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Kouchner le visionnaire


La France ne connaît pas son bonheur d’avoir un ministre des Affaires étrangères aussi folklo que Bernard Kouchner. Je ne jette pas la pierre : nous avons eu, en Allemagne, Joschka Fischer. Sauf que, venu du mouvement alternatif après un passage dans les franges les plus actives de l’extrême gauche allemande, il avait adopté la Bismarck attitude sitôt qu’il accéda aux affaires fédérales avec Gerhard Schröder. La Bismarck attitude ? Ce n’est pas une histoire de moustaches ni de casques à pointe, c’est l’autre nom de la Realpolitik : tu ne fais pas de politique, hormis la politique bien comprise de l’Allemagne.

La Realpolitik, ce n’est visiblement pas le truc de Bernard Kouchner. Son truc à lui, c’est le Quai d’Orsay. On le croirait fait pour ça : s’il y avait une panoplie de ministre des Affaires étrangères comme il en existe pour les généraux, les cardinaux et les majorettes, cela ne souffre aucun doute qu’elle lui irait comme un gant. En Allemagne, sa popularité est sans égal : depuis qu’il a poussé la chansonnette l’an passé avec son homologue de Berlin, Frank-Walter Steinmeier, le ministre français est devenu une quasi star du R’n’B de Munich à Hambourg.

Le seul problème de Bernard Kouchner est qu’il parle trop. Il bavarde sur toutes les choses qu’il connaît. Sur les autres aussi. Il ne peut s’en empêcher, rien ne peut l’en retenir. Cela doit être une déformation professionnelle. Notre médecin de famille, le Dr Schweitzer, est en tout point pareil : même s’il ne parvient pas à diagnostiquer le mal dont vous souffrez, il est capable d’en disserter des heures durant. « Was dich nicht umbringt, macht dich stärker » (ça ne tue pas, mais ça rend plus fort), dit-il en se caressant la moustache. Vous pouvez d’ailleurs le brancher sur n’importe quel sujet, le Dr Schweitzer démarre au quart de tour. Il est capable d’échafauder au débotté toute une théorie sur n’importe quel événement, vous en expliquer les tenants et les aboutissants, peser le pour et contre. Il excelle dans un exercice qu’on pensait être l’apanage de Jacques Attali et d’Alain Minc : avoir un avis sur tout.

Bernard Kouchner vient une nouvelle fois d’apporter la démonstration de son incroyable talent. Interrogé par TV5 sur la crise interne au Parti socialiste, il a déclaré : « C’est un événement, quoi qu’on en pense et quoi qu’on veuille, international. Un triste événement, mal perçu à l’étranger. » Les connaisseurs apprécieront en esthètes éclairés la tournure et le style. J’ai toujours éprouvé une méfiance instinctive pour les gens qui commencent leur phrase par un « quoi qu’on en pense »… Car, implicitement et peut-être inconsciemment, ils admettent que ce qu’ils affirment est sujet à débat sinon à caution. Pour le « quoi qu’on veuille », mes compétences linguistiques en français ne sont pas assez développées pour en comprendre le sens. Et j’espère qu’il se trouvera ici un lecteur qui a fait Kouchner première langue pour me l’expliquer.

Que le ministre français des Affaires étrangères souhaite internationaliser le conflit au PS pour faire rentrer l’affaire dans son domaine de compétences, on le comprend fort bien : au rythme où vont les choses, rien ne dit que l’ONU ne nommera pas dans les prochains jours un Haut Représentant rue de Solferino. Bernard Kouchner serait alors l’homme de la situation. Il est de plus en plus clair que Daniel Vaillant ne tiendra pas bien longtemps à faire rempart de son corps pour séparer les belligérants ; l’envoi d’une force d’interposition semble être pour l’heure l’hypothèse la plus raisonnable si l’on veut sortir la région du conflit (toutefois, si un contingent de casques bleus a été envoyé dans la nuit, merci de ne pas tenir compte de cette remarque, c’est que je n’aurai pas été prévenue à temps).

Le problème, c’est de voir le peu de cas que la presse internationale fait de ce conflit. Si d’aventure on se hasarde à lire les journaux étrangers, comme le ministre français des Affaires étrangères le fait chaque matin, on s’aperçoit que les rédactions font le service minimum pour couvrir cet « événement international ». En Allemagne par exemple, de la Berliner à Die Zeit, de la Frankfurter à la Süddeutsche, en passant par Der Spiegel et Die Welt, on s’est contenté de triturer sans trop de convictions les dépêches de circonstances de Reuters et de la Deutsche Presse Agentur. Salauds de journalistes qui ne font pas leur métier rien que pour invalider la perception kouchnérienne de la crise au Parti socialiste !

Ce faisant, Bernard Kouchner a raison sur une chose : la crise que traversent les socialistes français est « mal perçue à l’étranger ». Si mal perçue, d’ailleurs, qu’elle ne l’est pas du tout. Il faut également dire que « l’étranger » n’y met franchement pas du sien : pendant qu’à Paris le temps a suspendu son vol et que tous les esprits sont happés par le conflit international qui se noue entre les deux drôles de dames, la crise économique continue dans le reste du monde… Mais ceci demeure accessoire.

Quoi qu’on en pense et quoi qu’on veuille, donc, 2008 restera gravée dans l’histoire humaine comme une année mémorable. Cette année-là, en France, bras dessus bras dessous avec un huissier de justice, la fraternité avait une drôle de dégaine.



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Née à Stuttgart en 1947, Trudi Kohl est traductrice, journaliste et romancière. Elle partage sa vie entre Paris et le Bade-Wurtemberg.

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