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Vœux vaches à l’Elysée


Alors comme ça il est déprimé ? Il prend des mesures « suicidaires », selon les mots du député UMP Lionnel Luca. Il est perdu, et songe à arrêter la politique ? Franchement, il suffisait d’être hier dans la salle des fêtes de l’Elysée pour la dernière séance de vœux à la presse de Nicolas Sarkozy pour voir qu’il n’est pas si facile que ça à enterrer, même sous des sondages calamiteux.

Il fallait voir cet exercice du Président face à des journalistes plus fascinés que jamais par le personnage. Pas de quartier, pas de fausse modestie ou de hauteur de vue. Du Sarko pur jus, de l’ironie, des vannes, et même des piques sur le thème « Vous– les plumitifs -et moi on forme un vieux couple, c’est normal qu’on se chamaille ». Et vas-y que je te sors des blagues sur la propension de la presse à le critiquer : « La seule façon de progresser, c’est d’être critiqué. Et là, franchement, merci, j’ai fait des progrès considérables », ce qui prouve au passage que François Hollande n’a pas le monopole du scud moucheté.

C’est sa grande habileté avec les journalistes, qu’il a encore montrée dimanche en cataloguant Claire Chazal ou Laurent Delahousse en défenseurs des nantis face au pauvre chômeur qui cherche à comprendre ce que le gouvernement fait pour lui. Lui et nous, faut bien se mettre dans le lot, on forme un couple, à la vie, à l’élection. Quasi au même niveau si ce n’est de responsabilité, en tous les cas de désir : « Je ne détecte dans notre couple aucun des stigmates annonciateurs d’un divorce », a-t-il dit hier. « Vous les connaissez : d’abord la lassitude. Franchement, je ne détecte pas la lassitude. Ensuite, votre exigence. Je vous remercie. Avec moi, vous ne renoncez pas. Notre couple est vivant et dans un couple il faut se dire les choses, il faut crever l’abcès. »

Crever l’abcès, c’est quoi ? S’engueuler en s’envoyant la porcelaine de Limoges au visage ? Aller camper chez sa mère pendant quelques jours ? Ou alors aller voir si « l’herbe est toujours plus verte ailleurs », comme le Président l’assène dans son discours. « Je vois bien vos tentatives pour me remplacer, pour essayer autre chose, pour espérer ailleurs. Jusqu’à présent, vous êtes toujours revenus. » La preuve, personne n’aurait voulu rater cette petite séance d’autosatisfaction professionnelle et personnelle hier.

Et la séance façon psy-show continue dans le discours : « Je suis passé aussi vis-à-vis de vous par des hauts et des bas. Au début, on a tellement envie de séduire. Rien n’est trop beau pour vous convaincre. On prend pour des trahisons ce qui n’est au fond qu’une liberté professionnelle. Puis on vous aime beaucoup moins. Puis, avec l’expérience, on se dit que tous ces rapports n’ont pas leur place entre responsables politiques et journalistes. Quand on met des sentiments dans des rapports professionnels comme nous en avons, on se trompe. Quand on y met du professionnalisme, on s’apaise. »

Pas de sentiments, des rapports apaisés. Quelle jolie fable. La vérité, c’est qu’on reste ensemble parce qu’on n’imagine même pas la séparation : ni lui, ni nous ne sommes prêts à laisser tomber cette petite relation sentimentale mal gaulée avec – quand même – le premier personnage de l’Etat. Personne n’est capable de larguer froidement un numéro pareil, qui par ailleurs permet depuis 5 ans de vendre pas mal de gros titres plus délirants les uns que les autres, sur fond de folie psy, d’absence de surmoi et parfois de vraies critiques politiques.

A tel point que je suis prête à prendre les paris : d’ici quelques semaines, ces mêmes journalistes qui détestent le Président seront tous volontaires pour le suivre dans sa campagne et remonter en troupeau dans la charrette tirée par un tracteur, comme en 2007, quand le candidat galopait comme s’il était seul sur un cheval camarguais avec ses Ray Ban, 200 mètres devant eux.

Avec le recul, pas mal de reporters avaient trouvé ça humiliant, surtout à cause de la photo qui avait révélé leur pauvre condition de suiveurs et de journalistes embedded en temps de paix. Mais, comme chacun le sait, dans un couple au début on accepte tout, tout est chouette, même la charrette. Après on en revient, reprochant amèrement à l’autre les humiliations pourtant librement consenties. Et puis on y revient, croyant sauver ce qui peut être sauvé. Et on abandonne tout professionnalisme. Déjà que le métier n’est parfois pas très rigolo, si en plus il faut faire son travail…



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est journaliste

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