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Viva Suarez !


Viva Suarez !
Luis Suarez.
Luis Suarez
Luis Suarez.

Le football subit depuis une vingtaine d’années la même cure d’amaigrissement que les autres domaines de la vie. Les tribunes sont vidées de leurs supporteurs et l’apparition inévitable de l’arbitrage vidéo tendra à exclure toute incertitude sur le terrain.

Or, si le football a un quelconque intérêt, c’est justement le mauvais esprit qui lui est consubstantiel. D’où vient le fait que le tennis, par exemple, soit si pénible à regarder à la longue ? C’est que l’antijeu y est impossible. De ce fait, il ne se passe rien, il ne peut rien s’y passer. On peut simplement admirer le port de tête aristocratique de Federer et ses jolis polos. Ce qui ne permet pas d’alimenter durablement une honnête discussion de comptoir, laquelle s’orientera naturellement vers le match de foot de la veille.[access capability= »lire_inedits »]

S’il y a des erreurs d’arbitrage, c’est encore mieux : elles font partie des anthologies. Le simple fait de les éradiquer tuera le jeu. Les dirigeants et commentateurs qui plébiscitent la vidéo montrent en outre leur ignorance crasse des fondements du football. L’un d’entre eux est que l’arbitre fait partie du jeu : il peut marquer un but si ça lui chante, le but sera valable. Ses erreurs, aussi, en font partie et alimenteront nos fantasmes pendant des dizaines d’années. Etait-il corrompu ? Incompétent ? Apeuré ? Pro-allemand ? Anti-messin ?

Sous prétexte d’éradiquer le hooliganisme, on a éteint toute vie dans les stades

Avant d’éradiquer le jeu lui-même, l’époque a fait disparaître toute vie des tribunes. Il est plaisant d’entendre les plumitifs du sport gloser sur l’ « enfer d’Anfield Road » ou toute autre enceinte prestigieuse. Soit ils mentent, soit ils n’y sont pas allés récemment. Car cela fait belle lurette que, dans ces grands stades, il y a beaucoup moins d’ambiance que dans les bars qui diffusent le match. Sous le prétexte d’éradiquer le hooliganisme, on y a détruit toute forme de vie. Il suffit d’ailleurs, aujourd’hui, d’être simplement debout dans un stade pour être considéré comme un hooligan. La fin des supporteurs ne semble pas plus gêner les joueurs que la disparition des fumeurs n’a contrarié les patrons de bistrots : le PSG n’a jamais aussi bien joué que depuis que ses tribunes sont vides.

Peut-être la vie reprendra-t-elle le dessus quand même. J’en veux pour preuve le geste magnifique de l’Uruguayen Suarez, le 2 juillet en Afrique du Sud, arrêtant de la main, à la dernière minute du quart de finale de Coupe du monde opposant l’Uruguay au Ghana, un ballon qui allait franchir sa ligne de but. Et ce alors qu’il était attaquant, et non gardien de but. Il y a une justice : l’Uruguay s’est qualifié aux tirs au but, magistralement. On peut expulser Suarez a posteriori, ce genre de geste, on ne pourra jamais l’empêcher : c’est ce qui nous fait aimer le football. Et c’est ce qui nous fait aimer la vie et ses incertitudes, malgré les « prophètes de bonheur » et les fanatiques de la transparence moralisée. [/access]

Novembre 2010 · N° 29

Article extrait du Magazine Causeur



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François Marchand est écrivain. Il vient de publier <em>Plan social</em> (Cherche-Midi).

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