Accueil Politique Un éternel adolescent?

Un éternel adolescent?


Un éternel adolescent?
Narcisse (détail de tableau) de John William Waterhouse, 1903, Walker Art Gallery, Liverpool. DR.

Sous des dehors résolus, c’était un homme fragile. Dans les cérémonies militaires, il lui arrivait de prendre un air marmoréen qui n’impressionnait personne. En fait, il était perpétuellement indécis, cachant ses éternelles hésitations sous une apparence de fermeté.

Son drame est qu’il n’avait pas confiance en lui. Et cela venait de l’enfance et peut-être plus encore de son adolescence. Là, il était tombé au pouvoir d’une femme énergique et intelligente dont il s’était épris ou plutôt qui l’avait pris sous son aile. Et depuis, il tentait tous les jours de se persuader qu’il dominait la situation. Mais il ne dominait rien du tout, même s’il s’efforçait de façon pathétique de le faire croire.

Il occupait une position sociale déterminante, acquise au gré de circonstances qui l’avaient poussé en avant. Son ambition personnelle avait joué aussi, convaincu comme tant d’hommes que le moment était venu de s’affirmer. Mais, maintenant que le hasard l’avait hissé à un niveau auquel il n’aurait jamais dû parvenir, abandonné dans un environnement hostile, il lui restait à convaincre tous ceux qui l’avaient porté au pouvoir…

Se faisait-il illusion à lui-même ? Parfois oui, lorsque, pris par la magie du verbe, il formulait de belles envolées lyriques qui lui donnaient l’impression de peser sur le cours des choses. Car il avait le sens du rythme à défaut d’avoir celui de l’action et il était irrité de constater que l’effet de ses discours n’était pas à la hauteur de ses espérances. Pourquoi ? Sans doute parce que, perdu dans ses illusions, il avait du mal à saisir son infirmité. Donc il s’entourait mal, n’ayant pas en lui l’ascendance naturelle qui lui aurait permis de s’imposer à des gens de caractère.

A lire aussi, Cyril Bennasar: Rocket to Russia

Oui, c’était bien cela : il manquait de ce don transmis dès la naissance à ceux que le destin avait choisis pour résister aux pressions et aux malheurs. Du coup et pour mieux affirmer une autorité dont il redoutait sans cesse qu’elle lui échappe, il se dispersait, voulant s’occuper de tout par crainte de la concurrence, faisant preuve sur les petits comme sur les grands sujets d’une assurance dérisoire, mais qui le rassurait.

Tout un pays dépérissait autour de lui, asphyxié par ses prises de positions impromptues et ses sautes d’humeur, ôtant ainsi aux meilleurs le droit et l’envie d’exister par eux-mêmes. À l’étranger, il se pensait compris, mais sous un vernis de politesse, il était tenu en piètre estime, car les uns et les autres entendaient ses longs discours avec une impatience croissante.

Pourtant, il était intelligent et là était bien le drame. Assez pour mesurer la force de ses meilleurs adversaires, mais pas assez lucide pour se juger lui-même, il cherchait par des raisonnements tortueux, à se convaincre qu’il avait raison, envers et contre tous ; que céder un pouce de terrain, devant une contradiction, même profitable ou une évidence implacable, était avouer sa faiblesse et il avançait donc de défaite en catastrophe, mais toujours certain de sa supériorité.

Le pire qu’il ne pouvait s’avouer sans frémir, c’est qu’il était petit – n’est pas de Gaulle qui veut -, peinant à s’imposer par cette grande taille qui impressionne naturellement les hommes comme les femmes. De cela, il souffrait en silence. Alors, il bombait le torse, redressait la tête et crispait les mâchoires, mais il ne subjuguait que lui-même…

Ainsi, méprisé par la plupart des esprits de qualité, allait-il, enclin à penser qu’il était le seul à dominer un rôle trop grand pour lui. Tout autour naviguait le peuple des courtisans, toujours prompts à saisir les miettes confortables du pouvoir, attentifs à tenir bon sur des positions acquises à base de pitoyables soumissions, peu à peu gagnés par la certitude de bénéficier d’une position devenue inébranlable à force d’habitude…

Bref, à s’écouter parler sans trêve, muré dans une autosatisfaction illusoire, l’on ne pouvait que penser à la citation d’André Gide dans Les Faux Monnayeurs :

« Il ne s’oublie jamais dans ce qu’il éprouve de sorte quil néprouve jamais rien de grand… »

C’était peut-être là le drame d’un petit homme qui n’était à bien y réfléchir, qu’un homme petit…

Les faux-monnayeurs

Price: 9,40 €

107 used & new available from 1,12 €

Entre deux mondes

Price: 15,00 €

12 used & new available from 2,77 €



Vous venez de lire un article en accès libre.
Causeur ne vit que par ses lecteurs, c’est la seule garantie de son indépendance.
Pour nous soutenir, achetez Causeur en kiosque ou abonnez-vous !

Article précédent Le viol verbal
Article suivant Constitutionnalisation de l’IVG: Don Quichotte au pays du droit des femmes
Gilles Cosson vient de publier "Entre deux mondes", Max Chaleil Editions de Paris

RÉAGISSEZ À CET ARTICLE

Le système de commentaires sur Causeur.fr évolue : nous vous invitons à créer ci-dessous un nouveau compte Disqus si vous n'en avez pas encore.
Une tenue correcte est exigée. Soyez courtois et évitez le hors sujet.
Notre charte de modération