Accueil Monde Panique et hystérie devant « Les mythes de la guerre d’Espagne, 1936-1939 » 

Panique et hystérie devant « Les mythes de la guerre d’Espagne, 1936-1939 » 


Panique et hystérie devant « Les mythes de la guerre d’Espagne, 1936-1939 » 
Le journaliste et historien Pio Moa photographié en 2010. Photo: Wikimedia Commons.

Réponse à mes censeurs


Tout observateur attentif peut percevoir un ton d’hystérie et de panique dans la réaction, en France comme en Espagne, à l’interview du Figaro Histoire (été 2022) publié à l’occasion de la traduction française de Les mythes de la guerre d’Espagne, 1936-1939 (Éditions L’Artilleur). Une réaction de colère et d’indignation, qui se veut intimidante (« comment Le Figaro Histoire ose-t-il… », donner la parole à un « menteur », un « falsificateur », pire, «une canaille politique »), mais sans la moindre trace de critique rationnelle, ou tout aussi souvent un silence gêné. 

La raison de cette attitude est compréhensible : si ce que dit Les mythes de la guerre d’Espagne est vrai, le discours dominant en Espagne, en France et en Europe sur cette guerre, sa signification et ses conséquences historiques est faux, ce qui ouvre de nouvelles hypothèses et porte atteinte à bon nombre d’intérêts.  Le problème pour les partisans du discours dominant ne devrait pourtant pas être complexe: il suffirait pour eux de mettre en évidence deux ou trois points clés de mon livre et de les démolir à l’aide de données et d’arguments… mais rien de tel ne s’est produit jusqu’ici, sinon, comme je le dis, le silence chez les uns et les insultes et l’intimidation chez les autres. Il en ressort l’impression que ces «critiques» n’ont même pas lu le livre, qui, selon eux, est de la « propagande franquiste » et « ne dit rien de nouveau », malgré son énorme succès en Espagne et maintenant en France. Qu’il me soit donc permis de donner ici quelques explications. 

Entre 1999 et 2001, j’ai publié la trilogie Los orígenes de la guerra civilLos personajes de la República vistos por ellos mismos, et El derrumbe de la República y la guerra, fruit de neuf années de travail.  La lecture de ces trois livres pouvant être rébarbative pour le grand public, car ils sont remplis de notes d’archives, de références bibliographiques, de documents de presse, de procès-verbaux des Cortès, etc., j’ai pensé qu’un résumé plus « populaire » ou de bonne vulgarisation des trois, serait utile.

Le résumé, que constitue Les Mythes de la guerre d’Espagne, a été conçu selon une méthode d’exposition originale, en deux grandes parties, qui m’a semblé la plus efficace. La première porte sur les conceptions politiques et idéologiques des dix principaux dirigeants des différents partis ou personnalités majeures. Aussi étrange que cela puisse paraître, ce n’est pas souvent le cas dans les livres d’histoire de la Guerre d’Espagne, qui approfondissent rarement le contenu idéologique du conflit. Dans le troisième volume de ma trilogie, j’ai consacré beaucoup d’espace à ces contenus, sans lesquels rien ne peut être expliqué en profondeur, et dans Les Mythes, je l’ai fait de manière plus directe et personnelle, en m’en tenant aux idées des personnages.  

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Dans une deuxième partie, j’ai examiné dix-sept questions et événements très précis, afin de les faire sortir du domaine du mythe, ou plutôt du pseudo-mythe, pour les faire entrer dans celui de la réalité historiographiquement vérifiable. Et je l’ai fait soit sur la base de la documentation de la gauche elle-même, soit sur la base de recherches détaillées et jamais démenties de divers historiens. Enfin, j’ai ajouté deux épilogues replaçant la guerre civile espagnole dans l’histoire du XXe siècle et dans l’histoire de l’Espagne. Sont également joints des cartes, une chronologie et les origines régionales des personnes mentionnées. 

J’ai été surpris par les nombreux commentaires plutôt favorables aux Mythes de la guerre d’Espagne et à d’autres de mes livres, qui affirment néanmoins qu’ils manquent d’originalité, sauf peut-être en ce qui concerne la clarté de l’exposition. À les entendre, ils ne découvrent rien de nouveau, tout ce que je dis «a déjà été dit par d’autres ». Honnêtement, si je n’avais fait qu’abonder dans ce qui est déjà connu, je ne pense pas que j’aurais pris la peine d’écrire quoi que ce soit sur le sujet. Mais si j’avais commis vraiment cette erreur, encore faudrait-il qu’on explique pourquoi mes livres sont ceux qui ont déchaîné le plus de haine et de peur chez tant d’historiens et de politiciens progressistes mais aussi de droite. 

En historiographie, comme dans tant d’autres domaines, il y a le niveau des données concrètes et celui de l’analyse interprétative, ce que n’a pas manqué de rappeler récemment l’historien Stanley Payne à propos de mon livre L’hégémonie espagnole et le début de l’ère européenne (2022). L’accumulation des données est une nécessité élémentaire et quelque peu laborieuse, mais elle est fondamentalement simple et facile, tandis que l’analyse interprétative est beaucoup plus difficile, car elle exige de mettre en relation ces données, de les comparer et de tirer des conclusions cohérentes. Il s’agit là du niveau le plus élevé de l’historiographie. 

On a déjà tant écrit sur la guerre civile espagnole et sur tant de ses aspects qu’il est difficile de découvrir de nouveaux faits, ou quelque chose qui n’a pas déjà été dite ou mentionnée par quelqu’un, et souvent même répétée des milliers de fois. Néanmoins, je crois avoir réussi à apporter quelques contributions. La première que je mentionnerai ici concerne la troisième tentative de coup d’État, celle des Jacobins (libéraux-progressistes et étatistes) ou de la gauche libérale de Manuel Azaña (alors ancien ministre et président du conseil), à l’été 1934. Lorsque la gauche a perdu les élections de novembre 1933, Azaña a fait pression à deux reprises, en vain, sur le président de la République (un centriste conservateur), Alcalá-Zamora, pour qu’il annule les élections et en convoque de nouvelles avec la garantie d’une victoire de la gauche. Il ne pouvait rien faire d’autre avec les maigres moyens dont il disposait à l’époque, mais c’était en quelque sorte une tentative de coup d’État. Puis, au cours de l’été suivant, Azaña a conclu un accord avec le président de la Generalitat de Catalogne, Companys et ses partisans pour réaliser cette fois un coup d’État plus efficace. La tentative a échoué parce qu’elle exigeait la collaboration du parti socialiste (PSOE), qui a refusé parce qu’il préparait pour sa part une révolution « prolétarienne » et ne voulait en aucun cas collaborer à la perpétuation d’une République « bourgeoise ». 

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Ce fait, qui, je pense, était totalement inconnu auparavant dans l’historiographie de gauche ou de droite, est une contribution importante, mais il ne mérite somme toute qu’un article et pas un livre. Il en va de même pour d’autres faits similaires que je mentionnerai en suivant. Cela dit, ce dont un livre bien argumenté et articulé a besoin, c’est précisément d’une analyse interprétative. Et dans ce domaine difficile, je crois que mon livre est innovant, et qu’il le demeurera en attendant que quelqu’un parvienne à réfuter efficacement ses arguments, ce qui à ce jour n’est pas encore arrivé. 

Pour s’en tenir au niveau analytique et interprétatif, on peut commencer par l’approche générale de la guerre civile espagnole. J’ai expliqué dans mon livre Les Mythes, et je ne le répéterai pas ici, pourquoi le Front populaire (coalition de partis marxistes, communistes et socialistes bolchévisés et également de partis séparatistes et libéraux-jacobins, auxquels se joindront, après le soulèvement, les trotskistes et les anarchistes) ne pouvait pas être composé de partis démocratiques. Je ne suis ni le seul ni le premier à le souligner, bien que je ne pense pas que l’origine de ce bobard ait été jusqu’ici décelé correctement dans la stratégie et la propagande soviétiques, et je crois que je ne me trompe pas. 

Mais il y a un autre aspect essentiel : l’acceptation pratiquement généralisée, à gauche comme à droite, de la présentation du Front populaire comme le «camp républicain », en partant du principe qu’il serait la continuation de la Seconde République espagnole. Très peu, à gauche comme à droite, ont échappé à cette approche radicalement déformante de l’histoire. Seuls Stanley Payne (La guerre d’Espagne, Le Cerf, 2010) et peut-être une poignée d’autres historiens ont souligné cette discontinuité, en se référant à une sorte de Troisième République, que je préfère appeler seulement Front populaire, parce qu’elle n’a pas réussi à se cristalliser en un régime minimalement stable, ayant perdu la guerre civile. Mais il y a un autre point capital: ce Front populaire n’était pas seulement différent de la Seconde République, il était précisément celui qui l’a détruite. C’est l’une de mes thèses fondamentales, qui change complètement la compréhension de la guerre. 

Un autre point important est la date à laquelle on peut considérer que la République de 1931 a pris fin. Ceux qui acceptent sa fin placent habituellement cette date lors de la distribution d’armes aux syndicats en juillet 1936. À mon avis, cette destruction a eu lieu pendant le processus électoral de février à avril de la même année. Cette conception est doublement importante, car elle établit un lien entre l’insurrection d’octobre 1934, au cours de laquelle il existait un « front populaire » de fait, et les élections de février 1936; elle souligne que ces élections étaient frauduleuses non seulement en raison de la falsification des procès-verbaux, mais aussi en raison de l’ensemble du processus, depuis la dissolution des Cortès jusqu’à la destitution du président Alcalá-Zamora. Je crois être le seul à avoir exprimé cette conception globale. 

Un autre élément de cette thèse est la responsabilité du président de la République, Alcalá-Zamora, dans la convocation douteuse et en soi illégitime des élections de février 1936, ce que je suis le seul, je crois, à avoir souligné. 

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Il est enfin important de noter que cette analyse du processus de destruction de la République démolit complètement la plupart des interprétations actuelles de la République et de la Guerre civile, ce qui est bien plus important que tout apport de données ou de détails. Elle élimine partiellement mais fondamentalement de nombreuses autres versions, y compris celles typiquement franquistes. Ces dernières maintiennent et reprennent en effet la distorsion essentielle typique du «camp républicain », parce qu’elles sont fondamentalement anti-républicaines et que le sort de cette République ne les intéresse pas. Ils voient donc une continuité entre elle et le Front populaire ; une succession de violences et de convulsions d’un régime qu’ils considèrent comme illégitime et le produit d’un premier coup d’État, dû aux élections municipales de 1931. Or, il s’agit là d’une autre distorsion importante, car bien qu’il y ait eu un coup d’État… celui-ci a été réalisé par les monarchistes contre leur propre régime et non pas par leurs opposants républicains (Les élections municipales de 1931 ont été une victoire écrasante pour les monarchistes, mais les républicains ont gagné dans presque toutes les capitales de province. Le gouvernement monarchiste de Romanones a dès lors considéré que les votes urbains avaient plus de poids que les autres et que les élections étaient donc remportées par les républicains). La république était par conséquent légitime et elle n’a cessé d’exister, pour les raisons mentionnées, que cinq ans plus tard, lors du processus électoral de février 36. 

Je crois que personne d’autre n’a maintenu ces conceptions avec la précision, la documentation et la clarté que j’ai appliquées dans mes livres, et elles recentrent essentiellement tout un processus historique. Si mes thèses sont correctes, une confusion monumentale a régné pendant un demi-siècle. Et à cause de cette confusion et des attitudes qui en résultent, elles ont rencontré une résistance et une opposition véritablement fanatiques, contraires à tout débat rationnel. 

Une grande partie de l’historiographie et des essais sur la guerre civile espagnole se caractérise par une dérisoire et larmoyante mystification sur le « caïnisme espagnol », la « guerre fratricide », la « guerre civile ancestrale » et autres sornettes du genre, avec lesquelles bon nombre d’auteurs tentent vainement d’afficher leur sensibilité éthique, qui serait finalement exceptionnelle chez un peuple qu’ils croient si bête et sanguinaire. Le sommet de cette interprétation a été atteint par des auteurs comme Eslava Galán et Pérez Reverte, et a été rendu canonique par des auteurs proches du Parti populaire tels García de Cortázar, Pedro J, Pedro Corral et quelques autres. La guerre aurait été menée somme toute par des groupes de fous meurtriers d’un côté comme de l’autre, qui auraient entraîné les autres, de pauvres gens, qui « ne faisaient que passer par là ».  

Mais, en dehors de cet étalage de stupidités simplistes, nulle part, pour autant que je sache, n’a été soulignée de manière adéquate la conclusion précise du caractère fondamental du Front populaire en tant qu’alliance de soviétistes et de séparatistes, à savoir que tant l’unité nationale que la culture espagnole, européenne et chrétienne étaient très sérieusement menacées (car le système soviétique était une culture entière, au-delà de ses implications directement politiques). Et il suffit de prendre en compte ces éléments pour comprendre la nature de la guerre et ses enjeux. C’est un point qui, même dans l’historiographie franquiste, reste quelque peu nébuleux ou peu clair, ou perdu dans de nombreux détails. Mais il suffit pourtant d’observer sérieusement le caractère du Front populaire pour comprendre que la rébellion de Mola-Franco était une réaction in extremis à un danger historique. Une rébellion qui a sauvé le pays de la désintégration et de la soviétisation ; un salut que le PP a paradoxalement condamné, fait qui lui-même confirme ce que disait l’historien Florentino Portero : « Cette droite est condamnée à se nourrir des débris intellectuels de la gauche, en raison de son manque de culture historique et idéologique ».  

Je crois modestement que mes livres et notamment Les mythes de la guerre d’Espagne clarifient cette question clé de manière beaucoup plus précise que tous ceux dont je me souviens pour le moment. Et je crois que cette clarification a des conséquences politiques directes et des répercussions qui se prolongent jusqu’à nos jours. 

Traduit par Arnaud Imatz, membre correspondant de l’Académie royale d’histoire d’Espagne, docteur d’État ès sciences politiques, auteur de nombreux ouvrages et articles sur l’histoire de l’Espagne, préfacier du livre de Pío Moa.

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Journaliste, écrivain et essayiste espagnol

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