. Ses protégés avaient notamment déclaré que «la laïcité est le cercueil des femmes », ou encore, que« la laïcité est une forme de dictature ». Un bon point pour la Région qui a promptement réagi. Seulement, cette vénérable association est l’une des structures qui travaillent pour les centres Paris Anim’. Mais la Ville de Paris n’a pas coupé ses subventions.

Le mois dernier, l’un de nos fidèles lecteurs, passant devant le Centre Paris Anim’ Ken Saro-Wiwa, situé dans le 20e arrondissement, découvre qu’une femme en hidjab occupe le poste d’accueil (nos photos ci-dessous). Le lendemain, notre lecteur y entre pour obtenir quelques éclaircissements. Une femme voilée, à l’accueil d’un établissement culturel appartenant à la Ville de Paris, n’est-ce pas contraire au principe de laïcité? On lui répond que s’il a un problème avec le voile, ça ne regarde que lui, et que, de toute façon, la jeune femme en question n’est pas une employée du centre.

Assurer le « rayonnement » de l’idéal laïque

La Fédération de Paris de la Ligue de l’Enseignement indique, sur son site internet: « Les centres Paris Anim’ sont des structures de proximité appartenant à la Ville de Paris. Au sein de ces structures, nous mettons en œuvre un projet d’éducation populaire, développant l’accès aux loisirs, à la culture, à la citoyenneté et à la vie associative ». La capitale compte une cinquantaine de ces centres, et quelques 60 000 personnes participent à leurs activités chaque année. Créée en 1866 par le pédagogue Jean Macé, la Ligue de l’Enseignement est forte de 382 associations partenaires à Paris. En langue inclusive, elle dit « s’inspirer de l’idéal laïque et contribuer à en assurer le rayonnement », agir « pour une éducation complémentaire à l’École, le développement de la vie associative parisienne, l’accès de tou·tes à la culture, au sport et à des loisirs de qualité, la formation et la mobilisation des citoyen·nes », elle se vante toujours de son « partenariat historique avec l’école publique », lequel lui permet de rencontrer « des élèves dans les établissements pour accompagner des concours et des projets ou former des acteurs éducatifs. » À partir de 1945, elle est en effet l’un des principaux agents de l’égalitarisme, puis du pédagogisme et de l’anti-élitisme qui ont conduit à la destruction de l’École républicaine. La Ligue de l’Enseignement a été l’un des principaux agents de propagation de l’égalitarisme, donc de la catastrophe scolaire.

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Je me suis rendu dans trois centres parisiens, Mathis, Curial et Rébeval, tous situés dans le 19e arrondissement. On m’y a expliqué que les locaux appartiennent à la Ville de Paris, mais que les employés ne sont pas des agents de la Mairie. « Tous les centres sont subventionnés par la Ville, sinon on ne pourrait pas fonctionner ! », lâche une hôtesse. Affirmant être « en délégation de services publics » en tant que « salariée de la Ligue de l’Enseignement », une employée définit la Ligue de l’Enseignement comme une « association d’éducation populaire qui défend des valeurs, notamment la lutte contre les discriminations ou la laïcité.» Reste que l’argument donné à notre lecteur concernant le centre situé 63 rue de Buzenval (« ce n’est pas une employée »), manière de dire que la femme de l’accueil n’est pas soumise aux règles de laïcité, n’est pas pertinent. Si ce n’est pas une employée, que faisait une visiteuse à un poste d’accueil ? Était-ce une usagère du centre égarée, venue suivre quelque formation en informatique ? D’autant que ce n’est pas la première fois qu’on aperçoit ce hidjab à cette place. Et, même s’il s’agit d’une usagère de l’association, la Charte de la laïcité dans les services publics stipule que la laïcité s’applique autant à un agent de service public qu’à un usager. Si, pour l’agent, « le principe de laïcité lui interdit de manifester ses convictions religieuses dans l’exercice de ses fonctions », de leur côté, les usagers « ont le droit d’exprimer leurs convictions religieuses dans les limites du respect de la neutralité du service public » et « doivent s’abstenir de toute forme de prosélytisme ».

Une dérive idéologique

Nous avons contacté la Fédération parisienne de la Ligue pour savoir si ses salariés sont autorisés ou non à porter des signes religieux prosélytes. Sa réponse: « Les salarié·es sont tenus de respecter nos engagements en matière de laïcité. » Mais encore ? Nous l’avons relancée avec l’interrogation suivante, plus précise : « Peut-on occuper un poste d’accueil dans un centre Paris Anim’ tout en étant voilée ? » Toujours pas de réponse à ce jour.

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Cette situation n’est pas étonnante, quand on se penche sur l’idéologie de la Ligue. Suite à l’interdiction de l’abaya dans les écoles, elle a publié, le 6 septembre, un communiqué de presse[2] dans lequel elle « exprime son inquiétude devant les démonstrations de fermeté sélectives en matière de laïcité et de séparatisme», préférant s’attaquer à « l’enseignement privé religieux, le plus souvent catholique » qui représenterait « un instrument de sélection scolaire et sociale », déplorant une « fermeté laïque toujours réaffirmée à l’adresse des musulmans » et dénonçant la «communication qui instrumentalise les peurs et les fantasmes plutôt que de combattre les ignorances et les préjugés ».

Autre élément intéressant et révélateur, sur le site de la Fédération de Paris, une rubrique intitulée « Les sites de la Ligue », dévoile les sites internet gérés par la Ligue et – oh surprise – deux d’entre eux sont hébergés par le média d’Edwy Plenel. Le premier, « Mediapart-Laïcité », a particulièrement retenu notre attention. Il est régulièrement alimenté par Charles Conte, présenté comme chargé de mission à la Ligue de l’Enseignement. Dans ses articles, ce militant demande aux écoles privées de « jouer le jeu de la mixité scolaire », dénonce la présence du président Macron à la messe célébrée par le Pape François à Marseille, et qualifie l’interdiction de l’abaya de « vaste campagne antimusulmane ». Par honnêteté intellectuelle, mentionnons que, le 9 mai, Charles Conte a aussi publié un billet dans lequel il prenait la défense de Florence Bergeaud-Blackler, menacée de mort et placée sous protection policière après la publication de son livre Le frérisme et ses réseaux, l’enquête. La Ligue pourrait d’ailleurs à profit se pencher sur les travaux de l’anthropologue ; ils nous rappellent que le port du voile, notamment dans la jeunesse, n’est pas toujours une simple adhésion à une prescription religieuse, mais relève souvent de l’acte politique, militant, revendicatif, visant à progressivement conquérir l’espace public. On nous répliquera que ceux qui théorisent un entrisme communautaire et qui ont en tête un projet politico-religieux conscient ne sont qu’une minorité. Ce qui est probablement vrai. Cependant, de nombreux musulmans baignent en réalité déjà dans un « frérisme d’atmosphère », largement présent sur internet et les réseaux sociaux. Et l’objectif des radicaux est de faire tomber les digues les unes après les autres, pour s’emparer, par capillarité si j’ose dire, de la société. À chaque fois, on dit aux citoyens qu’il s’agit d’un simple vêtement, qu’il ne faut pas s’y attarder… mais, les reculades s’additionnent et annoncent les victoires prochaines des adversaires de la laïcité.

Vraisemblablement, la Mairie de Paris n’est pas choquée qu’on puisse être accueilli par une femme en hidjab dans ses centres Paris Anim’, elle ne l’est pas plus des dérives de l’enseignement prodigué par la Ligue qui continue d’être un partenaire de la Ville. C’est peut-être aussi ça, le fameux vivre-ensemble !


[1] https://www.lepoint.fr/politique/les-indiscrets-laicite-pecresse-tance-la-ligue-de-l-enseignement-16-06-2022-2479790_20.php

[2] https://laligue.org/articles/1024/



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