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Lynchage sur internet: quand la haine gratuite mène à la faillite

Un restaurateur de Poitiers menacé de faillite à cause d'antiracistes furibards


Lynchage sur internet: quand la haine gratuite mène à la faillite
Michael, restaurateur à Poitiers D.R.

À Poitiers, le restaurateur Michael Taylor est dans une tourmente sans fin, à la suite de la diffusion d’une vidéo présentant une de ses clientes grimée. Même s’il est soutenu par SOS Racisme, son restaurant pourrait ne pas survivre à cette énième affaire de “blackface”.


« J’espère pour ceux qui m’ont fait cela qu’ils n’auront jamais à vivre la même chose que moi. C’est violent, gratuit, destructeur. Mais surtout, personne n’essaie de savoir la vérité. Il suffit qu’un seul vous montre du doigt et la meute se déchaîne, sans que l’on sache comment arrêter le déferlement. » Michael Taylor est restaurateur à Poitiers, il tient avec sa mère un petit établissement, le Senza Nome. Il a été victime de la mise en ligne d’une vidéo l’accusant de racisme parce qu’une de ses clientes s’est présentée grimée en noire lors d’un enterrement de vie de jeune fille. Suite à cette vidéo, la note de son restaurant sur Google est passée de 4,6 à 1,2 en deux jours, et les commentaires sont passés de 86 à 2700 avis. Parmi ceux qui se déchaînent, la plupart ne connaissent même pas le restaurant et se servent de sa page comme exutoire à leur sentiment victimaire et à leur haine, sous couvert d’antiracisme.

Une énième affaire de “blackface” 

Menaces de mort, harcèlement, insultes, mensonges… C’est une véritable tempête qui s’est abattue sur le malheureux restaurateur et est en train de l’acculer à la faillite tant l’effet délétère sur son activité s’est fait ressentir. La vidéo en elle-même est très courte, on y voit une femme grimée danser sur le trottoir tandis qu’une personne, portant une perruque verte rit de la scène. Ce soir-là, la soirée costumée réunissait notamment des personnes déguisées en bagnard, en pilote de chasse, en religieuse, en prêtre… Ce que la très courte video ne montre ni ne mentionne, évidemment.

Le pouvoir des réseaux sociaux est aussi important que les recours sont limités et bien entendu, les accusateurs et tous ceux qui propagent rumeurs et mensonges sont abrités derrière un confortable anonymat

La vidéo est tout de suite très partagée, le soir même elle cumule un nombre significatif de vues, ce qui peut faire soupçonner qu’elle a été relayée par un site ou un réseau très militant en quête d’une indignation raciste à faire partager. Suite à ces premiers mensonges, les fausses informations s’accumulent, portant gravement atteinte à la réputation du restaurateur et de son établissement : Michael Taylor est accusé par exemple de frapper les clients de couleur, de consommer de la drogue durant le service, d’avoir forcé une de ses serveuses à se grimer pour humilier les clients noirs. Dommage, l’homme n’a pas de serveuses. Il est également accusé d’avoir organisé cette soirée costumée, ce qui est tout aussi faux. 

Aucun de ceux qui se déchaînent au nom de l’antiracisme sur les réseaux sociaux n’a mis les pieds dans son restaurant, ni ne s’est soucié de contrôler l’exactitude des informations diffusées. Pourtant, pour Michael Taylor les conséquences sont terribles. Alors que la période Covid a déstabilisé son activité, l’avenir du restaurant est compromis par cette affaire. Mais, pour lui, cela va au-delà de cela. « Être traité de raciste est blessant, dégradant. Quand on cuisine, c’est pour espérer faire plaisir aux gens, c’est une activité de partage. Quand cette dame est arrivée ainsi grimée, cela m’a interrogé. Je me suis souvenu de ce qui était arrivé à Antoine Griezmann. Mais la dame, qui était aussi la future mariée, m’a dit qu’elle était Martiniquaise, que ce n’était pas une black face, qu’elle voulait rendre ainsi hommage à sa grand-mère martiniquaise. J’ai quand même demandé à des clients, eux aussi Martiniquais mais n’appartenant pas au groupe si cela les dérangeait, mais cela ne les choquait pas. Ils voyaient que le groupe était venu faire la fête et qu’il n’y avait pas d’intention raciste. Quand une jeune fille noire est venue plus tard expliquer qu’elle trouvait ce maquillage insultant, j’ai demandé à la dame de bien vouloir le retirer. »

Google, monstre froid

Michael Taylor a cependant trouvé du soutien quand certaines associations se sont rendues compte du mauvais procès fait au restaurateur. D’abord auprès du représentant local de SOS Racisme, Cheikh Diaby ; ainsi qu’auprès d’une association martiniquaise. Le premier va organiser une réunion de sensibilisation autour du racisme le 27 juin et a décidé qu’elle se déroulerait symboliquement au Senza Nome. La seconde fait une soirée le 24 juin pour venir en aide au restaurateur. La presse locale a également raconté son histoire.

A relire: Antoine Griezmann n’est pas raciste, lui

Sa réputation comme celle de son restaurant ayant été atteinte, Michael Taylor doit également faire face à l’omerta de Google. L’épisode au cœur de la polémique remonte à il y a deux mois, mais l’entreprise est restée sourde à tous ses appels et laisse les calomnies et la diffamation se poursuivre, sans se sentir concernée ni intervenir. Elle s’en lave les mains. Pourtant la peur que ressent le restaurateur face à ces accusations mensongères n’est pas sans fondement. « Aujourd’hui il arrive que les gens se fassent tuer ou voient leur vie menacée pour un rien, un mauvais regard, une fausse accusation. Il y a des personnes qui viennent prendre des photos de mon établissement et me regardent comme une bête de foire ou avec mépris et colère. Maintenant j’ai une boule au ventre dès que les gens m’approchent. » Il est également surpris des répercussions qu’a cette histoire et de l’instrumentalisation qu’elle provoque : il a reçu des appels d’un reporter canadien, d’un journaliste de Belgique ou de numéros new-yorkais, tous très avides de traiter cette nouvelle affaire de racisme en France. Au vu de la couverture très locale de l’affaire, il se demande encore comment celle-ci a pu autant rayonner, si ce n’est par l’intermédiaire de réseaux militants.

Antiracisme dévoyé

Ce qui déclenche toute cette violence est bien l’accusation de blackface. Une des personnes participant à la soirée était déguisée en vierge Marie par exemple. Cela pourrait paraitre comme « blasphématoire » pour un catholique, mais là-dessus il n’a subi aucune cabale. En attendant, Michael Taylor va tous les jours au travail « avec la boule au ventre ». Il ne dort plus et voit son activité péricliter sans pouvoir vraiment se défendre. Le pouvoir des réseaux sociaux est aussi important que les recours sont limités et bien entendu, ses accusateurs et tous ceux qui propagent rumeurs et mensonges sont abrités derrière un confortable anonymat. Quant à pousser à la faillite une petite entreprise, les internautes militants s’en moquent. Leur cause, l’antiracisme, justifie tout : dans leur représentation du monde, désigner des coupables est plus important que se soucier de vérité. Il y a, chez certains militants que l’on peut qualifier de racialistes, un racisme parfaitement assumé. Pour eux, l’homme blanc est coupable, par nature – de naissance pourrait-on dire. On ne peut l’accuser à tort et il ne peut être victime. Cette attitude est même devenue le fonds de commerce de tous ceux qui prospèrent sur l’accusation de “racisme systémique”. Or cette instrumentalisation, qui justifie l’expression de la haine raciale, est en train de tuer l’antiracisme. Celui-ci était à l’origine un appel au dépassement, à la reconnaissance de l’égale dignité humaine de tous les hommes, au fait que les différences de couleur de peau n’engendraient pas de hiérarchies entre les hommes, ni un comportement ou une identité spécifique. Un homme se juge à ses actes et non à ses origines, c’est là le cœur de la culture humaniste.

Hélas pour certaines personnes, l’antiracisme est devenu une posture qui justifie la vengeance et fait de la quête d’égalité, une imposture. Il s’agit d’accumuler les preuves d’une France raciste où la couleur de peau serait sujet de moqueries et de violences et pour cela tout est bon. Le problème est que dans le cas de ce restaurateur, c’est bel et bien une injustice qui est commise sous couvert d’antiracisme. On ne peut d’ailleurs que saluer le courage du dirigeant de SOS Racisme qui a préféré la vérité au lynchage. Il a eu raison car ce type d’affaires affaiblit les causes qu’elle prétend défendre. 

Le racisme est un combat à recommencer éternellement tant l’hostilité et la rivalité entre groupes humains constitués est une constante de l’histoire, mais ce n’est certainement pas sur les réseaux sociaux que ces affaires peuvent se résoudre. Le lynchage en meute n’a rien à voir avec la justice et l’antiracisme n’a rien à gagner à ce type de scandales qui alimentent plus la haine raciale qu’ils ne servent la cause de l’égalité des hommes.



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Ancienne conseillère régionale PS d'Île de France et cofondatrice, avec Fatiha Boudjahlat, du mouvement citoyen Viv(r)e la République, Céline Pina est essayiste et chroniqueuse. Dernier essai: "Ces biens essentiels" (Bouquins, 2021)

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