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Israël face à l’agression militaire de l’Iran: les portes de la guerre sont grandes ouvertes

Comment répondre à la politique de « sanctuarisation agressive » des Mollahs? L’analyse de Jean-Sylvestre Mongrenier, directeur de recherche à l’Institut Thomas More


Israël face à l’agression militaire de l’Iran: les portes de la guerre sont grandes ouvertes
Le chef d'état-major d'Israël Herzi Halevi sur la base aérienne Nevatim, 16 avril 2024 © CHINE NOUVELLE/SIPA

Le Moyen-Orient est au bord d’une déflagration régionale dont le prélude est ancien, mais que le monde de l’expertise ne voulait plus voir. Nous voudrions croire que « la guerre de Troie n’aura pas lieu », comme l’écrivait Giraudoux. Ainsi entonnait le chœur des experts : les menaces réitérées par Téhéran de frapper le sol israélien n’étaient-elles que paroles vides de contenu pratique… Le 14 avril 2024, la guerre asymétrique conduite par le régime iranien contre l’État hébreu, et plus largement contre l’Occident, a franchi un nouveau seuil. Nonobstant les appels à la « retenue » et à la « désescalade », un gouffre s’ouvre. Prélude à l’Iliade, la pièce de Giraudoux s’achève sur la réplique suivante : « Elle aura lieu ».


Nous voudrions croire que « la guerre de Troie n’aura pas lieu ». À toutes fins utiles, rappelons que la pièce de Giraudoux mêle l’ironie et le tragique ; le titre ne doit pas être lu de façon littérale. Ainsi l’avant-dernière réplique est la suivante : « Elle aura lieu ». Dans la présente configuration guerrière entre Téhéran et Jérusalem, nombreux auront été ceux refusant d’anticiper la décision iranienne de frapper massivement le territoire israélien, par vain espoir.

Leur argumentaire ? « Cela ne s’est pas produit jusqu’alors et ce ne serait pas dans l’intérêt de l’Iran ». Fermez le ban. Pourtant, l’impensable (à leurs yeux) advient dans la nuit du 13 au 14 avril dernier. Plus de 300 drones, missiles de croisière et engins balistiques sont lancés depuis le territoire iranien en direction d’Israël. Le Hezbollah, les Houthis et autres affidés du régime iranien apportent leur contribution. Heureusement, l’important système anti-missile israélien (« Dôme de fer »), l’intervention des moyens américains et ceux des alliés européens (de la Jordanie aussi) ont permis d’éviter le pire. L’immense majorité des vecteurs iraniens (99%) aura été interceptée en vol par ce « cercle de feu », limitant les dommages au strict minimum.

Avertissements

Il n’empêche. D’aucuns soulignent depuis des années la menace des programmes balistiques, missiliers et militaires de Téhéran, avec en toile de fond la métamorphose de l’Iran en une puissance nucléaire. Même l’usage massif par la Russie de drones iraniens dans la guerre d’Ukraine n’aura pas suffi à appeler suffisamment l’attention. En dépit des alliances et des liens entre les théâtres géopolitiques, chaque question devait être abordée séparément, explique-t-on.

Mais qu’importe ! La machine à rassurer est de nouveau en marche. La décision iranienne de frapper directement le territoire israélien, c’est-à-dire de passer d’une guerre couverte (une guerre indirecte) à une guerre ouverte, serait strictement « calibrée ». Sous un certain angle, il s’agirait même d’un geste théâtral, les dirigeants iraniens sachant par avance que tous leurs engins seraient interceptés en vol. Toujours le même pattern, celui du faux tragique : « C’est grave mais ce n’est pas si grave que cela ».

Pire. Aux yeux de certains experts, le « geste » est à demi-excusé. Tout aurait commencé le 1er avril, lors d’une frappe sur un bâtiment consulaire iranien, à Damas (Syrie). Alors qu’ils se livraient à leurs activités consulaires, deux généraux de la Force Al-Qods et quelques Pasdarans périrent (sept individus au total). Le point zéro pour ces experts. Dès lors la « riposte » de l’Iran – les Pasdarans et leurs affidés (Hezbollah, Houthistes, milices chiites irakiennes, Hamas, Jihad islamique) n’ont jamais attaqué personne (pas même une représentation diplomatique), cela va de soi –, serait compréhensible, voire légitime. Oubliés le programme nucléaire clandestin et la volonté évidente d’acquérir l’arme nucléaire, le développement de missiles et de drones à longue portée, la déstabilisation des pays environnants, l’alliance avec la Russie et le soutien actif à cette dernière dans la guerre d’Ukraine.

Sur toutes les lèvres : « désescalade »

Un double impératif : « désescalade » et « retenue ». Après avoir affronté des centaines d’engins iraniens, Israël devrait faire le gros dos et s’abstenir de toute riposte. « Un point partout, la balle au centre ! » Exit la doctrine de dissuasion et de représailles en cas d’échec, pourtant au fondement de la politique de défense des puissances occidentales.

Aussi est-il nécessaire de revenir sur les conceptions géopolitiques et le schéma général qui sous-tendent la grande stratégie iranienne. Téhéran considère que le Moyen-Orient doit passer sous sa domination directe ou indirecte. L’accès au nucléaire militaire permettra de sanctuariser l’Iran, lui donnant une plus grande marge de manœuvre pour déstabiliser la région (une stratégie de « sanctuarisation agressive »).

Pour atteindre ses objectifs, le régime iranien, parallèlement à un programme nucléaire clandestin, révélé en 2002, mobilise les minorités chiites du Moyen-Orient (l’« arc chiite »), contre les régimes arabes sunnites de la région. Toutefois, il n’a pas renoncé au discours panislamique et tiers-mondiste, qui avait marqué les débuts du khomeynisme (la révolution islamique de 1979). Ainsi la référence à l’islam et la dénonciation féroce du « sionisme » permettent-elles d’outrepasser les limites du nationalisme persan et du particularisme chiite.

Ouvertes en 2003, les négociations sur le nucléaire, longtemps ensablées, ont abouti en 2015 à un accord incomplet, dont les clauses limitatives (les « sunset clauses »), devaient s’éteindre entre 2025 et 2030. Dénoncé par Donald Trump trois ans plus tard, cet accord n’aura fait que ralentir la marche de l’Iran vers l’atome guerrier : l’objectif est désormais à portée.

Dans l’intervalle, l’Iran n’a jamais cessé de déstabiliser ses voisins. Le fallacieux « Printemps arabe » (2011) et la guerre en Syrie ont accéléré le rythme. Alors que l’accord nucléaire n’était pas encore signé, Téhéran négociait avec Moscou les modalités d’une intervention militaire combinée, en fait d’une alliance dont la réalité fut longtemps niée par bien des experts («C’est plus compliqué »). Il aura fallu l’utilisation de drones iraniens en Ukraine pour que le terme d’alliance finisse par s’imposer.

Des proxys un peu partout

Depuis, Téhéran a considérablement renforcé ses positions régionales. Les forces terrestres irano-chiites se sont enracinées en Syrie, jetant un « pont terrestre » du golfe Arabo-Persique au bassin Levantin, avec des prétentions dans l’ensemble de la Méditerranée. Avec les houthistes au Yémen, le régime iranien dispose également d’un levier de pouvoir dans le sud de la péninsule Arabique, en mer Rouge et dans la Corne de l’Afrique. A plusieurs reprises, Téhéran n’a pas hésité à frapper le sol de l’Arabie saoudite. Aujourd’hui, les houthistes coupent la route de la mer Rouge.

L’ensemble de ce dispositif géopolitique est derrière l’action du Hamas au Proche-Orient. Plutôt que d’affronter directement Israël, le régime iranien a jusqu’alors préféré actionner ces différents leviers, tout en protestant de ses intentions pacifiques. Prisonniers de leurs catégories, bien des experts continuent à parler de « déni plausible », et ce quand les faits sont patents et documentés. Triste conformisme ou volonté de justifier l’inaction ?

A l’évidence, le Moyen-Orient est au bord d’une déflagration régionale dont le prélude est ancien, mais que le monde de l’expertise ne voulait pas voir (« Nul n’y aurait intérêt »). La seule réponse correcte serait d’épiloguer sur la « solution à deux États » et de nier le droit de légitime défense d’Israël, dans l’espoir de gagner un peu de temps encore. Quant aux interconnexions et répercussions entre les différentes guerres et foyers de conflit (Moyen-Orient, Ukraine/Europe, Asie de l’Est et du Sud-Est), elles demeurent sous-évaluées.

En somme, pour revenir à la pièce de Giraudoux, « les portes de la guerre sont grandes ouvertes ». L’inaction ou les demi-mesures des dernières années auront accéléré le processus historique, les puissances révisionnistes (l’axe Moscou-Téhéran-Pékin, flanqué de Pyongyang) se voyant encouragées dans leurs vues, leurs ambitions et leurs stratégies. Les audaces et succès de l’un encouragent l’autre. La situation fait songer à un célèbre discours : « Qu’y a-t-il là ? Stupidité ou trahison ? » (Milioukov, 13 novembre 1916). Plus sûrement, il se pourrait que l’ontologie plate des post-modernes interdise la pleine compréhension des forces profondes, des passions obscures et des puissances qui transcendent les intentions déclarées.

Cela renvoie au Destin que Cassandre, campée par Giraudoux, définit comme « la forme accélérée du temps ». De fait, déni, irrésolution et inintelligence des situations stratégiques nous ont conduits au bord du gouffre. Le vertige des abymes menace. Il est urgent de déciller les yeux, de se reprendre et de faire front, d’une extrémité à l’autre de la masse euro-asiatique et sur son « boulevard » moyen-oriental. La simple conservation de l’être entre en jeu.



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Chercheur associé à l'institut Thomas More

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