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L’interview de «Moi, je» président: beaucoup de pages pour rien

Emmanuel Macron fait sa rentrée dans le magazine "Le Point"


L’interview de «Moi, je» président: beaucoup de pages pour rien
Bormes les mimosas, 17 août 2023 © PHILIPPE MAGONI/SIPA

« La grande explication », voilà le titre du nouvel opus de « Moi, je », président qui déploie, sur 16 pages d’interview dans le magazine Le Point, la vision de son action ! Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’Emmanuel Macron n’est pas guetté par l’excès d’humilité. Céline Pina revient sur les annonces peu convaincantes de l’Élysée. Concernant les difficultés de l’école, elles semblent insurmontables tant les niveaux de l’immigration non assimilée et des menaces islamistes sont élevés.


Après la « grande confession », livrée déjà au Point en avril 2022, et avant la « grande consternation » qui pourrait conduire au « grand déménagement » de 2027, notre président prend le temps d’expliquer aux peines-à-comprendre que nous sommes, à quel point il enchaîne les succès, prend à bras-le-corps les problèmes et domine la situation. De ce fait, à la sortie de ce très long et peu passionnant exercice d’autosatisfaction, on se demande si on vit bien dans le même pays et à la même époque. Une fois de plus, le président parait confondre exercice du pouvoir et démonstration d’aisance dans un grand oral médiatique.

Amphigouri du verbe, pauvreté des annonces

Le plus amusant est peut-être cet amphigouri du langage où, plus les mots visent haut, plus leur traduction en actes rate sa cible. Ainsi, le cœur de l’interview est de donner un contenu à « l’initiative politique d’ampleur » annoncée par le président le 2 août dans le Figaro magazine. Eh bien, la réponse consiste en un énième comité Théodule. Il s’agit donc de proposer, je cite, « aux forces politiques représentées dans nos assemblées d’essayer d’agir ensemble, c’est pourquoi je veux les réunir sur la situation internationale et ses conséquences sur la France et sur les nuits d’émeutes que nous avons vécues ». 

On ne va pas reprocher au président de discuter avec l’ensemble des groupes politiques de l’Assemblée nationale, mais le moins que l’on puisse dire est que cette posture donne l’impression qu’il est dépourvu de toute ligne et de toute capacité d’action sur ces questions et qu’il cherche à diluer ses responsabilités en mettant en scène l’incapacité de faire naitre un processus d’union nationale. 

Celui-ci étant voué à l’échec, la mise en scène lui permettra de dénoncer l’égoïsme et la courte vue de ses adversaires, et de faire passer son incapacité à se doter d’une ligne claire pour la rançon du manque d’engagement des partis concurrents. Une ficelle usée mais toujours utile en politique. Le problème c’est que l’on ne crée pas de dynamique politique en l’absence de projet. Et force est de constater qu’au terme des 16 pages, on ne sait toujours pas où le président veut conduire la France et encore moins comment.

Des paroles fortes sur l’immigration ?

De cette longue interview, tout n’est pas à jeter. Le problème, c’est qu’Emmanuel Macron peut dire des choses très fortes en interview pour poser un acte juste après qui dément tous ses mots. Le deuxième problème est qu’il n’est pas d’une grande honnêteté intellectuelle et que certains exemples qu’il donne sont tout simplement faux.

Mais revenons au positif. Le président durcit le ton sur l’immigration, expliquant « qu’il faut réduire significativement l’immigration », mais il dit tout aussi clairement que « les gens qui sont de plus en plus sécession, par rapport à nos valeurs sont souvent nés chez nous. » Tout cela peut paraitre incohérent puisque notre principal problème est le refus d’assimilation d’une partie de la jeunesse d’origine immigrée, pour qui les papiers français ne traduisent pas l’adhésion à un contrat social et à une civilisation. Donc derrière ce qui pourrait être vu comme une parole forte, Emmanuel Macron ne va pas au bout du raisonnement. En effet, si dans ce même paragraphe, il explique bien les défaillances de l’école en matière de transmission pour expliquer en partie l’ensauvagement, il ne regarde pas en face le fait que nos valeurs universalistes sont également contestées par une force organisée, un islam en pleine renaissance, aux mains de fondamentalistes et de politiques, qui exercent une pression identitaire sur la jeunesse des banlieues. La violence et le pillage sont justifiés par une représentation de la France comme colonialiste, dont il est juste de se venger en piétinant ses lois et ses principes et en se livrant au pillage. Or ces représentations ne viennent pas de nulle part, elles sont le fruit d’un travail politique et sont aujourd’hui relayées par l’extrême-gauche. Toutes les immigrations ne posent pas les mêmes problèmes, car toutes ne font pas l’objet d’un projet communautariste comme le porte l’islamisme. 

Refuser de le regarder en face, c’est laisser une partie de la population musulmane à la merci des semeurs de radicalité, alors qu’elle est parfois venue en France pour les fuir. L’affaire Médine illustre la réalité de cette tension.

L’évocation de la nécessité d’une recivilisation 

Autre point positif, le fait d’aborder la question de la décivilisation. Après les razzias et violences du début de l’été, il eut été impossible de passer ce phénomène sous silence. Le président le lie bien à un problème d’intégration mais évite de s’étendre sur le sujet, alors que pour résoudre cette question il faudrait déjà oser l’aborder de front. 

Emmanuel Macron met le doigt sur quelque chose de juste quand il parle de relation « qui n’est pas réglée entre une partie de la jeunesse et l’autorité ». Le problème reste que ce diagnostic n’est suivi d’aucune proposition forte. Quant au satisfecit que s’accorde le locataire de l’Élysée sur la gestion des émeutes, il est audible, de même que la partie sur les embauches réalisées ou les augmentations de budget. Là où le bât blesse et où la communication est très manipulatrice, c’est lorsque le président cite des chiffres mirobolants sur les interpellations et les déferrements, en oubliant soigneusement de donner le chiffre du nombre de condamnations. 

De la même façon, on peut se réjouir de la prise de conscience du fait que l’histoire se comprend mieux quand elle est enseignée chronologiquement. Un peu de bon sens en la matière fait toujours du bien. On peut également se féliciter de ce que la formation des enseignants soit renforcée. Mais une telle phrase fleure quand même bon le bla bla. On dit aux gens ce qu’ils ont envie d’entendre mais on agit a minima. Alors que s’il avait évoqué par exemple une re-création de l’Ecole normale, cela voudrait dire que le problème était vraiment pris à bras-le-corps.

Dans le même temps, l’interview achoppe sur de dommageables mensonges. Par exemple, concernant la santé, quand Emmanuel Macron se gargarise d’avoir supprimé le numérus clausus. C’est faux. Il a juste été relevé de 15%, ce qui veut dire que nous atteignons le même nombre de médecins en formation que dans les années 70, où les Français étaient 15 millions de moins. 

Des paroles sur l’école peu convaincantes

Tout n’est pas à jeter dans l’extrait de l’interview sur l’école, mais il y a un moment qui exprime un tel déni du réel que cela rejaillit sur la consistance même de l’ensemble et abime la crédibilité de la parole présidentielle. Les journalistes du Point demandent à Emmanuel Macron s’il comprend que sa logique puisse être difficile à suivre quand il passe de Jean-Michel Blanquer à Pap N’Diaye à l’Education nationale.

Bien entendu, le président nie. Il faut dire que dans sa réponse, on comprend que les deux n’étaient que des exécutants interchangeables, simplement là pour faire appliquer sa politique. Le problème c’est que ce n’est pas le cas et que la dimension symbolique que portait ce changement n’a pas échappé aux islamistes, pour qui l’école est une place à conquérir…

Les islamistes testent la résistance de l’école

Le Figaro raconte, dans un article paru jeudi, qu’une note des services de l’État montre l’explosion des atteintes à la laïcité à l’école à travers notamment l’augmentation du port de signes et vêtements religieux. Des chiffres ? De septembre à novembre 2021, 91 signalements étaient remontés au ministère ; d’avril à juillet 2023 ce sont 923 signalements qui ont été relevés. Au-delà de ce phénomène, ce sont les atteintes à la laïcité qui augmentent de manière inquiétante; 4710 atteintes ont été relevées pour l’année 2022/2023, contre 2167 l’année précédente. Or, on sait parfaitement que ces provocations ne sont pas des mouvements spontanés. Les réseaux islamistes, les personnalités influencées par eux ont relayé mots d’ordre et vidéos. 

Ils ont choisi de mener cette offensive car ils savaient que Pap Ndiaye ne saurait pas se positionner. Le ministre déchu épousait en partie le discours de persécution et le discours identitaire de ces personnes et vient des rangs des militants dits décoloniaux. Le ministre avait d’ailleurs réagi comme les islamistes s’y attendaient : il a été ambigu et a laissé les responsables d’établissement en première ligne, comme lors de l’affaire du foulard en 89. Les mêmes lâchetés provoquant les mêmes évolutions, les provocations ont augmenté, les responsables d’établissement se sont sentis abandonnés, l’autorité de l’État a reculé.

Un président mal à l’aise sur la laïcité

D’ailleurs, lorsque Etienne Gernelle, Mathilde Siraud et Valérie Toranian lui font remarquer qu’il évoque peu la laïcité, Emmanuel Macron la noie au milieu de référentiels divers sans voir à quel point celle-ci est au cœur de la contestation de l’école. Pour les islamistes, l’idée de liberté de penser, de liberté de conscience, l’idée que ce sont les hommes qui en faisant usage de la raison créent et mettent en œuvre la loi est insupportable. Ils attaquent la laïcité en tant que pilier de la liberté de conscience, auxquels ils veulent substituer la soumission au dogme et l’interdiction du blasphème. On est au cœur du combat de décivilisation, mais jamais notre président ne lèvera les yeux sur cette réalité. À sa décharge, la faiblesse de son pouvoir et son absence de majorité lui font craindre qu’en abordant ces sujets sans moyen d’action réel, il ne fragilise la situation de l’ensemble des musulmans sans réussir à réduire pour autant l’influence des islamistes.

L’école, une véritable priorité pour le président ?

On peut douter de son engagement pour une école favorisant le redémarrage de l’ascenseur social. On a certes eu droit à quelques annonces rationnelles, sur le fait que certaines épreuves du bac ont lieu tellement tôt que cela ne fait plus sens, sur le fait que le mois de juin devienne un mois de garderie, sur le fait d’étendre la politique de soutien scolaire… Le problème, c’est que dans le même temps, le manque d’attractivité du métier d’enseignant n’est pas abordé. Le locataire de l’Elysée fait comme s’il suffisait de le vouloir pour que chaque élève ait la garantie d’avoir ses heures d’enseignement effectuées ! Or c’est loin d’être le cas et on ne voit pas comment avec des concours attirant moins de candidats que de postes offerts, on va résoudre le problème… Mais dans le monde merveilleux du président, le « yaka faukon » semble être devenu une annonce politique sérieuse.

Rien de bien consistant n’est dit non plus sur la question de l’autorité à l’école, sur les classes de niveaux, sur la possibilité d’expulser les éléments perturbateurs, sur la volonté de remettre l’exigence au cœur de l’enseignement pour tirer tout le monde vers le haut… À la place, on a droit à une phrase hallucinante où le président nous explique que dans l’école revisitée, les élèves pourront être debout, assis ou à genoux pendant la classe et cela nous est présenté comme « un autre rapport aux savoirs ». C’est aussi drôle qu’indigent mais ce n’est pas très rassurant pour l’avenir.

Emmanuel Macron évite aussi les sujets qui fâchent en faisant semblant de les aborder. Il dit bien que l’accès à l’université sans limite n’est pas une chose positive, mais détourne aussitôt le tir en se penchant sur la question des filières professionnelles. L’évitement de la question de la sélection à l’université ou de la création d’un bac plus sélectif est une erreur. Mais là aussi, la matière est inflammable, surtout quand on a un électorat de retraités et que la jeunesse la plus active sur ces questions est aux mains d’une extrême-gauche en quête de chaos social.

Une interview qui ne devrait pas relever l’image d’Emmanuel Macron

Il y a tellement de moments d’autosatisfaction pure qu’il est difficile de partager, voire de comprendre où va vraiment le président Macron. Pire, nous avons le sentiment d’une perte de sens des réalités de celui qui nous gouverne. C’est un peu Tartarin de Tarascon en mode 2.0 et avec cravate ! Ce personnage hâbleur, qui se vantait de succès qu’il n’avait pas remportés, faisait néanmoins de l’effet sur son entourage. 

Espérons que ce soit le cas pour Emmanuel Macron car la longueur de l’interview a quand même du mal à masquer l’absence de vision, de colonne vertébrale et de perspective d’avenir. Encore un coup pour rien.




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Ancienne conseillère régionale PS d'Île de France et cofondatrice, avec Fatiha Boudjahlat, du mouvement citoyen Viv(r)e la République, Céline Pina est essayiste et chroniqueuse. Dernier essai: "Ces biens essentiels" (Bouquins, 2021)

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