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Une nuit aux « Chandelles »


image : Gatzella (Flickr)

J’aime les salauds galants − une spécialité française qui mériterait d’être classée par l’Unesco au patrimoine immatériel de l’humanité. J’aime l’expression imprudente de leurs premiers émois de chasse. « Ma Douce Fureur. Je fais mon direct sur France 24 à 21 h 30. Accepterais-tu qu’après, je vienne me joindre au chaud de ton corps ? » J’aime le langage mercuriel de la rupture lorsque, las ou déjà pris dans le vortex d’une nouvelle aventure, ils posent l’ultime question : « Au fait, t’es-tu allongée au côté de ce garçon qui te courait après ? » J’aime leur goût des belles choses, leur faiblesse pour les matières nobles, leur
générosité raffinée aussi. J’aime la surprise de ma main lâchée subitement à la tombée de rideau lors d’une première à l’Odéon. J’aime la douleur d’une découverte inattendue de tout ce qu’une liaison licencieuse puisse contenir de violent, de perfide, de trivial et que je m’obstine à ignorer. « Il n’est aucune sorte de sensation qui soit plus vive que celle de la douleur, ses impressions sont sûres, elles ne trompent point comme celles du plaisir », remarquait jadis le divin marquis. Rien ne rend plus séduisant que la marque de douleur profonde. J’aime les salauds galants.

J’aurais adoré contribuer à la réputation sulfureuse de DSK en matière de rapports avec les femmes. Or, jusqu’à preuve du contraire, il convient de considérer le brillantissime ex-directeur du FMI comme un salaud galant et non pas comme un salaud tout court. Hélas ! Aucun hasard heureux n’a mêlé nos chemins. Comment entretenir la confiance en soi, en sa féminité, son pouvoir de séduction enfin, si l’on n’a jamais été l’objet des avances de celui qu’on a qualifié de « chimpanzé en rut » ? Que vaut une journaliste qui n’a pas suscité le moindre intérêt de sa part ? Perdant ainsi d’une minute à l’autre un peu plus d’estime pour moimême, inquiète pour mon avenir, j’ai saisi au vol l’occasion, à proprement dit providentielle, qui s’est présentée à moi un bel après-midi de dimanche.

Voilà qu’un confrère travaillant pour un magazine tout ce qu’il y a de plus respectable, helvétique de surcroît, désire éclairer ses compatriotes sur les liaisons complexes, énigmatiques et dangereuses qui, en France plus qu’ailleurs, ou en tout cas différemment, mettent aux prises la politique et le sexe. Pourquoi moi, je n’en dirai rien. Sentez-vous libres, chers lecteurs, de me soupçonner de connivence avec les plus hautes sphères du pouvoir ou de fréquentation assidue d’établissements ultra-selects réservés aux adultes. Je ne démentirai rien. Bien au contraire. À peine vous confierai-je qu’à l’opposé des Anglo-Saxons et autres Germains, les Slaves n’ont aucun mal à s’approprier les codes de ce délicieux jeu de dupes sur lequel repose le système socio-politique en France. Si la séduction est la règle, va pour la séduction. J’avoue avoir éprouvé un vif plaisir à assister mon collègue dans son enquête.[access capability= »lire_inedits »]

En 1694, l’Académie sermonnait les libertins pour l’excès de liberté qu’ils s’octroyaient, délaissant tout devoir. À la même époque, dans son Dictionnaire français, Pierre Richelet définissait le libertinage comme « érèglement de vie, désordre ». Les temps ont changé, ainsi que le regard porté par les hommes sur une jouissance décomplexée, sinon programmatique. Qualifié de « sergent du sexe », Sade a été reclassé, dans la deuxième moitié du XXe siècle, de l’avant-garde de la transgression à celle du consumérisme. Où situer alors mes salauds galants ? Seraient-ils subversifs ou conformistes, anarchistes ou tartufes ? Que signifie au juste être libertin dans la France d’aujourd’hui ? Faut-il en prêter les attributs, si j’ose dire, à DSK ?

Menottes habillées de plumes roses nous sonnons à la porte discrète des « Chandelles », un luxueux club échangiste situé dans le 1er arrondissement de Paris. Si les liens entre le pouvoir et sexe existent, c’est ici que nous aurons le plus de chances de les percevoir à l’oeil nu. « Vous venez pour la première fois, il faut alors que je vous explique comment ça se passe… », débite le physionomiste depuis un coin obscur des vestiaires. Il m’est demandé d’y laisser mon sac à main, en échange de quoi nous obtenons un carton sur lequel sont inscrits nos faux prénoms.

Désormais, je suis Sonia et, croyez-moi, ceci a son importance. Notre hypothèse préliminaire, c’est que le pouvoir repose sur l’apparence. Je ne conteste nullement que des ouvriers de chez Renault puissent s’adonner au libertinage, mais il ne suffit pas d’être un vétéran de la débauche pour franchir la porte des « C handelles ».
Il se peut qu’il existe une internationale libertine, dont témoignerait l’information publiée par le Corriere della Sera. Une porno-star locale y avoue avoir rencontré DSK, surnommé à l’occasion « Gengis Khan », dans un club privé parisien. Les celebrities se frottent entre elles, dans un entre-soi fermé des fortunés. « “Les Chandelles” sont réservées aux êtres sensibles au glamour, à l’élégance et à l’esthétisme, aux tenants de la liberté érotique, aux addicts de la fantaisie… », lit-on sur la page d’accueil du site Internet du club. D’où mon conseil à tous ceux qui, pour une raison ou pour une autre, envisageraient de passer une soirée aux « Chandelles » : dépassez les limites de la décence dans le choix de vos costumes et toilettes, mais faites-le avec une certaine sophistication cultivée.

En outre, si vous voulez vivre une célébration des sens exaltés par une profusion des nudités, n’arrivez pas avant minuit. À moins que vous n’ayez envie de prendre (ou de perdre, c’est selon) votre temps pour admirer l’art de l’espace avec sa multitude de couloirs étroits, de loges, de salons, le soin apporté aux détails tels que les menottes habillées de plumes roses, les ottomanes tapissées, les corbeilles en fer à préservatifs, les coussins satinés. Enfin, accordez votre configuration lubrico-érotique préférée avec l’agenda de l’établissement, certaines soirées étant dédiées aux seuls couples, certaines autres aux couples et hommes seuls, et ainsi de suite…

Les soirées alimenteraient les « blancs » des RG Valérie, la patronne des lieux, comme tous les propriétaires de clubs échangistes, est susceptible de fournir des informations ultra-sensibles aux services autrefois dits des renseignements généraux. La participation de personnalités politiques aux soirées allumées des « Chandelles »
donnerait ainsi lieu, selon Le Monde, à la rédaction de quantité de notes dites « blanches », sans en-tête ni signature. La conclusion qu’on est tenté d’en tirer est à la fois banale et troublante. Si le libertinage, le lutinage, le droit de cuissage et autres frivolités se terminant par « -age » sont tolérés chez les hommes politiques, ils peuvent également devenir des armes contre eux. Cela signifie-t-il que la société française garde une certaine exigence de conduite morale à l’égard de ceux qui la gouvernent ? Les sondages sur l’affaire DSK semblent prouver le contraire, son parti étant toujours favori pour l’élection présidentielle. Cela étant, un jeune notaire toulousain confie qu’il s’abstient de fréquenter les boîtes échangistes dans sa ville par crainte d’y croiser les collègues de l’étude. Charmante tradition française du faux-semblant.

« Évidemment que beaucoup de gens connus vient ici… », me dit un vieil habitué, sans pour autant citer un seul nom. Décidément attiré par mon inexpérience des lieux, l’homme se permet quelques libertés auxquelles je n’ose répondre par une gifle bourgeoise en bonne et due forme. Aucune forme de violence n’a droit de cité dans ce temple de la civilité sexuelle. Je lui demande néanmoins si « personne n’a jamais été violenté ici ? », tout en pensant aux risques du journalisme d’investigation. « Depuis que DSK est assigné à résidence sous haute surveillance, personne ! », répond-il. Nous en rions discrètement et sans méchanceté aucune.

Contrairement à Bernard Henri-Lévy, je ne sais de « Dominique » que ce que veulent bien me faire savoir mes confrères et les patrons des médias pour lesquels ils travaillent. Par conséquent, sa défense s’appuyant sur l’argument que « rien au monde n’autorise à ce qu’un homme soit ainsi jeté aux chiens » me laisse pantoise. Si les faits qui lui sont reprochés étaient avérés, force serait de reconnaître que « Gengis Khan » a violé une femme et, accessoirement, la règle absolue du consentement qui est la loi des « Chandelles » − une boîte à laquelle il doit, semblerait-il, beaucoup, en tout cas assez pour avoir le devoir d’en donner une belle image. Cela vaut-il ou pas qu’un homme soit « jeté aux chiens » ? Je délègue le droit de réponse à mes salauds galants, de même qu’à mes nouveaux amis libertins, moins « déréglés » ou insolents qu’on ne le croit. Après tout, c’est leur réputation qui est en jeu. Je ne peux m’empêcher de noter, cependant, que jamais « Dominique » ne m’a paru aussi sexy que lors de sa première comparution devant le juge.

Comment conclure ? D’évidence, qu’il existe des liens entre le pouvoir politique et le sexe en France. Au même titre qu’il existe des liens entre les médias et le sexe, la mode et le sexe, la justice et le sexe ou la médecine et le sexe. Si mon collègue suisse souhaite enquêter sur tout cela, qu’il sache que je suis à sa disposition.
Quoi qu’il en soit, je préférerais de loin être représentée à l’Assemblée nationale par un député sexuellement obsédé que soignée par un dentiste enjôleur et frôleur. Last but not least, j’ai une pensée pour toute la clientèle des « Chandelles » qui a bien voulu accorder du crédit à mon inconduite simulée. J’espère qu’elle gardera toute son énergie à rendre inoubliables les « after work coquins » ou à inventer de nouvelles formules. Faites nous plaisir, amusez-vous ![/access]

Juin 2011 . N°36

Article extrait du Magazine Causeur



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Paulina Dalmayer est journaliste et travaille dans l'édition.

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