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La Cour suprême américaine va vite pencher encore plus à droite


La Cour suprême américaine va vite pencher encore plus à droite
Ruth Bader Ginsburg

Le décès de la juge Ruth Bader Ginsburg offre aux conservateurs une place à la Cour suprême pour un juge partageant leurs valeurs sur l’avortement ou le droit à porter des armes. Nous revenons sur l’importance de cette institution dans la politique américaine.


Vivant, le juge assesseur de la cour suprême Ruth Bader Ginsburg était déjà une icône. S’il n’a pas encore inspiré les articles de fonction dans la grammaire française, son combat pour purger les législations fédérales et étatiques de tout archaïsme sexiste l’a rendu très populaire aux États-Unis. La vacance de son siège à la cour suprême pourrait en bouleverser tout l’équilibre politique. Alors que quatre juges progressistes s’opposaient à cinq juges conservateurs (dont un hésitant) jusqu’à présent, la Cour suprême pourrait pencher plus largement dans le camp conservateur, avec six juges sur neuf, à la fin de la semaine.

Faire parler la constitution 

Le droit est soumis à la toute-puissance de la loi en France et à la toute-puissance de la jurisprudence aux États-Unis.  La déségrégation du Sud ou la libéralisation de l’avortement procèdent de décisions de justice – l’arrêt Roe v. Wade de 1973 qui l’a consacré reste un des plus connus. 

Le juge américain est revêtu d’un immense pouvoir politique. D’où cela vient-il ? « La cause en est dans ce seul fait: les Américains ont reconnu aux juges le droit de fonder leurs arrêts sur la constitution plutôt que sur les lois. En d’autres termes, ils leur ont permis de ne point appliquer les lois qui leur paraitraient inconstitutionnelles » écrit simplement Alexis de Tocqueville. Un tribunal peut se revendiquer de la constitution pour casser une loi – limitant singulièrement l’autorité du législateur. 

Fondateur et sacro-saint, le texte constitutionnel américain est un objet étonnant. Comme la Bible calviniste, on brandit sa lecture littérale pour la faire parler – et in fine, lui faire dire ce qu’on veut. Les planteurs d’autrefois légitimaient, versets testamentaires inconnus à la main, l’esclavage comme commandement divin avec la même habileté dialectique qu’emploie aujourd’hui la NRA pour faire du second amendement, « droit d’une milice bien organisée »,  le permis universel de propriété domestique d’un arsenal de guerre. Depuis le début du XIXe, la cour suprême est maîtresse de l’interprétation (finalement assez libre) du texte constitutionnel. De l’orientation de ses juges dépendent des aspects centraux de la vie de millions d’Américains. 

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L’enjeu est si important qu’il devrait éclipser ceux de la campagne présidentielle. Les conservateurs se sont organisés de longue date pour construire un appareil judiciaire à leur mesure – alors qu’un peu trop confiants dans leur victoire de 2016, les démocrates avaient sous Obama allégé la procédure de nomination, ce qui in fine profite à son successeur. 

Droit des États et avortement 

La cour suprême pourrait devenir conservatrice pour une génération. En jeu, l’avortement. S’il ne fait plus vraiment débat en France (quoi que la possibilité d’un avortement pour « détresse psychosociale » jusqu’au 9e mois voté en catimini dans la loi bioéthique pendant l’été mériterait peut-être que les citoyens s’y attardent NDLR), le sujet divise en deux l’opinion américaine. Plus qu’un dilemme moral aux États-Unis, c’est un marqueur social et culturel. Pro choice et Pro life s’identifient autour des clivages qui fracturent la société américaine : le pays rural et religieux contre celui des minorités urbaines et socialement avancées. 

Une remise en cause de l’arrêt de 1973 ne conduirait pas à une interdiction de l’avortement sur l’ensemble de l’Union mais rendrait les États souverains pour légiférer sur le sujet – et ce principe constitutionnel du droit des États reste pour les conservateurs américains, aussi important, que les lois qu’il implique.

Quel gouvernement des juges ? 

Il y a bien un gouvernement des juges aux États-Unis et, deux siècles après son institution, le système ne semble pas remis en cause dans son principe. Le continent européen est-il en train de suivre la même voie ? La cour européenne des droits a retenu l’exemple de Tocqueville. Arbitrant les cas qui lui sont soumis, elle fonde sa propre juridiction à partir de ses propres jurisprudences, sur la légitimité de sa déclaration éponyme des droits. Instituée par sa seule institution, légitimée par sa propre légitimité, son  droit s’impose pourtant à toutes les souverainetés nationales.

À droite en Europe, le refus de sa légitimité l’emporte, tant par souverainisme que par méfiance pour le modèle américain. Là-bas, les républicains ont préféré y subvertir le système de l’intérieur plutôt que de le refuser – et en faire le contenant de leurs lois plutôt que le contenu.

Un tel système n’est pas sans pertinence : il permet d’inscrire un projet de société dans la durée ; préférant l’échelle d’une génération (les juges à la cour suprême sont nommés à  vie) à celle d’un mandat. Ce principe pourrait satisfaire des esprits conservateurs et soustraire le politique aux caprices de l’éphémère. Les objectifs de la droite européenne ne sont pas ceux de la droite américaine mais l’utilisation qu’elle est parvenue à faire du droit offre un cas pratique saisissant.



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