Accueil Édition Abonné Décembre 2022 « Le RN n’est ni extrême, ni de droite » : Entretien avec Jérôme Sainte-Marie

« Le RN n’est ni extrême, ni de droite » : Entretien avec Jérôme Sainte-Marie

Une lancinante impression de délitement, voire de je-m’en-foutisme des élites, taraude l’opinion publique.


« Le RN n’est ni extrême, ni de droite » : Entretien avec Jérôme Sainte-Marie
Jérôme Sainte-Marie, sondeur et politologue, président de l’institut Pollingvox © Hannah Assouline.

Pour le sondeur et analyste politique, qui forme les cadres du RN, sans en être adhérent, les Insoumis ne croient pas un mot de leurs proclamations antifascistes. Il estime que le parti de Marine Le Pen est l’objet d’une stigmatisation injuste alors qu’il représente une bonne partie des classes populaires, rétives au projet postnational d’Emmanuel Macron ou de Jean-Luc Mélenchon, projet qui s’accommode fort bien d’une immigration devenue l’un des enjeux principaux du conflit entre peuple et élites.


Causeur. Alors, il paraît que vous avez rallié le camp du mal ?

Jérôme Sainte-Marie. Je précise immédiatement que je ne suis pas membre du Rassemblement national. À la rentrée, Jordan Bardella a annoncé dans Le Point qu’il y avait un contrat entre le RN et Polling Vox, mon entreprise de sondages, conseil et formation. Le RN m’a délégué la création et la gestion d’une structure de formation pour les adhérents et d’une école des cadres. Des prestations de formation sont assez fréquentes dans notre métier. La différence tient à ce que le projet en question est plus ambitieux que la normale et le client un parti stigmatisé.

C’est donc pour vous un engagement purement professionnel ?

Non, il y a aussi une raison plus personnelle. L’électorat du RN comprend une bonne partie des catégories populaires, et je trouve profondément regrettable que ce vote populaire soit stigmatisé et tenu à l’écart du fonctionnement de nos institutions démocratiques. Si j’ai accepté ce contrat, c’est notamment parce que, pendant le mouvement des Gilets jaunes, j’ai observé cette forme de « diffamation sociale », pour reprendre les mots de Marine Le Pen, à l’égard de catégories entières de la population.

C’est donc une forme de proximité idéologique ?

C’est la conviction qu’un parti présent au second tour de la présidentielle et dans lequel se retrouve une bonne partie – notamment la plus démunie – du peuple français a toute sa place dans les institutions. C’est une forme de protestation contre le statut que les gens de mon milieu social et professionnel accordent à ce parti dont le traitement depuis des années par le monde universitaire et médiatique est un scandale démocratique.

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Avez-vous perdu des amis ou des clients ?

À mon âge, on commence à avoir des amis qui vous ressemblent et se séparer des autres. Excédé par la répulsion à l’égard des Gilets jaunes de beaucoup de gens de mon milieu social, je m’étais déjà séparé d’un certain nombre de personnes. Avec ce contrat, je m’attendais à beaucoup plus de réprobations que ce que j’ai observé. Il y a eu finalement très peu de ruptures et ce sont des gens de la droite modérée qui se sont montrés les plus réticents.

Généralisons le constat. Aujourd’hui, l’effet de masse joue. Au second tour de la présidentielle, Marine Le Pen a été majoritaire dans 18 000 communes sur 35 000. Autrement dit, lorsque vous sortez des métropoles, il y a au moins une personne sur deux qui a voté Le Pen et les autres connaissent dans leur famille ou leur voisinage des gens qui ont voté Le Pen au second tour et ils savent que ce sont des gens « normaux ». À Paris, vous pouvez vivre sans jamais rencontrer une personne qui a voté pour Le Pen – ou qui avoue l’avoir fait. Donc vous pouvez vous enivrer de diabolisation, raconter des histoires en cercle fermé et basculer dans un monde imaginaire. J’ajoute que même dans des milieux où on ne vote pas RN, on est conscient de la dissolution des liens sociaux et de la dégradation générale du pays, ce qui suscite une certaine prudence.

Vous parlez des gens de la droite modérée, mais ce sont la Nupes et les médias qui font étalage de vertu antifasciste.

C’est pour la galerie ! Beaucoup des gens de La France insoumise, que je connais très bien, ne croient pas un mot de ce qu’ils racontent ! C’est aussi bête que cela. Les cadres les plus anciens ont été formés dans les années 1980, la grande époque de l’antifascisme surjoué, selon la formule de Lionel Jospin. Mais leur antifascisme de façade obéit à une nécessité politique de plus en plus vitale. Avec l’affaiblissement réel de la gauche, dissimulé par son unification, c’est le seul lien qui reste entre eux. La plupart de ces petits-bourgeois sont prêts à assumer un rôle de supplétif des classes dominantes, comme l’a montré leur ralliement à Macron entre les deux tours de la présidentielle, et leurs appels répétés aux macronistes pour constituer un front. Par exemple, quand ils protestent parce que LREM n’a pas appelé à voter pour leurs candidats au deuxième tour des législatives, alors qu’eux ont voté pour Macron – ce qui est à moitié faux d’ailleurs, car nombre de leurs électeurs leur ont été insoumis –, ils demandent simplement qu’on leur renvoie l’ascenseur…

Ça, c’est de la cuisine électorale…

Mais il n’y a rien de plus significatif que les échanges électoraux de second tour : le Front populaire en 1936 fut d’abord un accord électoral ! Ensuite, il existe entre macronistes et Insoumis une continuité idéologique, notamment sur l’immigration et l’idée de nation. Depuis 2018, Mélenchon et ses affidés assument un projet postnational, dans une version radicalisée de celui de Macron. Que des députés de la Nupes déclarent tranquillement que la France commence en 1789 constitue la négation de la notion de pays remplacée par un principe de régime.

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C’est sans doute l’une des plus solides convictions de Macron. Pour lui, on dirait que la France, c’est fini.

Gramsci a décrit un bloc historique qui était voué à la construction de l’unité italienne. Je fais le parallèle avec le bloc élitaire autour d’Emmanuel Macron, à une différence majeure près : ce bloc est au service d’un projet postnational parfaitement clair depuis le départ. Emmanuel Macron est cohérent et constant dans sa volonté de dépasser le cadre national qui fait aujourd’hui obstacle au déploiement généralisé du capitalisme, lequel dissout les rapports humains au profit de la marchandise. D’où l’adhésion totale de Macron à l’UE, avec ce thème absurde de la double souveraineté, et, pour ceux qui n’ont pas compris, la substitution du drapeau européen au drapeau national sous l’Arc de Triomphe. Il faut s’appeler Jean-Pierre Chevènement pour parvenir à ne pas le comprendre.

Si l’antifascisme est une mascarade, le RN peut-il être qualifié d’extrême droite ?

Il y a un très bon texte récent de Clémentine Autain qui s’élève contre l’utilisation du terme d’« extrême gauche » pour (dis)qualifier LFI ou la Nupes, car l’extrême gauche, dit-elle, était contre les institutions. Or, si LFI proclame son désir d’une VIe République, ce n’est pas pour évoluer vers une forme de dictature. L’extrême gauche, dans son acception historique, ce sont des partis marxistes-léninistes comme Lutte ouvrière. Or, si la Nupes et LFI sont imprégnées de gauchisme culturel, ils ne sont en réalité que la forme énervée de l’ancien Parti socialiste. L’ennui, c’est qu’après cette dénégation pertinente, Clémentine Autain parle d’« extrême droite » pour le RN. Or, son raisonnement devrait valoir aussi pour le RN qui s’est toujours tenu éloigné de la violence politique et qui, depuis cinquante ans, s’est toujours conformé aux institutions républicaines. Mais pour Autain, ce n’est pas pareil…

Mon analyse est constante : non seulement le RN n’est pas « extrême », puisqu’il ne veut pas changer de régime, mais il n’est pas non plus de « droite » dès lors qu’il refuse de se situer sur le clivage gauche/droite et n’entretient aucun lien électoral ou autre avec la droite. De même, je ne me permettrais pas de décréter qu’Emmanuel Macron est de droite ou de gauche.

Et Jean-Marie Le Pen, est-il d’extrême droite ?

Le Jean-Marie Le Pen des années 1980, qui était plutôt demandeur d’alliances avec la droite comme à Dreux en 1983, représentait une forme de droite extrême ou de droite dure. Mais ce n’était pas l’extrême droite au sens strict, qui renvoie à un imaginaire de coups de force, de complots et de violence. Les composantes d’extrême droite qui ont créé le Front national en 1972 ont justement renoncé, par cet acte même, à la dimension factieuse, extraparlementaire de leur démarche. Or, on a pris l’habitude de déduire du passé de certains frontistes leurs idées politiques actuelles. À ce titre-là, la gauche aurait été dirigée depuis des années par des trotskistes et des maoïstes porteurs d’un projet révolutionnaire, ce qui n’est pas évident au vu des politiques suivies. Bref, le terme d’extrême droite, absolument ridicule pour Marine Le Pen, n’était guère plus pertinent pour Jean-Marie Le Pen en tant que dirigeant du FN. Le vocabulaire politique est suffisamment riche pour trouver des termes, même très péjoratifs, beaucoup plus appropriés.

Marine Le Pen est au croisement de deux axes, élitaire/populaire, droite/gauche. Est-ce pour cela qu’on a du mal à définir le RN ?

Ma thèse du nouvel ordre démocratique part moins d’une analyse des idéologies que d’un constat électoral. Les sociétés bougent beaucoup plus par la base que par le sommet. Christophe Guilluy souligne ainsi que le populisme de la base produit le populisme des représentants, et non l’inverse. On n’est pas dans Baron noir, où des entrepreneurs politiques manipulent tout et décident de mettre des choses dans la tête des gens. Pour la transformation du clivage gauche/droite en autre chose, elle me paraît confirmée et même amplifiée par deux élections présidentielles.

Prenons le cas des familles souverainistes qui, autrefois, menaient des combats communs – qu’elles perdaient le plus souvent. Et quand des souverainistes gagnaient, ils se laissaient dépouiller de cette victoire. Mais durant ces combats, leurs leaders politiques acquéraient un capital politique qu’ils investissaient ensuite à bon prix, soit à droite, soit à gauche, dans des partis et surtout des gouvernements qui étaient tout sauf souverainistes. Ce petit commerce sur lequel se sont faites beaucoup de carrières s’est effondré avec la progression d’un bloc dont l’idéologie est l’européisme intégral, et d’un autre prônant le souverainisme intégral. Les souverainistes sont au pied du mur. On le voit avec l’explosion du chevènementisme finissant, dont nombre d’électeurs ou de cadres moyens ont rallié le RN, tandis que l’élite rejoignait Macron, preuve que le clivage est bien celui-là. J’observe aussi que la gauche reste très minoritaire, malgré le discours en trompe-l’œil de la France insoumise. Pour rester dans mon registre, si la Nupes était un bloc, elle serait avant tout un bloc petit-bourgeois renforcé par des gens issus de l’immigration extra-européenne. Je ne crois pas au retour du clivage gauche/droite. Après, que les forces politiques dominantes – le RN d’un côté et le macronisme de l’autre – adressent des signaux à ce qui reste de la gauche ou à la droite pour récupérer des voix, c’est si j’ose dire le minimum syndical.

Pourquoi l’immigration est-elle devenue un tel enjeu du conflit idéologique entre les deux blocs ? Pourquoi est-elle considérée comme un bien en soi par les élites ?

En sociologie politique, on a toutes sortes de catégorisation des enjeux électoraux ; de proximité/nationaux, conflictuels/consensuels, économiques/culturels… Mais l’immigration est tout cela à la fois, c’est donc un « enjeu total ».

Jusqu’à présent, la plupart des formations politiques n’assumaient pas d’être favorable à l’immigration. C’est pourtant aujourd’hui le cas de la Nupes qui est non seulement promigrants, mais aussi promigration, ce qui est différent. On passe du compassionnel au projet. Ce fait est d’autant plus remarquable que si l’immigration constitue certes un enjeu régalien, elle représente aussi un enjeu social qui a partie liée avec la mondialisation et une forme de concurrence déloyale. De plus, si la France n’avait pas un modèle social très protecteur, le débat sur l’immigration se poserait en des termes radicalement différents. Les partis qui de facto soutiennent l’immigration, y compris illégale, sont les meilleurs agents du capitalisme effréné et de la destruction du modèle social français.

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C’est pour cela que le RN développe sur le sujet un discours à la fois social et culturel. Je n’insiste pas sur le second volet, civilisationnel, qui est bien présent. Quant au premier, si Marine Le Pen fait des scores excellents parmi les gens issus des lycées professionnels et hôteliers, c’est parce que les jeunes qui ont acquis un savoir complexe, par exemple pour travailler dans la restauration, sont concurrencés par le travail illégal et subissent ainsi une forme de prolétarisation via l’immigration.

Jean-Marie Le Pen n’est-il pas coupable d’avoir laissé tracer un signe d’égalité entre la contestation de l’immigration et le racisme ?

Sans doute un peu, historiquement. Mais la société française était bien plus raciste en 1970. Le phénomène majeur de ces dernières décennies, c’est l’effondrement des préjugés racistes, mesuré notamment par le baromètre annuel de la CNCDH. Jean-Marie Le Pen appartient à une époque dont les valeurs et les préjugés étaient très différents des nôtres. Aujourd’hui, son patronyme a le mérite de permettre à celle qui le porte d’être considérée comme crédible sur l’immigration sans avoir besoin de trop en parler.

Que répondre à ceux qui disent que les immigrés viendront toujours parce qu’ils n’ont pas le choix, parce que climat, misère, guerre… Endiguer les flux, c’est compliqué !

La complexité est souvent l’argument de l’impuissance désirée. Prenons maintenant le cas de l’Afghanistan, où j’ai travaillé : les candidats au départ fuient la guerre, mais plus encore un pays dont la population double tous les vingt-cinq ans ! L’immigration de pays lointains est un projet économique personnel qui suppose une prise de risque vital et un investissement financier important, non seulement des migrants mais souvent de toute une communauté qui se cotise pour eux. En Afghanistan, on choisit les personnes parlant anglais, dynamiques, courageuses, dont la mission est de s’installer dans un pays développé pour y faire venir un maximum de gens. C’est donc un projet économique et ce n’est pas leur manquer de respect de le dire. Personne ne s’aventurerait là-dedans sans la perspective de passer, de s’installer et de bientôt être régularisé. Nier cette rationalité relève d’un préjugé condescendant et pour le coup très colonial. C’est pourquoi le choix politique d’empêcher la réalisation d’un tel projet économique, au-delà même du franchissement de la frontière, serait immédiatement efficace, s’il était porté par une volonté crédible.

De plus, leur projet, pour respectable qu’il soit, s’oppose à la volonté des Français…

En effet, quels que soient les sondeurs et les questions qu’ils posent, on obtient le même résultat depuis des années : deux tiers des Français considèrent que l’immigration est une mauvaise chose pour la France. Ce décalage entre ces 66 % et les politiques publiques effectives est un facteur déterminant du conflit peuple/élites. De 1974 à il y a quelques années, l’incapacité des gouvernants à résoudre le chômage fondait la défiance des citoyens. Aujourd’hui, c’est leur incapacité à mener une politique efficace sur la question de l’immigration. Cela explique en grande partie le score extraordinaire du RN, qui avait jusqu’à présent peu de moyens et pratiquement pas d’élus, qui était brocardé par toutes les autorités, morales, médiatiques et autres. On peut même dire que Zemmour, en ne parlant pratiquement que de cela, a réussi un score remarquable de 7 %. Dès le premier tour, quasiment le tiers des Français votent essentiellement sur cette question qui engendre une angoisse existentielle. On peut douter des sondages, pas du résultat des élections : le contrôle de l’immigration est clairement une demande de la base, rejetée par le sommet.

Cette question migratoire est aussi un puissant ferment du mépris social vis-à-vis des « ploucs » de la France périphérique…

Oui, de toute l’évidence, mais cette question garde une part de mystère. Certes, deux tiers des Français considèrent que l’immigration est une mauvaise chose, mais Macron est réélu président, il a une majorité relative à l’Assemblée nationale, tandis que beaucoup de gens votent pour la Nupes qui a un discours promigratoire. On ne peut pas résoudre cette énigme par des formules faciles sur les élites qui vivent dans les métropoles et bénéficient du restaurant à domicile grâce à Uber Eats. Ce n’est pas faux, mais certains effets de l’immigration peuvent être mal vécus par toutes les catégories de la population. D’ailleurs, quand on étudie la sociologie du vote Nupes, il y a bien sûr beaucoup d’électeurs issus de l’immigration extra-européenne, mais il y en a bien davantage qui n’en sont pas issus. Et ceux-là, pour la plupart, vivent dans des quartiers de forte immigration et ne sont pas des possédants, des bourgeois jouisseurs et cyniques. Beaucoup s’en accommodent donc. Est-ce par générosité ? Je crois à l’empreinte du christianisme sur cette question. La gauche aujourd’hui n’a jamais été aussi peu marxiste, elle est imbue d’une forme de christianisme décomposé. Il y a aussi une bonne partie de cette toute petite bourgeoisie – hypothèse plus déplaisante – qui souffre d’une forme de frustration et d’inquiétude perpétuelles. Ils ont souvent des diplômes et se sentent mal reconnus par la société. Ils sont dans une logique de ressentiment et trouvent dans le thème de l’aide aux migrants une façon moralement impeccable de nourrir le procès qu’ils intentent à la société. À l’image des intellectuels petits-bourgeois, faussement révolutionnaires, dont parle Orwell.

Pensez-vous, comme le disent certains, que Macron veut détruire la France par l’immigration ?

Un pouvoir politiquement minoritaire préfère avoir plusieurs oppositions qu’une seule. Un pouvoir socialement minoritaire préfère qu’il y ait plusieurs peuples qu’un seul. De toute évidence, Macron s’accommode d’une immigration de masse. Il partage aussi avec Mélenchon, avec d’autres mots, le culte de la créolisation. L’assimilation grotesque de la Seine-Saint-Denis à la Californie relevait d’une même logique. Tout ce qui relève de la mondialisation, de la transgression des limites, de la mobilité comme projet, tout cela s’insère très bien dans le discours macronien. À l’inverse, la tradition, l’enracinement, la culture française même en tant qu’héritage, la décence commune, enfin, sont vécus comme autant d’obstacles. Une fois encore, la gauche qui confond internationalisme et mondialisme se révèle un excellent adjuvant du cours libéral des choses. On a sur ces thèmes un ressort profond du soutien à Macron au tour décisif de la présidentielle. Macron n’est pas plus de gauche que de droite, mais il existe un gaucho-macronisme concret derrière le rideau de fumée de la prétendue insoumission.

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D’accord, mais comment Macron se situe-t-il personnellement sur ces questions 

Je ne suis pas psychologue, mais avec Macron on dispose de déclarations récurrentes dont on peut déduire une cohérence idéologique. Ainsi, il a tranquillement affirmé que la culture française n’existait pas et a tenu à l’étranger des propos assez définitifs sur le caractère des Français. C’est original, on n’a jamais connu ça pour un chef de l’État. On trouve chez lui une volonté parfaitement assumée de mise aux normes de la nation française par rapport à ce qui est attendu au niveau mondial et européen. Pour y arriver, Macron et ses alliés idéologiques doivent liquider la spécificité française, cette capacité revendicative du peuple. C’est un peuple qui résiste, encore attaché à son fort système de redistribution tout autant qu’à ses valeurs civilisationnelles, un peuple avec un mode de vie singulier et un esprit mordant, un peuple enfin qui a créé des obstacles pour les puissances dominantes, y compris sur la scène internationale. Il est important de réduire la fierté de ce peuple tout autant que son unité. C’est pourquoi le gaucho-macronisme réalise une œuvre redoutable en valorisant la repentance et en prônant l’intersectionnalité. Déconstruit, l’individu est seul, vulnérable, malléable. À la fin, Nuit debout œuvre contre les Gilets jaunes et pour le bloc élitaire. Schéma classique, mais toujours aussi consternant.

L’affaire de l’Ocean Viking marque-t-elle vraiment un tournant ?

Il marque une étape bien réelle dans l’évolution de l’opinion, car on a pu voir au sens strict du terme – c’est très spectaculaire, un bateau – que le gouvernement choisissait une immigration non choisie : il ne s’agit pas de gens qui arrivent aux frontières, mais de gens que l’on va chercher de l’autre côté de la Méditerranée. Le récit selon lequel les gens franchiraient la Méditerranée depuis la Libye ne fonctionne pas. Les embarcations ne sont pas faites pour ça, et personne de sensé ne monterait dedans pour franchir vraiment la Méditerranée. La débandade de l’État à l’arrivée ne pourra que renforcer la lancinante impression de délitement, voire de je-m’en-foutisme des élites, qui taraude l’opinion publique.

Décembre 2022 - Causeur #107

Article extrait du Magazine Causeur




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Fondatrice et directrice de la rédaction de Causeur. Journaliste, elle est chroniqueuse sur CNews, Sud Radio... Auparavant, Elisabeth Lévy a notamment collaboré à Marianne, au Figaro Magazine, à France Culture et aux émissions de télévision de Franz-Olivier Giesbert (France 2). Elle est l’auteur de plusieurs essais, dont le dernier "Les rien-pensants" (Cerf), est sorti en 2017.

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