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Un dernier au revoir à Philippe Mathot

Un mineur de 17 ans est en détention provisoire pour homicide, deux autres âgés de 14 et 18 ans sont également poursuivis


Un dernier au revoir à Philippe Mathot
D.R.

Ensauvagement. Dans la France orange mécanique des cités et des clans, des jeunes n’ont ni empathie ni sentiment de culpabilité. Philippe Mathot, ancien fleuriste de 72 ans, en a tragiquement fait l’expérience dans le Nord. Il a été battu à mort devant chez lui dans la nuit du 5 au 6 juillet.


Philippe Mathot a été enterré ce 19 juillet à Vieux-Condé (59). Il est très probable que ce nom ne vous dise rien. Philippe Mathot pourtant, même s’il n’était pas connu, n’était pas quelqu’un d’ordinaire. Là où il vivait, tout le monde le connaissait car il était un pilier de sa communauté. De ceux qui, tout en discrétion, rendent la vie meilleure autour d’eux.

Mort pour avoir réclamé que les voyous devant son domicile fassent moins de bruit

Sa mort n’aura pas été à l’image de sa vie. Il a été tabassé à mort par trois jeunes, à qui il avait simplement demandé de faire un peu moins de bruit. Le contraste est brutal entre la personnalité de la victime, dont chacun loue la gentillesse et la serviabilité, et la barbarie dont ont fait preuve ses agresseurs. S’acharnant sur un homme à terre, le rouant de coups de pieds dont beaucoup portés à la tête. C’est également la cause infime de ce qui a amené ce déchainement de violence qui choque. Ces jeunes donnent la mort pour un mauvais regard ou une demande de silence avec une désinvolture effrayante.

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Cette barbarie n’a rien de nouveau. L’hyperviolence de certains jeunes devient même un sujet de société. La sauvagerie dont ces jeunes font preuve est même parfaitement renseignée et connue. Maurice Berger, psychiatre qui s’est occupé d’enfants hyperviolents et qui constate l’augmentation de ce type d’agressions, explique que ce type de personnalité agressive ne fonctionne que dans l’impulsivité. L’autre n’existe pas à leurs yeux. Il n’est qu’un objet sur lequel on décharge sa tension et s’il s’avère être contrariant, il faut l’éliminer. Le psychiatre parle du nombre important de personnes qui, suite à un tabassage en règle, gardent des séquelles à vie, physiques ou cérébrales et dont les agresseurs n’écopent que de peines légères voire de sursis, comme si la vie ou la qualité de vie restante à leur victime, n’avait au fond que peu de valeur. Pas seulement à leurs propres yeux mais aussi aux yeux de la société.

Civilité et décivilisation

Maurice Berger a tracé le profil de ce type d’agresseur à partir de son expérience professionnelle et clinique dans le Centre d’Éducation Fermé où il travaille. Il se trouve que dans son centre, la grande majorité des mineurs est originaire du Maghreb, mais le pédopsychiatre précise que ce qui est déterminant dans le rapport à la violence n’est pas l’origine mais la structuration familiale : les garçons les plus violents viennent des familles qui ont un fonctionnement clanique. Dans certaines cultures, l’organisation familiale privilégie la forme nucléaire (père-mère-enfants), dans d’autres la famille c’est un assemblage plus vaste, un clan. La deuxième forme d’organisation a du mal à s’intégrer dans une communauté nationale, car elle essaie de mettre en avant les intérêts claniques sans se préoccuper des règles sociales et des lois. Dans des pays où la règle n’est pas intériorisée et où la loi n’est respectée que s’il y a une personne extérieure pour l’imposer et contraindre les individus, à l’absence d’intégration des normes répond une présence policière importante. Et une violence d’État endémique est acceptée, puisque la loi doit être imposée de l’extérieur. C’est le fameux discours que l’on entend souvent de la part de maghrébins choqués par ce que la France laisse faire à certains jeunes et qui disent : « En Algérie (au Maroc), cela ne se passerait pas comme cela, la police les materait et il y aurait moins de problèmes. » C’est peut-être vrai, mais cela ne correspond pas à notre forme de civilité qui passe par l’intériorisation de la norme et le recours en la force en dernier recours.

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Autre point, la famille clanique se construit contre la liberté individuelle et l’autonomie du sujet. Elle se pense comme un tout dont chaque membre est une partie. Si un des membres s’éloigne ou se met à penser différemment, il faut le faire revenir dans le rang. Alors que le but normal d’une famille est de donner assez de force et de confiance à un enfant pour qu’il puisse choisir sa vie, être indépendant et penser par lui-même. En revanche, dans la famille clanique, l’identité c’est avant tout l’appartenance au groupe. Les codes du groupe priment donc sur la loi extérieure. Pour ces jeunes il n’y a pas de relation à l’autre, mais de groupe à groupe. Si l’un deux est en difficulté dans une interaction, il rameute le groupe et attaque. Ces jeunes n’ont pas d’inhibition car ils n’ont pas de pensée. Ils sont dans l’action et la réaction. Celui qui n’appartient pas au groupe est déshumanisé. Il n’y a pas de rapport au bien ou au mal, mais à ce qui est bon ou mauvais pour le groupe. De ce fait, la vraie utilité de la sanction et de la prison c’est d’abord de soustraire l’individu à la logique du groupe, de lui faire prendre conscience de son individualité ; la deuxième fonction, c’est qu’en empêchant l’action et la pulsion, elle permet à certains jeunes de se mettre à penser.

Une jeunesse qui a perdu la tête

En attendant, ce qui est arrivé à Philippe Mathot a déjà été décrit par le psychiatre comme le mode d’action de cette jeunesse hyperviolente :  « des coups qui pleuvent sur la tête de la victime alors que la victime est déjà impuissante et au sol. Les agresseurs appellent cela ramollir une personne. Ils n’éprouvent ni empathie ni culpabilité, si bien que pour eux, frapper – voire tuer- ce n’est pas grave. » Ils sont restés à un stade embryonnaire de leur développement où seul le pulsionnel, le cerveau reptilien, les guide et celui-ci ne connait qu’une seule réponse à toutes les situations de frustration : la violence et l’élimination de la source de contrariété.

Si la presse a très peu repris l’histoire de la mort de Philippe Mathot, les réseaux, eux, ont fortement réagi. Beaucoup de personnes se sont indignées de ce que la mort d’un jeune défavorablement connu des services de police a suscité un hommage de l’Assemblée nationale et une prise de parole du président de la République, alors que le décès de ce vieil homme de 72 ans frappé par des jeunes ne suscite aucun hommage national.

Deux poids deux mesures

Cette émotion vient du contraste entre la bonne personne qu’il était et une mort aussi inattendue qu’imprévisible. Le jeune automobiliste, lui, était engagé dans un parcours de délinquance. Il ne méritait sans doute pas de mourir ainsi, mais il avait pris un chemin de vie dangereux qui l’exposait à cette éventualité entre conduite à grande vitesse de grosse cylindrée, culture de la rébellion face à la police et incursion dans le commerce de drogue. Les émeutes qui ont suivi cette mort ont été très mal vécues par beaucoup de Français et ceux-ci n’ont pas compris que les politiques leur imposent une émotion collective qu’ils ne ressentaient pas. Là, ils ressentent une grande proximité avec cette mort car pour eux c’est aujourd’hui le principal danger qui les guette ou qui parait guetter leurs enfants ou leurs parents au quotidien : faire une remarque anecdotique à certains jeunes et risquer le coup de couteau ou le tabassage à mort. Le risque de se faire tirer dessus par un policier n’est pas dans leur horizon, celui de se faire massacrer pour un regard mal placé, si. Et cela concerne tout le monde. Les habitants des quartiers ont également peur de ce genre de dérapage. Il n’en reste pas moins que, pendant que la plupart des Français s’identifiaient à Philippe Mathot, beaucoup de jeunes des quartiers, eux, se sont identifiés au jeune qui avait refusé d’obtempérer.

Autre point qui choque, la mobilisation communautariste et les émeutes suite à la mort du jeune homme de 17 ans ont été aussi des démonstrations de force. Même la représentation nationale et le président ont essayé de donner des gages aux émeutiers, quitte à piétiner toute décence. Mais, qui se lèvera et fera une minute de silence pour Philippe Mathot ? Ce deux poids deux mesures explique le sentiment d’abandon de trop de Français. Les émeutes leur ont montré qu’il y avait bien une ligne de fracture, une offensive séparatiste. Mais s’ils voient bien le Nous tribal, ethnique et religieux, le Nous de la Nation, en revanche, parait délétère, inexistant, désincarné. Finalement, avec les émeutes ils ont vu s’exprimer la logique de vengeance. Avec le décès de Philippe Mathot, ils se demandent si justice pourra être rendue.




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Ancienne conseillère régionale PS d'Île de France et cofondatrice, avec Fatiha Boudjahlat, du mouvement citoyen Viv(r)e la République, Céline Pina est essayiste et chroniqueuse. Dernier essai: "Ces biens essentiels" (Bouquins, 2021)

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