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Sollers couchant


Sollers couchant
Philippe Sollers © Photo: Hannah Assouline

Faut-il être au Paradis pour apprendre la mort de Philippe Sollers ? Non, il faut être en parade vis-à-vis du mensonge social ; ce même mensonge qui dit que Sollers n’est plus. Pourtant, il est là ! Où ? Dans ma bibliothèque, dans mon cœur de jeune homme de 20 ans, par sa voix, les fleurs, la lumière, l’écho des lumières. Vous le pensez à Paris ou à Venise ? Il erre dans les jardins de Bordeaux et les marais de Ré, éternellement. Qui a connu, réellement, Philippe Sollers ? Les bourgeois de Bordeaux, où il est né ? Les jésuites, chez qui il a étudié ? La bande de la revue Tel Quel, qu’il a fondée ? Les médias, dont il a usé ? Ces gens sont une bagatelle. Sollers a vécu avec Voltaire, Hölderlin, Sade, Mozart, Casanova, Hegel, Rimbaud et Lautréamont. Sur ces figures, il a composé des fugues en claveciniste du langage qu’il était.

Décrié comme un retourneur de veste compulsif

Sollers n’est pas né Sollers. Mais alors, pourquoi un nom de plume ? Pour cacher un nom disgracieux comme Donnadieu (Duras), Quoirez (Sagan) ou Arouet (Voltaire) ? Non, il voulait dissimuler un trésor, un talisman, son nom de naissance : Joyaux. D’où a surgi Sollers ? De l’Odyssée bien sûr, dont il a tiré ce nom dans la nuit d’un internat jésuite d’après les qualités morales d’Ulysse transposées en latin. Sollers signifie « adroit », « habile », « ingénieux » : il est le maître des sorts. On peut entendre aussi, au loin, dans le chant des sirènes ceci : Sollus ars, tout entier art. Il l’a été, il le restera.

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Vous répétez à loisir que Sollers s’est compromis, sali dans des combats déshonorants. Vous aimez dire qu’il a été un opportuniste, un retourneur de vestes compulsif. Chers amis, vous ne voyez pas la continuité littéraire, la ténacité avec laquelle Sollers s’est exprimé dans ses livres multiples, ses batailles. Le classicisme, le nouveau roman, le marxisme, le maoïsme, mai 68, le situationnisme, Balladur, les Libertins, la France démoisie, le papisme, Houellebecq contre l’Islamisme… Suite de clichés, donc d’images photographiques captées à un instant séparant l’action du mouvement. Oui, il a été entre les lignes de ces choses-là, ces combats tous azimuts qui partageaient le même socle, la défense de la liberté sous toutes ses formes. Vous le traitez de soixante-huitard ? Il est au XVIIIème. Pourquoi a-t-il défendu 68 jusqu’à la fin me demandez-vous, je vous entends, vous vous énervez. Il fallait que quelqu’un se dévoue pour dire que 68 fût avant tout une histoire d’amour. Que sauvera la droite de Sollers ? Femmes, évidemment. Là où certains disent qu’il fût prophète je dis qu’il a été un aventurier.

Pourquoi il faut le relire

Amis de chez Causeur, je vous le dis, Sollers donne l’antidote pour se soigner de l’époque. Il remet les pendules du genre à l’heure, dénonce la censure, aime les femmes, la peinture que certains prennent plaisir à taguer ou ensouper, la musique lorsqu’elle n’est pas interrompue par des bien-pensants, les livres lorsqu’ils ne sont pas réécrits par les wokes.

De son vivant, on disait que Sollers n’était pas un vrai écrivain mais surtout un personnage médiatique caché sous ses masques. Désormais, mort, il n’est plus qu’un vieil écrivain, comme pour masquer son travail d’éditeur au Seuil, puis chez Gallimard à L’Infini. Sa collection est là, Muray y fût, Schuhl y a été goncourisé, Mathieu Terence y lutta contre le nihilisme, Haenel y publia tous ses romans, Meyronnis s’y ligne de risqua, et Nabe y offrit ses éclairs.

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J’ai espéré, longtemps, voir mon nom dans cette liste. Cet espoir s’est perdu dans ce matin de mai ensoleillé. Sollers se plaisait à dire que dans sa famille on meurt l’été : il ne le verra plus que d’en-haut. Il répétait cette phrase, aussi : « la mort ce n’est rien, mais le mourir c’est tout une affaire ». Tant pis, je retournerai souvent à la Closerie, seul, ou face à Josyane Savigneau, mon amie, celle qui me l’a présenté l’année dernière sous la verrière enfumée. J’y boirai encore des whisky et des bloody mary, je porterai des bagues et tiendrai un fume-cigarette imaginaire en hommage à Philippe. Je reproduirai ces nuits d’amour au cours desquelles la voix de Sollers scandait « Paradis », ça le faisait rire, il aimait et était aimé par procuration. Je relirai ses mots aux terrasses de Bordeaux face aux femmes d’Aquitaine, je voguerai vers tous les Sud. Je sais qu’une nuit de mai 2024 je m’égarerai dans les caves de Bordeaux, cherchant deux bouteilles : une de 1936 et l’autre de 2023. La mort ne lui ressemble pas, mais elle rassemblera ceux qui l’ont aimé. Philippe Sollers, aimé des fées. 1936-2023. Je ne voulais pas écrire ces chiffres-là. 

Un camarade de combat, un de ses nombreux fils enfanté par ses lignes.



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Jeune auteur de 20 ans en quête d'éditeur pour publier son premier roman "Paris e(s)t ma fête : Confession d'une tête à claque".

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