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Des Bleus dans les yeux: victoire et désespoir…

Protocole et "débordements" ont un peu terni la fête qui se voulait populaire


Des Bleus dans les yeux: victoire et désespoir…
Le bus de l'équipe de France descend les Champs-Elysées, plus près des policiers que des supporters, 16 juillet 2018. SIPA. 00868231_000035

La folie douce qui a gagné les Français depuis la victoire des Bleus ne cachera pas longtemps de douloureuses fractures. La sphère médiatico-politique est tiraillée entre l’envie de tirer parti du formidable résultat sportif et la volonté de ne pas en faire trop… D’autant que la délinquance endémique a une nouvelle fois troublé la fête.


Ainsi, depuis dimanche soir, tout va pour le mieux dans la meilleure des France ! « Les Bleus sont entrés dans l’histoire » par ici. « Rien ne sera plus comme avant » par là. La presse nationale se repaît de ces fadaises depuis 48 heures. Mais on ne nous fera pas le même coup qu’en 1998 : au diable les récupérations politiques ! N’est-ce pas ? Et c’est vrai, on est d’abord tenté d’adhérer à l’optimisme de Natacha Polony quand elle affirme que « les jours de gloire ne se dédaignent pas, quels qu’ils soient ».

L’unité retrouvée, vraiment ?

Depuis dimanche, les journalistes n’ont de cesse de rappeler la baraka d’Emmanuel Macron. Sa cote de popularité devrait en toute logique remonter après ce Mondial. A écouter nos éditorialistes, c’est formidable pour la France. Ah ! Les bains délicieux à venir pour savourer tout ça dans la piscine hors-sol de Brégançon ! En bon chef croquignolesque de notre startup nation, Emmanuel Macron avait déclaré aux joueurs que la compétition ne serait réussie que si la France allait jusqu’au bout. La coupe sinon rien. Euphorie des télés : le pari est gagné. La pression « de dingue » du président et l’exigence de Deschamps ont payé !

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On s’extasie devant les embrassades entre les joueurs et Macron (sans oublier la présidente de la Croatie, sosie officiel de Jeane Manson). Toutefois, il demeure pour certains mauvais coucheurs une difficulté à se réjouir complètement. La lecture des journaux entretient leur malaise. D’une manière plus ou moins sibylline, les gros titres nous apprennent que l’équipe de France signerait l’unité retrouvée d’un merveilleux peuple multiculturel. Les gros sabots (à crampons) de 1998 n’ont pas été chaussés par les politiques, mais les médias de la Macronie semblent tentés. L’impayable Lilian Thuram n’a-t-il pas successivement été invité, hier soir, à commenter le retour des Bleus en France sur M6 puis TF1 ? La France « black blanc beur », ce cadeau empoisonné que la Chiraquie a laissé à nos footeux en 1998 ? Notre sphère politico-médiatique y va à présent piano piano… Sans avoir complètement changé sa partition, l’évoquer semble du plus mauvais goût 20 ans plus tard. Le « suicide français » vient cette fois s’immiscer dans notre petite parenthèse de bonheur… Pendant des heures d’un « décryptage » sociologique plus ou moins appuyé à l’antenne, tout ce petit cirque minimise soigneusement les graves débordements qui ont émaillé certains rassemblements le soir de la victoire de Griezmann, Mbappé et leurs amis.

Identité caricaturée

La pression que l’équipe de France a eue sur les épaules est à la mesure de l’écrasant poids de la question identitaire française. Craignant de se faire complètement voler la vedette par son ami Mbappé, Griezmann avait gentiment « trollé » TF1 avec un tonitruant : « Vive la France ! Vive la République! », un soir de France-Argentine.

Depuis, toute l’équipe s’y est joyeusement mise. « Regardez comme ils s’affirment spontanément français », s’émerveillent nos sociologues du PAF. Pas de doute, ce mouvement si spontané va irriguer la société française toute entière, apparemment !

Plus ou moins inconsciemment, en singeant un patriotisme exacerbé (que seulement le foot autorise), Griezmann a adressé à Macron – et aux médias – un petit pied de nez. Après tout, à chacun son métier ! A Macron de régler le problème des fractures françaises, et aux Bleus de marquer des buts. La tâche est immense… et seuls les footeux ont assuré leur mission pour l’instant. Au Congrès, Macron a prévenu qu’un président, « ça ne peut pas tout ». Je ne sais pas s’il nous préparait ainsi des lendemains qui déchantent mais, dès lundi matin, les commerces des Champs-Elysées n’étaient déjà plus à la fête.

Des pains et des jeux

Plus de 100 personnes y ont été interpellées et 90 ont filé en garde à vue. Combien seront condamnées ? Et combien d’entre elles auront autre chose que du sursis ? Mouvements de foule, magasins pillés, voitures retournées, bagarres, jets de projectiles sur les CRS : la magie de la soirée de dimanche a été fortement atténuée par ces émeutes. Un dispositif de sécurité monstre avait pourtant été établi. Bien sûr, il s’agit toujours pour la presse d’une « petite poignée de casseurs », de « quelques dizaines de personnes » venues « gâcher la fête ». Quand on va chercher sur les réseaux sociaux des images que les médias nous montrent si peu, on y voit systématiquement des hordes de sauvageons décidées à casser, piller et à en découdre avec les forces de l’ordre. Leur idole, Paul Pogba, avait fort maladroitement déclaré que l’équipe de France avait « tout cassé ». Certains l’ont pris au mot.

La Coupe du Macron

Et pourtant, l’alcool avait cette fois-ci été interdit dans la « fanzone » parisienne du Champ de Mars. Malgré les fouilles, de nombreux fumigènes et artifices y ont toutefois été actionnés. Coup de bol lundi : le retard du vol retour des Bleus était tel que le bus a descendu les Champs-Elysées en deux-deux pour ne pas rater la réception prévue à l’Elysée. Par souci d’agenda de la présidence, le défilé hasardeux a miraculeusement tourné court. Scène surréaliste que de voir des centaines de CRS protéger le bus des Bleus d’une partie de la population… La peur des perturbateurs, avec la menace terroriste, a en tout cas empêché la pleine rencontre de l’équipe avec le public fourni venu l’acclamer. Ce ne fut pas le cas des Croates à Zagreb ni des Portugais à Lisbonne il y a 2 ans.



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