Accueil Édition Abonné Décembre 2023 A l’école de la lâcheté

A l’école de la lâcheté

La plupart des professeurs sont intellectuellement et moralement désarmés, rendus lâches par un angélisme et une idéologie qui entravent leur perception et leur analyse du réel


A l’école de la lâcheté
Minute de silence pour Dominique Bernard dans un collège de Créteil, 16 octobre 2023. ©JEANNE ACCORSINI/SIPA

L’école de la République subit de plein fouet les conséquences d’une immigration incontrôlée mais beaucoup de professeurs restent aveuglés par l’idéologie, obsédés par le « pas d’amalgame » et passionnés par le multiculturalisme. L’institution est devenue une vitrine du suicide français.


« Il n’aimait pas le bruit et la fureur du monde. » C’est ce qu’a rappelé son épouse, le jour de ses obsèques en la cathédrale d’Arras, dans un discours digne et poignant. La fureur du monde a rattrapé Dominique Bernard le 13 octobre : il a été égorgé par un islamiste tchétchène au cri d’« Allah Akbar ! », devant son établissement d’exercice. Les mots du jeune assassin au cours de l’attentat laissent à penser qu’il eût préféré s’en prendre à un professeur d’histoire, cible de prédilection depuis l’attaque de Samuel Paty. Par contingence c’est un professeur de lettres qui est tombé, mais la symbolique est tout aussi lourde : au-delà du représentant de l’institution scolaire et de l’État, on a tué en lui tout un monde, celui de la grande culture occidentale, présente lors de la cérémonie d’adieu dans l’égrènement des auteurs qu’il aimait, Flaubert, Proust, Céline, Claude Simon… et dans le choix de pièces de Bach pour accompagner son départ.

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Deux mondes se font face, incarnés dans ce professeur et son assassin : l’obscurantisme, l’asservissement, le chaos intellectuel et mental, l’effacement de toute morale, la barbarie et la civilisation dans ce qu’elle a de plus haut, le raffinement, la subtilité, l’esprit critique, la liberté. Monde ô combien fragile, que le fil des siècles a patiemment érigé, mais que pourrait emporter un danger multiforme – le calcul des islamistes et le délire des « woke », qui ne sont contradictoires qu’en apparence.

Que fait-on pour l’école confrontée au danger mortel qu’encourent les professeurs et l’esprit même de l’institution ? La réponse tient en quatre lettres : rien. Emmanuel Macron, après le crime d’Arras, a invoqué l’union des Français (union qui a précisément volé en éclats après quarante ans de politique migratoire inconséquente, dont le président est un adepte convaincu – ou comment appeler à une union qu’on a méticuleusement détruite dans les actes et les discours…) et a exhorté le peuple à rester « debout » (quand on sait à quel point l’État s’est couché devant les revendications religieuses et le chantage à l’islamophobie… ce serait cocasse si ce n’était aussi tragique). Bref, on a eu droit à des « paroles verbales », et on ne peut rien attendre d’un homme que son logiciel immigrationniste et la peur de l’embrasement social empêchent de (com)prendre les mesures nécessaires.

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Il est vrai que Gabriel Attal s’attache depuis ce dernier attentat à sécuriser davantage les lieux d’enseignement, à grand renfort de barrières et de portillons : cela ne peut pas nuire, mais plutôt que de fabriquer d’innombrables frontières intérieures (dans les écoles, les églises, les synagogues, les stades…) et, comme le fait Macron, d’appeler les Français à la vigilance, pourquoi ne pas rétablir une véritable frontière nationale ? Tous les migrants ne sont pas des assassins en puissance, certes, et la menace terroriste est aussi endogène, mais contrôler et choisir qui rentre sur le territoire n’est pas une absurdité. (Statistiquement, plus les flux sont importants, plus le risque de faire venir des gens dangereux est élevé, un enfant de 5 ans peut le comprendre…) Sur le nombre d’entrants ou de postulants, tous ne veulent pas du bien à la France, et de nombreuses attaques sur notre sol l’ont hélas déjà prouvé au cours des dernières années. Tant que l’immigration, dans ses formes légales comme illégales, restera l’angle mort du discours politique, ou que le sujet sera constamment ramené à l’« extrême droite » par certains, la menace pour l’école et le pays tout entier restera au même niveau qu’aujourd’hui, voire s’amplifiera, puisque le robinet est toujours grand ouvert…

On est donc bien loin d’une révision complète de la politique migratoire, pourtant urgemment nécessaire, mais quelques personnalités en haut lieu osent enfin dire la nature du danger qui nous menace (c’est bien la moindre des choses !), et l’accumulation d’attentats sous le même signe, depuis Merah en 2012, pourrait permettre d’espérer dessiller ceux qui n’ont toujours pas compris. C’est sans compter avec la lâcheté et l’aveuglement idéologique au sein même de l’école, travers coupables (et suicidaires !) que j’ai encore pu vérifier le jour de l’hommage aux deux professeurs assassinés, initialement prévu pour le seul Samuel Paty le 16 octobre.

Nous avons d’abord reçu un message de notre proviseur, dans lequel le mot « islamisme » n’apparaît jamais ; on noie le poisson sous les termes « terrorisme », « barbarie » (comme Élisabeth Borne dans une intervention à l’Assemblée) et, clou de son courrier, « violence aveugle ». C’est ne rien comprendre que d’utiliser cette formule, l’attaque est au contraire parfaitement ciblée : c’est un professeur qu’on a attaqué, avec lui la culture occidentale que l’école est censée transmettre et la laïcité qu’elle promeut, en un mot la France.

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Je n’ai pas participé au « moment d’échange » prévu avant la reprise des cours dans l’amphithéâtre de mon lycée. Je voulais éviter les habituels poncifs sur le « vivre-ensemble », sur les dangers de l’amalgame et de la stigmatisation… J’ai bien fait, si j’en crois le compte-rendu édifiant d’un collègue présent sur place : le mot « islamisme » n’a pas été prononcé, quelqu’un s’est interrogé sur les motivations du terroriste (si, si !), un autre, en disant que l’assassin n’aurait pas dû se trouver sur le territoire, a suscité l’indignation et l’inévitable reductio ad Hitlerum, et un certain raidissement a été perceptible dans la salle lorsqu’un collègue a suggéré la mise en place de cours d’autodéfense. Donc, si je résume, l’ennemi n’est pas nommé, de toute façon il ne faut pas se défendre, et le vrai danger c’est l’extrême droite ! Aujourd’hui, l’argument pour faire taire ceux qui voient ne revient plus à mettre en garde contre l’amalgame (l’idée a perdu en efficacité à force de matraquage), mais consiste à brandir le risque d’instrumentalisation (on le remarque chaque fois qu’un événement tragique impliquant un étranger pourrait remettre en cause la doxa immigrationniste et faire le jeu de qui-vous-savez…), et c’est particulièrement sensible dans la prose des syndicats de gauche, plus prompts à condamner la « récupération » politique que les attentats islamistes eux-mêmes, et dont une occupation à plein temps consiste à repérer le fascisme là où il n’est pas ! Mais où sont les vrais fascistes : Georges Bensoussan, qui alertait il y a vingt ans sur la montée de l’islamisme dans les territoires et les écoles perdus de la République, ou ceux qui l’ont fait taire par le bannissement médiatique et le harcèlement judiciaire ? Où sont les vrais fascistes : ceux qui tentent de protéger la France et les Français en pointant les risques d’une immigration extra-européenne massive, ou bien ceux qui tuent au nom d’Allah et leurs complices qui interdisent et criminalisent tout débat sur la question migratoire ? Je repense en cet instant à la banderole accrochée en juin dernier sur l’enceinte d’une école primaire de ma ville, face à la menace d’expulsion de certains élèves en situation irrégulière : « Personne n’est illégal ». La France est donc un droit de l’homme… C’est précisément au nom de ces principes que des enseignants et des associations comme le MRAP, la Cimade ou Éducation sans frontières ont empêché l’expulsion de l’assassin tchétchène de Dominique Bernard, pourtant rendue possible par l’administration – à leur place, je raserais les murs.

La plupart des professeurs sont intellectuellement et moralement désarmés, rendus lâches par un angélisme et une idéologie qui entravent leur perception et leur analyse du réel, mais comme l’a dit très justement Thibault de Montbrial ce même 16 octobre, la lâcheté n’empêche pas la défaite. Les sociétés occidentales construisent les conditions de leur suicide, par le droit favorable à l’individu, par l’abandon de la souveraineté à des instances supranationales, par le tropisme woke, c’est ce que démontre parfaitement un autre avocat, Ghislain Benhessa, mais aussi par le désarmement intellectuel de leurs professeurs. Et ce n’est certainement pas l’école (dé)construite depuis des décennies, avec la collaboration active de certains d’entre eux, qui permettra aux jeunes générations, et parmi elles à des élèves musulmans, de s’armer face au danger islamiste – qu’il prenne la forme spectaculaire des attentats ou qu’il s’infiltre à bas bruit dans toutes les strates de la société : si l’école n’a pas empêché que des enfants qui l’ont parfois fréquentée pendant des années deviennent des barbares, c’est aussi parce qu’elle ne transmet rien de la grandeur de la France, et qu’un pays qui n’a plus le sens de sa propre valeur ne peut qu’inspirer au mieux l’indifférence, au pire le mépris ou la haine. Si l’école, depuis les petites classes jusqu’au bac, n’a rien d’autre à proposer que le tri des déchets, le changement de genre, la lutte contre le racisme… et bientôt des cours d’empathie (!), si elle ne permet ni la connaissance ni l’amour de ce pays, pas étonnant que certains aillent chercher la transcendance ailleurs, y compris dans des causes mortifères. L’étonnement qui s’exprime chaque fois qu’un islamiste sort de l’école française a de quoi étonner…

Alerte aux néo-profs

Hommage national à Dominique Bernard, à Paris, le 16 octobre 2023. © Gabrielle CEZARD/SIPA

Et les jeunes professeurs n’ont rien de rassurant : un récent sondage révèle qu’une écrasante majorité ne considère pas les tenues communautaristes comme un problème. Leur attitude accommodante relève peut-être de la peur, et donc de la soumission, ce dont les islamistes ont tout lieu de se réjouir. Mais ce relativisme se nourrit aussi d’une adhésion à la propagande multiculturaliste des séries Netflix (dont on sait par un rapport de jury de 2023 qu’elles constituent presque les seules références culturelles des candidats au concours de professeur des écoles…) ; il  trahit à la fois l’intériorisation de la culpabilité occidentale et le succès de la manipulation délétère qui vise à faire passer la laïcité pour de l’islamophobie, tout en révélant un sentiment très vague d’appartenance à la France. Ajoutons l’hédonisme consumériste là-dessus, qui peut tenir lieu d’idéal, et nous avons le portrait-robot des néo-profs qui risquent de peupler les écoles d’ici quelques années. Effectivement, que peuvent bien leur faire qamis et abayas sur la place publique, et pourquoi pas dans les lieux d’enseignement, tant qu’ils peuvent vivre leur vie et boire des verres en terrasse ? Pour le moment, la présence de femmes voilées partout sur le territoire n’empêche personne de faire la fête… Si l’on considère les choses à l’aune de l’individu, tout va bien. Mais si l’on se prend à regarder les choses avec plus de hauteur, du point de vue d’une entité qui nous précède et nous dépasse, à savoir un pays, la situation est plus inquiétante : la démographie  favorable aux populations immigrées musulmanes pourrait menacer la continuité historique et culturelle de la France, et la liberté, que beaucoup revendiquent au nom des droits de l’homme pour un affichage et une pratique ostentatoires de leur religion, pourrait bien à terme signifier et signer la fin de la nôtre (on voit déjà à quel point on marche sur des œufs et on restreint sa liberté d’expression sous la pression du chantage au blasphème, dans les médias comme à l’école…).

Voilà où nous en sommes, de complaisances en accommodements, de petits renoncements en grandes résignations. L’État n’exige rien, l’assimilation est devenue un gros mot, l’école a démissionné… Ce pays merveilleux où il faisait bon vivre ne se reconnaît plus et commence, dans un climat bien lourd, à perdre son âme : il n’y a pas si longtemps, les femmes ne craignaient à peu près rien lorsqu’elles sortaient le soir, les églises n’étaient pas sous surveillance, et les professeurs n’avaient pas idée de pouvoir finir égorgés sur leur lieu de travail. Comment a-t-on pu s’habituer à accepter l’inacceptable ? D’aucuns appellent cela la résilience, d’autres pourraient y voir un manque de courage.

L’heure tourne, et le beau vers de Valéry dans Le Cimetière marin peut être lu comme un appel : « Le vent se lève !… Il faut tenter de vivre ! »

Décembre 2023 – Causeur #118

Article extrait du Magazine Causeur




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Professeur agrégé de Lettres

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