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58% des citoyens approuvent la démarche des militaires

La France entre apocalypse et ridicule


58% des citoyens approuvent la démarche des militaires
Emmanuel Macron passe en revue des troupes pendant une cérémonie militaire avant la présentation de ses vœux aux militaires, Brest, janvier 2021 © ELIOT BLONDET-POOL/SIPA Numéro de reportage : 01000638_000037

La tribune des militaires publiée le 21 avril continue à faire parler d’elle. Philippe Bilger livre son analyse.


La France entre apocalypse et ridicule ? Il n’est pas interdit en effet de formuler cette interrogation à considérer la tonalité générale de ces dernières semaines et en particulier l’épisode de la lettre ouverte au président de la République de la part de plus d’une centaine de militaires en activité ou à la retraite, rédigée le 13 avril et publiée le 21 avril dans Valeurs actuelles (qui n’est pas un hebdomadaire d’extrême droite, mais d’inspiration conservatrice). D’abord l’apocalypse ou au moins l’étrange et amère volupté avec laquelle on la prévoit, on la décrit et ou même on la constaterait déjà dans notre réalité présente. En gros, ce pessimisme extrême pourrait se résumer par cette expression familière que « tout est foutu » et qu’il n’y a plus aucun espoir si ce pouvoir garde la main. Rien ne trouve grâce aux yeux de ses contempteurs paroxystiques dont les analyses sont d’autant plus impressionnantes qu’elles émanent de personnalités fulgurantes parfois et talentueuses, ou d’une candidate dont plus personne ne nie les chances sérieuses de victoire en 2022 – ce n’est pas mon point de vue – et qui devrait donc être combattue de manière politique et non avec ridicule : j’y reviendrai.

Résister à un naufrage programmé

Ces personnalités auxquelles je fais allusion sont notamment Philippe de Villiers, Eric Zemmour, Robert Ménard et sur un autre registre Michel Onfray. Je les écoute et je les lis et pour être franc, face à l’état de la France au quotidien, du délitement de l’autorité et d’une insécurité s’amplifiant gravement et se renforçant avec sa relative impunité, j’ai la conviction que ces Cassandre peuvent n’avoir pas totalement tort mais en même temps l’intuition qu’ils vont trop loin, que le désastre n’est pas encore sûr et qu’une France à la fois restaurée et apaisée n’est pas inconcevable.

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Je veux croire que l’apocalypse est la facilité indignée que s’octroient certains esprits brillants persuadés qu’une globalité absolument négative pour aujourd’hui sera forcément la possibilité du salut pour demain. J’ai conscience qu’il y a du volontarisme dans ma résolution de résister à la programmation d’un naufrage qui, à bien y réfléchir, rendrait vaine toute action politique, sociale, judiciaire, culturelle et, au sens large, démocratique. Prenons l’exemple du projet de loi sur la sécurité intérieure et contre le terrorisme. Il va s’articuler sur les lois de 2015 et de 2017 mais en ajoutant des dispositions pour repérer, grâce aux algorithmes, des signaux précoces de dangerosité et de radicalisation sur les réseaux sociaux. Ce ne sera sans doute pas l’arme décisive mais je préfère ne pas la juger négligeable contrairement à Philippe de Villiers qui y voit la mise en place de moins en moins insidieuse d’une société totalitaire.

Le ridicule peut tuer

Pourtant, si l’apocalypse est rien moins que certaine, ce pouvoir semble tout faire pour la rendre plausible et faciliter la tâche de ses adversaires, et le premier d’entre eux, le Rassemblement national. Et c’est le ridicule dont manifestement il n’a pas le sens. Je n’ai pas envie de ressasser tel un mantra ce que l’esprit public a fini par accepter comme une évidence. Cette présidence et ce gouvernement sont trop faibles sur le plan régalien, trop empêtrés dans le « en même temps » – valable pour la pensée, il est nul pour l’action – pour susciter l’adhésion, autre chose qu’une révolte lassée à force de devoir se manifester chaque jour. La démonstration la plus forte, sans paradoxe, de cette inertie, de cette impuissance réside non seulement dans la surabondance du verbe mais dans la multiplication des lois ayant peu ou prou le même objet. C’est le signe éclatant d’un pouvoir dont la vigueur et l’autorité sont trop infirmes pour se suffire à elles-mêmes. Mais qui, par compensation, hypertrophie ses réactions face aux critiques, militaires ou autres, qui le mettent en cause et incriminent, avec une raideur sans nuance, ce qui crève les yeux de chaque citoyen dans notre République : il y a des parties de France qui cherchent à échapper à la France et à sa légitime emprise et qui parfois y parviennent.

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Le délitement, la déliquescence de l’ordre, l’allégresse sûre de son fait avec laquelle on offense, on attaque, on brûle, on blesse ou on tue tous ceux qui de près ou de loin relèvent de la France officielle et sont censés la protéger, le sentiment qu’il n’est pas de jours et de lieux qui ne sollicitent notre indignation citoyenne (Viry-Châtillon, Tourcoing, Rambouillet, Lille, Bagnolet par exemple) constituent autant de déplorables données qui auraient dû imposer un autre regard moins offusqué, moins condescendant sur la lettre ouverte des généraux et des militaires. Ils ne fomentent pas un coup d’État, mais font référence à l’article 36 de la Constitution sur l’état de siège. Ils ont dénoncé ce que le gouvernement connaît mais qu’il ne peut pas valider sans se condamner lui-même.

58% des Français soutiennent les militaires

Alors, comme on pouvait s’y attendre, 58% des Français approuvent cette lettre ouverte (Harris Interactive/ LCI), davantage encore la réalité d’un délitement, mais la ministre des Armées a décidé de faire traduire devant un conseil militaire 18 militaires d’active signataires qui vont risquer la radiation ou la mise à la retraite d’office. C’est le signe non pas d’une force mais d’une peur. Les messagers paieront le caractère dévastateur de leur message. Le tocsin sera puni.

Le ministre de la Défense Florence Parly, 20 avril 2021 © NICOLAS MESSYASZ/SIPA Numéro de reportage : 01015237_000028

Il est vrai que le pouvoir militaire (de Pierre de Villiers à tous les signataires de cette lettre, le chef d’Etat-Major Lecointre ne pouvant évidemment que le nier) n’a jamais eu en haute estime le président de la République alors que ses prédécesseurs sur ce plan n’en ont jamais manqué. Comme si Emmanuel Macron n’avait pas assez de densité et de crédibilité pour s’imposer et lui en imposer. Le RN, comme il est de bonne guerre – que l’on juge son exploitation immédiate de la lettre maladroite ou non – s’est engouffré dans cette brèche. Le comble est que je suis persuadé que la manière d’attaquer Marine Le Pen et de pourfendre les militaires en les méprisant comme s’ils ne représentaient rien – aujourd’hui, 15 000 signataires – a fait inéluctablement monter le RN et sa candidate. À se demander si le pouvoir a conscience de ce qu’il dit et fait, de sa communication absurde, du décalage absolu entre ses ridicules dénonciations et la vérité rude et argumentée qu’il devrait opposer au projet du RN. Il n’y a vraiment pas de quoi rire, même si Jean-Luc Mélenchon saisissant le procureur de la République pour que les « factieux » soient sanctionnés, mérite un peu d’ironie si on se souvient de sa prestation si peu républicaine lors de la perquisition à LFI.

Mépriser l’électorat de Marine Le Pen ne sera pas sans conséquences

Mais tout le reste est effarant : milice, putsch, sédition, etc. de la part du président de la République (selon Le Canard enchaîné) et de certains de ses ministres si mal inspirés sur cette lettre et sur le RN : d’abord Florence Parly, Gérald Darmanin, Marlène Schiappa et l’inévitable Éric Dupond-Moretti entre autres. La sociologie de l’électorat lepéniste rend totalement stériles les dénonciations outrancières à l’encontre d’un parti solidement installé dans l’espace républicain et qui se caractérise par le poids des catégories populaires et peu diplômées (avec en particulier un vote dominant dans les âges intermédiaires 25-64 ans et un retard comblé dans l’électorat féminin). Peut-on croire que cette adhésion au RN sera éradiquée par ces stigmatisations ? Bien sûr que non. Ces dérives de la communication gouvernementale sont d’autant plus malfaisantes qu’elles s’attachent à une cause qui sera renforcée dans son espérance de victoire. Mépriser Marine Le Pen et la part importante du peuple qui la soutient est une faute démocratique dont les effets seront à imputer au débit de ce pouvoir qui s’obstine à être de plus en plus faible dans le domaine d’où son opposant principal tire sa constante avancée. J’ose espérer qu’entre les déclinistes sans nuance et sans espoir d’aujourd’hui et les idiots utiles du RN, une autre voie existe, une embellie est possible.



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Magistrat honoraire, président de l'Institut de la parole, chroniqueur à CNews et à Sud Radio.

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