Accueil Culture Whist à Saint-Tropez

Whist à Saint-Tropez

Le Moi de Basile


Whist à Saint-Tropez
Une plage de Sotchi en 1962 © Sputnik / AFP

Après des vacances familiales instructives et variées, j’ai voulu vous en faire profiter. Et d’abord, le saviez-vous ? La mer Noire est moins salée que la Méditerranée, mais plus que les lacs jurassiens.


FRENCH COUNTY 

Jeudi 11 juillet

Comme il est de tradition lorsque je vais dans le Jura, l’ami David Desgouilles et moi nous sommes réservé une soirée tranquille ensemble – avant que la presse locale n’apprenne notre présence… Au menu du dîner-débat ce soir-là : dorades arrosées d’un Savagnin – bienvenu pour relativiser les considérations raisonnablement pessimistes que nous échangeons sur les perspectives qui s’offrent à notre pays (la France). À force de connaître David, si sincèrement soucieux de la chose publique, j’en viendrais à déplorer son honnêteté foncière, qui le condamne presque à coup sûr à l’échec en politique : il y faut d’autres qualités. – Un autre Savagnin ? L’objet de cette semaine dans notre maison de famille jurassienne, c’est une cousinade. Y vient qui veut et peut, parmi les neuf descendants de la fratrie Tellenne. Avec mon frère Olivier, ils découvrent les beautés cachées de la région. Quant à moi, je leur apprends le whist, jeu de cartes anglais un peu passé de mode ces cent cinquante dernières années, mais qui hante la littérature du xixe siècle. Un jeu subtil aux règles simples, comme j’aime ! De nos jours, on aurait tendance à préférer l’inverse – avec pognon sur table de préférence, à défaut de flingue. Tout fout l’camp, vous dis-je, même à Lons et chez son fameux chocolatier-pâtissier Pelen. Récemment, le « Petit Nègre », gâteau centenaire et produit phare de la Maison, a été rebaptisé « Ébène », sans doute pour éviter une plainte pour incitation à la négrophagie. Un choix discutable, à la réflexion  : «  Bois d’ébène  »  : n’était-ce pas l’appellation courante du statut des esclaves réduits à la condition de « biens meubles » ?

WE ARE THE CAMPION

Samedi 27 juillet

Pour Frigide, Port Grimaud est un pèlerinage. Outre la maison de vacances de son enfance, elle retrouve là, à quelques encablures, le Saint-Tropez de sa folle jeunesse – pas vraiment terminée… Le Club des Allongés, le Bal et autres bars et boîtes décadents, où elle passait ses nuits couverte de champagne et de créatures interlopes. Ces lieux, bien sûr, ont disparu depuis belle lurette ; mais pas dans la choucroute de Barjot, qui en reproduit l’ambiance à volonté (ne serait-ce que la sienne). Polyvalente, elle s’est bien amusée, cette année encore, à la fête de Marcel Campion. Et en plus, elle a eu sa photo dans Var Matin ! Le candidat à la mairie de Paris était très en forme. Dans un discours franc, mais jovial, il s’est payé tour à tour ses meilleurs ennemis, de la maire Hidalgo, sa poupée vaudoue, à ce site rebaptisé « Merdapart » qui, paraît-il, lui cherche des poux fiscaux dans la tête. Pas de blague en revanche sur les « pédés », qu’il avait d’ailleurs invités en nombre. Voilà bien un drôle d’homophobe… Si ça se trouve c’est une honteuse – mais je ne risquerai pas l’hypothèse devant lui. Avec tout ça, autant vous le dire  : on n’a pas eu le temps de rejouer aux cartes en famille, comme dans le Jura. Mais mettez-vous à ma place  : je n’allais quand même pas intituler ma chronique « Whist à Lons-le-Saunier » ? J’en appelle au John Ford de L’homme qui tua Liberty Valance  : «  Quand la légende est plus belle que la réalité, imprimez la légende. »

IMPRESSIONS DE RUSSIE

Lundi 12 août

À première vue, l’accroche est un peu trompeuse, pour des glands qui se sont posés à Sotchi et n’en ont plus bougé. Mais s’il le faut, j’en appelle aux mânes de Raymond Roussel, qui écrivit Impressions d’Afrique sans jamais descendre de son bateau. De la Riviera à sa version russe (Sotchi, « Perle de la mer Noire » bien avant de devenir la capitale sportive du pays), il n’y avait qu’un pas et nous l’avons franchi. Premier sujet d’étonnement : dans l’avion d’Aeroflot, hôtesses et stewards portent de superbes uniformes soviétiques frappés de la faucille et du marteau et qui semblent tout neufs… Surplus dus à une minuscule erreur de calcul dans un Gosplan des années 1980 ? À part ça, la quasi-totalité des touristes sont russes, sans parler des Stochiens de souche – et personne ne parle un mot d’anglais, encore moins de français. Sauf peut-être dans les boutiques de luxe… À propos, depuis la terrasse de votre suite au 29e étage du Hyatt Park Center, un petit chemin arboré en pente douce vous conduira tout droit à la plage « Moris Tores ». Russie, terre de contrastes… Côté culturel, j’ai beaucoup travaillé l’alphabet cyrillique. Certaines lettres y sont quasi normales, d’autres, c’est franchement n’importe quoi. J’ai quand même réussi à apprendre que le grand théâtre Zymnii donnerait le 26 août une représentation du Maître et Marguerite. Hélas, nous serons déjà rentrés – et en plus, c’était en russe…

Une plage à Sotchi en 1962. Miroslav Murazov / Sputnik/ 2565359/Russie
Une plage à Sotchi en 1962.
Miroslav Murazov / Sputnik/
2565359/Russie

UBU CHEZ UBER

Vendredi 23 août

Mais à quoi bon voyager  ? C’est de retour à Paris, après ces tribulations, que j’ai vécu l’expérience la plus « décontrastante », comme disait Garcimore, de ces deux derniers mois. Au début, tout semble normal, comme dans Psychose. Et puis, progressivement, ça devient du Beckett, ou du Ionesco, mais avec une pointe de Jarry en tout cas. 22 h 30 : Je commande un Uber pour aller de Dupleix à l’avenue Mozart, quatre minutes d’attente, ça va. À l’heure dite, on m’informe que ma voiture est arrivée. 22 H 40 : Personne devant chez moi ; j’appelle le chauffeur, qui proteste de sa bonne foi : –  Mais je suis bien à l’agence Ingencia, 30, rue de Lourmel… – Peut-être, mais c’est pas mon adresse ! J’habite à 300 m, à l’angle du boulevard… – Ce n’est pas ce qui est écrit !… Alors, on annule la course ? – Mais non, vous tournez deux fois à droite et vous êtes sur le boulevard ! – Ah, OK, j’arrive. 22  h  45 – 23  h  15  : Interminable demi-heure d’attente, d’autant plus déprimante que je peux suivre en direct le trajet erratique de « ma voiture » qui, d’avenue Émile-Zola en rue de la Convention, s’éloigne toujours plus de moi. Inutile même de rappeler le chauffeur, vu notre conversation précédente. Rien à faire qu’à attendre ce Godot-là… Il finira par débarquer avec trois quarts d’heure de retard TTC pour une course qui, à cette heure-là, prend cinq minutes. J’étais passablement énervé, mais en un instant le mec m’a cloué sur place avec son ultime punchline : –  Alors du coup, la destination, c’est 30 rue de Lourmel, l’agence Ingencia ? Vertigineux, non ?

SÉLECTION DU READER’S DIGEST

« Trublion, ma petite outre, Si vraiment tu veux la paix, Commence par nous la foutre. » (Anatole France)

« Tout ce qui est simple est faux ; tout ce qui ne l’est pas est inutilisable. » Paul Valéry « Si les anges volent, c’est parce qu’ils se prennent eux mêmes à la légère. » (Chesterton)

« Je n’ai jamais cité un auteur sans l’améliorer. » (Jorge Luis Borges)

« Chacun hurle son secret. » (Raoul Rabut)

«  Si Joan Crawford prenait feu, je ne me donnerais même pas la peine de pisser dessus. » (Bette Davis)

Septembre 2019 - Causeur #71

Article extrait du Magazine Causeur




Article précédent La gauche olfactive cible Raphaël Enthoven
Article suivant Antoine Blondin, maillot jaune de la cuite

RÉAGISSEZ À CET ARTICLE

Le système de commentaires sur Causeur.fr évolue : nous vous invitons à créer ci-dessous un nouveau compte Disqus si vous n'en avez pas encore.
Une tenue correcte est exigée. Soyez courtois et évitez le hors sujet.
Notre charte de modération