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Euro 2016 : un mois d’apéro géant


Euro 2016 : un mois d’apéro géant

J’aime bien le foot. C’est fluctuant au gré de mes amours, amis et emmerdes, mais à force de bonne volonté, je suis devenue capable d’apprécier un beau but et même un beau match. De plus, je suis assez tricolore et je n’ai pas envie de casser l’ambiance. Mais je vais la casser quand même. On me dira que les Israéliens s’en sont chargés avec le fiasco de la flottille qui a même chassé Roland Garros de la « une » durant 24 heures. En Israël, on devrait adorer le dieu du ballon rond : quelques jours à tenir dans l’opprobre général et on ne parlera plus que de la Coupe du monde.

Causer football dans l’atmosphère survoltée créée par l’échec sanglant de l’armée israélienne peut sembler dérisoire. Mais il est difficile de penser dans toute cette émotion, difficile de ne pas céder à la tentation de l’appartenance face à la réprobation d’Israël, surtout quand elle semble si justifiée. La sémantique est implacable : que dire face aux cadavres de neuf militants humanitaires, qu’ils étaient des combattants de la guerre des images ? Que les Israéliens « ne l’ont pas fait exprès » – ce qui mériterait d’ailleurs d’être rappelé ? À entendre certains commentaires, on pourrait presque penser que Netanyahu, ivre de puissance, avait décidé de tuer pour l’exemple – « pour démontrer leur force et jouir de leur impunité », selon Elias Sanbar.

Faute d’avoir une contribution intéressante ou encourageante à faire à la condamnation planétaire, autant se réfugier dans le dérisoire qui regagnera bientôt ses droits quand un nouveau clou chassera celui-là. En attendant de nouvelles révélations sur le foie de Johnny, le football s’impose. D’ailleurs, le charivari diplomatique n’a pas empêché Nicolas Sarkozy d’ouvrir le dîner du sommet franco-africain, dîner « élargi » à tous ceux qui ne peuvent pas prétendre au titre d’ami (terme désignant un dirigeant susceptible de participer à la vie politique française en finançant ses partis), par un toast à la Coupe du monde. Si le président ose, on ne va pas se gêner.

Patriotisme de fusion et d’effusion
J’ai donc été atterrée par la décision de la FIFA de confier l’organisation de l’Euro 2016 à la France et plus atterrée encore par l’enthousiasme délirant que cette décision a déclenché. À lire certains commentaires, ce serait la plus belle chose qui nous soit arrivée depuis longtemps, excusez du peu. Même Martine Aubry, tout en critiquant l’opération de com présidentielle, y est allée de son petit couplet sentimental et patriotique. « Partager des émotions ensemble et réunir les Français est finalement une bonne identité nationale », a-t-elle déclaré. Bon, j’aime bien le foot mais si c’est la seule chose qui nous rassemble, je vais me sentir un peu exilée dans mon pays. Ce patriotisme de fusion et d’effusion n’est pas le mien.

Tout d’abord, j’ai du mal à considérer que la promesse d’un mois d’apéros géants soit une bonne nouvelle. Les touristes en grappes ont déjà remplacé les promeneurs et les voyageurs dans nos villes, et il faudrait se réjouir à l’idée que celles-ci soient livrées aux supporteurs ? Dans la vraie vie, la fête du sport, ce sera des braillards avinés et éventuellement violents. Du reste, la mobilisation policière annoncée montre que les organisateurs de ces festivités savent à quoi nous devons nous attendre. Ce sera la fête du commerce, peut-être faut-il s’en féliciter, mais il n’y a pas de quoi mobiliser la rhétorique de l’amour, de la fraternité et du lien social.

Sarkozy promet des Jeux ? Qu’au moins il fournisse le pain !
On m’objectera les valeurs du sport. Admettons qu’elles existent dans le sport qu’on pratique avec ses copains ou sa famille, dans son club de Trifouilly les Oies ou dans son équipe de quatorzième division. On les cherche en vain dans le sport de haut niveau, devenu à la fois un spectacle, un business et une guerre et cumulant les défauts des trois catégories. Nicolas Sarkozy qui a cru bon de sacrifier une matinée pour cette affaire a évoqué le fair play : sans doute faisait-il allusion à la façon élégante dont la France s’est qualifiée pour la Coupe du monde. En fait de lien social, on observe surtout l’idolâtrie de joueurs surpayés qui semblent se croire d’une autre étoffe que le commun des mortels quand ils ne sont plus que des people comme les autres. Quant à la fraternité, elle est omniprésente, que l’on songe à ces Français célébrant la victoire algérienne en cassant des vitrines, voire en brûlant un drapeau, à ces supporteurs d’un même club prêts à s’entretuer au sens propre, ou aux invectives qui accueillent toute équipe d’une ville jouant dans le stade d’une autre – conception très singulière des règles de l’hospitalité. Dans la grande famille du football, tous les hommes ne sont pas frères.

La prestation de Nicolas Sarkozy à Genève a donc de quoi taper sur les nerfs. Il est déplaisant que le président compte sur le football pour regagner en popularité et encore plus déplaisant qu’il y parvienne. Ce que cela dit de nous n’est pas très engageant. Si médias et classe politique rivalisent dans cette hystérie collective, c’est dans un seul but, celui de nous plaire. De capter notre vote ou notre temps de cerveau disponible. « Nous pensons, a déclaré Sarkozy, que le sport est une réponse à la crise. » On a peu commenté, sinon pour l’approuver, cette ahurissante formule. On pensait qu’il avait été élu pour faire de la politique. Il nous promet des Jeux ? Qu’au moins, il fournisse le pain ! Et qu’on arrête de se raconter des histoires. Un attroupement de gens qui ne se connaissent pas n’est pas un apéro entre copains. Et une foule ne fait pas un peuple. Même quand elle gagne.



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Fondatrice et directrice de la rédaction de Causeur. Journaliste, elle est chroniqueuse sur CNews, Sud Radio... Auparavant, Elisabeth Lévy a notamment collaboré à Marianne, au Figaro Magazine, à France Culture et aux émissions de télévision de Franz-Olivier Giesbert (France 2). Elle est l’auteur de plusieurs essais, dont le dernier "Les rien-pensants" (Cerf), est sorti en 2017.

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